Opinions - 12.09.2024

Abdellaziz Ben-Jebria: La belle époque des colos de vacances

Abdellaziz Ben-Jebria: La Belle Époque des Colos de Vacances

C’est la fin de l’été, et le temps passe vite, avant la rentrée scolaire que nous espérons joyeuse pour les petits, et celle de la politique infernale qui s’annonce mal pour les adultes. C’est donc le bon moment de prendre un profond soupir qui vient souvent d’un bon souvenir, et de chérir la mémoire des beaux jours de notre jeunesse et de notre enfance, ceux de la belle époque pendant laquelle beaucoup d’entre nous avaient vécu agréablement, moniteurs ou enfants, au sein d’une colonie de vacances ou d’un centre aéré.

Un de mes agréables petits boulots, pendant ma jeunesse estudiantine, en France, était l’animation de trois centres aérés et de loisirs, et d’une seule colonie de vacances. Et je dois d’emblée reconnaitre que les mairies communistes menaient, à cette époque, une bonne politique sociale dans ce domaine éducatif particulier; elles lui consacraient des budgets conséquents; elles étaient assez généreuses dans les salaires journaliers des animateurs; mais elles exigeaient aussi des diplômes de qualifications et des formations accélérées pour l’exercice de ces activités extra-scolaires des mercredis, des petites et grandes vacances. Je dois aussi avouer que je ne garde personnellement que des bons souvenirs.J’avais, en effet, travaillé trois ans (1974 - 1976), respectivement dans les centres de loisirs de Montreuil, Drancy, et Malakoff. Mais, c’était la mairie de Drancy qui avait financé mes deux stages de formation internés chez les Francs et Franches Camarades (FFC) qui, avec le CEMEA, avaient l’exclusivité de la formation professionnelle d’animateurs des centres de loisirs et des colonies de vacances.

Quelques mois après mes débuts à Montreuil, et juste après avoir obtenu mon brevet d’animateur chez FFC, la ville de Drancy m’a offert un poste d’animateur dans son centre-maternel. Mais, rapidement, la directrice du service culturel à la mairie, m’a proposé, après un long entretien, de diriger le centre tout en participant activement à l’animation des petits bambins. Ce faisant, elle voulait que je réfléchisse à rénover le système traditionnellement en nu yeux de "Garderie" en maternelle, pour le faire évoluer vers un réel centre de loisir et d’animation, comme celui du primaire. Je crois même qu’il y avait, à cette époque, très peu d’animateurs-masculins en maternelles; et à ma connaissance, j’étais probablement le premier garçon à avoir dirigé un tel centre de maternelle, dans la région parisienne.

J’avais donc pris la responsabilité d’instaurer, avec les monitrices, des réunions de travail de courtes durées pour coordonner nos diverses activités (ateliers de constructions et de décorations manuelles, feutrines, peintures, jeux d’ensembles, etc.), et nos thèmes de sorties (forêts, ramassages de châtaignes, jeux d’attractions, spectacles vivants, Mer de Sable, etc.), en fonctions de l’âge des enfants (3-5 ans). Je me rappelle que c’était réellement fatiguant d’animer sérieusement ces petits qui exigeaient des activités brèves et variables, et donc beaucoup de concentration. C’est pour cette raison que j’ai arrêté la maternelle, au bout de 2 ans, pour encadrer les plus grands ailleurs, à Malakoff.

Mais avant de quitter Drancy, et de commencer ma nouvelle animation à Malakoff, ma fatigue avait atteint sa limite asymptotique, avec mes autres petits boulots et mes cours universitaires. J’ai alors exposé à la directrice, la saturation de mon état d’esprit, et mon épuisement physique et intellectuel, tout en lui exprimant mon souhait d’expérimenter l’encadrement de pré-adolescents en plein air, loin de Paris. Elle m’a alors offert un poste de moniteur en colonie de vacances de Samoens qui appartenait à la ville de Drancy.Me voilà donc en Haute-Savoie, au mois d’août 1975, où je respirais en pleins poumons l’air chaud et sec au milieu de cet ensemble de massifs montagneux, les Préalpes, qui dominent la vallée du Giffre, qui impriment des images romanesques et qui ne demandent qu’à être escaladés, explorés et admirés. En m’y trouvant,  j’avais le sentiment de joindre l’utile à l’agréable dans ma nouvelle fonction estivale.

Nous étions une équipe de cinq éducateurs, un directeur épaulé par deux moniteurs et deux monitrices, pour encadrer une cinquantaine de préados âgés de 13 à 15 ans. À cette équipe d’encadrement, s’ajoutaient une dizaine de personnes qui s’occupaient de l’entretien des lieux, du linge et de la cuisine. Cependant, la colo de Samoëns n’était qu’une base référentielle et une plaque tournante de repos, de départs et de retrouvailles, semaine après semaine, de tous les enfants en association avec leurs propres moniteurs.

En effet, plutôt que séjourner tout le temps dans le lieu de la colo elle-même, notre programme était conçu volontairement pour profiter pleinement de la nature en alternant, toutes les semaines du mois, entre deux à trois jours de séjours à la colo pour se reposer et se doucher, et quatre à cinq jours de campings à partir desquels on organisait des randonnées pédestres en montagnes. Pour ce faire, on avait d’abord scindé les 50 enfants en deux groupes de 25, chacun étant encadré par un partenariat d’une monitrice et d’un moniteur. On avait préalablement installé, en plein air, suffisamment de tentes pour accueillir chaque groupe d’enfants en rotation avec l’autre, dans quatre campements géographiquement différents.

Il s’agissait du camp de Pratz-de-Lys, celui de l’Essert, du Lac Vert, et du plateau d’Assy. Chacun des quatre campings était conçu pour loger, une fois par semaine, 25 enfants en compagnie de leurs deux moniteurs. Ainsi, toutes les semaines, les deux groupes divergeaient à partir de la colo de Samoëns pour parcourir, à-pieds, avec leurs sacs à dos, les kilomètres qui séparent la colo-Samoëns de chacun de ces quatre camps.

Dès l’arrivée, et avant même l’occupation des tentes, les moniteurs commençaient d’abord par sensibiliser les enfants au partage des responsabilités qui les incombaient quotidiennement, pour qu’ils s’impliquent dans les corvées nécessaires à la vie commune du groupe, telles que vaisselle, petits déjeuners, sandwiches du midi pour les randonnées journalières, et dîners: soupe, salade, ou buffet campagnard.

Quant aux principales activités, elles se résumaient principalement à des grandes randonnées montagnardes. Ainsi, une fois par semaine, munis de nos sacs à dos, nous démarrions la journée en direction des quelques merveilles naturelles de la Haute-Savoie. Chemin faisant, et pour chacune de ces promenades, nous nous arrêtions un moment pour nous reposer tout en prenant le temps de savourer, par exemple, l’un des magnifiques spectacles que la reine des Alpes, la cascade du Rouget, nous offrait de plus beau. Il s’agissait de la plus prestigieuse qui jaillissait sur plus de 80 mètres de hauteur.

Mais, elle n’était pas la seule à capter notre attention; d’autres paysages tout aussi majestueux se dévoilaient devant nos yeux à l’occasion d’autres randonnées. Ainsi la cascade de la Pleureuse nous présentait un autre genre de spectacle qui paraissait joliment mélancolique, car en s’alimentant de l’eau qui provenait des résurgences, son écoulement semblait imiter merveilleusement celui des larmes, d’où le nom de Pleureuse.

À ces cascades, s’exposaient, devant nos regards, des photogrammes statiques tel que celui du col de la Golèse qui, en haut de ses 1775 m, nous offrait un panorama exceptionnel sur la vallée du Giffre. Mais, outre ces incontournables randonnées de découvertes naturelles, les enfants profitaient aussi de la nature savoyarde pour organiser des jeux de pistes, des constructions de cabanes, et des cueillettes de myrtilles qui se présentaient tellement en abondance que les enfants préservaient une quantité suffisante pour concocter de bonnes tartelettes dès leur retour à la colo.

Ce disant, je ne dois pas non plus oublier les talentueuses habilitées de ces adolescents à profiter de la pleine lune pour créer de l’ambiance en organisant de joyeuses veillées chantantes et dansantes. Je me rappelle que leur chanteur-compositeur préféré était inévitablement le New Zélandais, Graeme Allwright. Comme certains étaient accompagnés de leurs guitares, ils se mettaient alors à chanter quelques-unes de ses fameuses chansons dont quelques-unes sont mémorables: «Le Temps est loin de nos Vingt ans»; «Jolie Bouteille, sacrée bouteille»; ou «Il faut que je m’en aille». Mais celle qui est empreinte d’humour et que j’appréciais personnellement, je ne résiste pas à partager cet extrait de mémoire:

L’autre nuit, je rentre chez moi, j’ai bu un peu de vin
J’ai vu une tête sur l’oreiller qui ne me ressemblait pas
Alors j’ai dit à ma petite femme, veux-tu bien m’expliquer
Qu’est-ce que c’est que cette tête-là, je ne crois pas que c’est moi!

Mon pauvre ami, tu ne vois pas clair, le vin t’a trop saoulé
Ce n’est rien qu’un vieux meulon que ta mère m’a donné
Dans la vie j’ai vu pas mal de choses bizarres et saugrenues,
Mais une moustache sur un meulon, ça je n’ai jamais vu

Finalement, contrairement à mes autres emplois temporaires qui me procuraient simplement de quoi vivre tout en payant mes études,  je considère que mes trois centres de loisirs successifs, et surtout la colonie au milieu des merveilleuses montagnes savoyardes, étaient des lieux intellectuellement intéressants et stimulants, car ils m’avaient donné l’opportunité d’exercer un travail éducatif valeureux. Ils m’avaient en outre permis de réfléchir sur la vie sociale, le travail en groupe, la créativité et l’originalité, un apprentissage qui s’avérait par la suite utile pour ma destinée professionnelle dans la recherche scientifique.

Abdellaziz Ben-Jebria