Les neuf morts de la rage: quelles leçons?
Par Mohamed Larbi Bouguerra - On déploie actuellement de gros efforts pour faire vacciner les populations de chats et de chiens contre la rage après que la Tunisie ait enregistré le chiffre considérable de neuf décès (dont une victime -semble-t-il, qui n’a pas achevé le nombre de traitements nécessaires après son contact avec le virus rabique) depuis janvier 2024 de cette terrible maladie moyenâgeuse. Cette grave affection a disparu dans un grand nombre de pays développés grâce à des législations rigoureuses, à une vive attention à l’environnement et une éducation conséquente du public. Le vaccin inventé par Louis Pasteur en 1885 a permis d’éviter à des millions de personnes une mort particulièrement atroce (paralysie, agitation). France Info, en mars 2021, nous apprenait qu’un certain « Monsieur David" fut vacciné contre la rage à Paris, quand il était enfant, après avoir été mordu par un chat dans les rues de Tunis. Il avait probablement fait le voyage Tunis – Paris en moins de dix jours après sa morsure afin que la vaccination soit efficace.
La vaccination seule n’aura pas raison de la rage
Vacciner à tour de bras chiens, chats et les animaux à sang chaud est bien mais seule, la vaccination n’est pas une garantie suffisante contre le virus de la rage, présent dans 150 pays et cause de 59 000 décès dans le monde d’après l’OMS. Une attention importante doit être réservée au milieu, à notre environnement. L’exemple de l’Inde est, à cet égard, très éclairant: la Nature réserve souvent des surprises suite à nos actions. Nous devons la respecter, la préserver et mieux la connaître.
Au milieu des années 1990, la population de vautours, de gros oiseaux charognards, nettoyait la campagne indienne en se nourrissant des carcasses d’animaux morts. Subitement, la population de ces oiseaux s’est effondrée au point de devenir quasiment nulle. Les chercheurs ont montré que le coupable était le diclofénac, un analgésique non stéroïdien (AINS), bon marché utilisé pour traiter le bétail. Ce médicament s’est révélé fatal pour le vautour qui dévorait les carcasses traitées et provoquait une insuffisance rénale mortelle chez ce charognard.
En 2006, l’Inde a interdit l’utilisation vétérinaire du diclofénac. Le déclin des vautours s’est alors ralenti dans certaines régions mais au moins trois espèces ont subi de fortes baisses d’après les ornithologues locaux.
Et ce n’est pas tout: l’absence des vautours a profité aux chiens errants qui, trouvant maintenant une nourriture fort abondante, se sont grandement multiplié inoculant la rage aux populations.
La décimation des vautours charognards a permis, outre la rage, la prolifération de bactéries et d’infections ayant provoqué la mort d’un demi-million de personnes en cinq ans d’après l’étude publiée dans la revue de l’American Economic Association.
En Tunisie, la prolifération plutôt anarchique des containers municipaux pour recueillir les déchets ménagers qui ornent nos rues a offert une aubaine inespérée et continue à la gent canine et féline. Comment s’étonner alors de l’apparition des cas de rage ? Pour ne rien dire des rongeurs -rats et souris- et même des fourmis et des moustiques qui pullulent dans leur environnement.
De plus, ces containers ne sont jamais fermés et ne sont jamais nettoyés ou lavés. Outre la nourriture qu’ils offrent aux chiens et aux chats, vecteurs de la rage, ils constituent un foyer et un bouillon de culture idéal pour la prolifération de bactéries et d’agents infectieux. Des colonies quasi permanentes de chiens et de chats se forment autour de ces hideux récipients. Les bêtes ont la possibilité de s’alimenter sans effort puisque certains humains ne se donnent pas le peine de déposer leurs ordures à l’intérieur de ces containers et les balancent de la vitre de leur voiture à même le sol qui, jamais nettoyé, présente le gîte et le couvert aux chiens et aux chats qui bénéficient de conditions rêvées pour se reproduire et augmenter la population d’animaux errants dans les rues de nos villes semant parfois la panique aux alentours de nos écoles.
Malgré les discours ronflants de nombre de ministres (Environnement, Intérieur, …), l’environnement va se dégradant en continu dans le pays et on s’habitue au vocabulaire de «points noirs» à tel carrefour de Gabès, de Jerba ou de Bizerte. On semble fier de lancer de temps à autre des campagnes populaires de nettoyage et de valeureux volontaires ramassent des tonnes ordures…pour voir quelques semaines plus tard réapparaitre les monceaux d’immondices et les hordes de chiens errants. Travail de Sisyphe. Tonneau troué des Danaïdes…Par manque de solution et d’indécision à un niveau élevé.
La guerre aux ordures à Parme
Quand se décidera-t-on à adopter la collecte des ordures chez l’habitant comme cela se faisait jadis, même dans les ruelles de nos médinas?
Solution dépassée, dira-t-on, car jadis le plastique, les boîte en aluminium, les bouteilles de lait, les cartons de pizza n’existaient pas? Pas tant que çà à lire dans le Monde (5 septembre 2024, p. 1, 20-22) le cas de la ville de Parme, dans le nord de l’Italie. Le journal titre sobrement: «Parme, la guerre aux ordures», guerre si efficace qui fait des émules à New York, Bordeaux, Bruxelles, Barcelone. Et des délégations du monde entier viennent s’inspirer du modèle parmesan. Cette «guerre», en tout cas, a permis à Parme de se passer d’exporter illégalement à l’étranger - souvent avec l’aide de la mafia- ses déchets, comme l’ont fait d’autres grandes métropoles italiennes et comme nous le savons pertinemment en Tunisie. On lit sur le Monde: «La ville a déployé un arsenal de mesures pour réduire drastiquement les déchets : contrôle des ordures, tarifications incitatives, vastes unités de tri et de traitement. Sans atteindre l’idéal de zéro déchet, Parme fait figure de modèle pour d’autres métropoles…Les contrevenants seront sanctionnés. Et l’amende peut être salée : jusqu’à 10 000 euros d’amende»
Aujourd’hui, à Parme, la collecte des déchets organisée en porte à porte, exception faite du verre, se fait sur un calendrier hebdomadaire et des horaires très précis.
Parme a organisé de façon très technique et couteuse la gestion de ses déchets (vidéos de surveillance partout et parfois cachées pour surprendre les citoyens indisciplinés sacs poubelle portant des puces électroniques, inspecteurs dans les rues pour traquer les contrevenants, tri poussé, chasse aux bouteilles d’eau en plastique…). Cette guerre aux ordures- et notamment le tri- lui a permis de se passer de sa plus grande décharge municipale et de la transformer en centrale solaire.
Inspirons-nous du modèle de Parme
Bien entendu, nous n’avons pas les moyens de dupliquer l’organisation sophistiquée dont s’est dotée cette ville d’Emilie Romagne mais nous pouvons organiser une collecte à domicile des déchets sommairement triés peut être pour commencer, déclarer la guerre au plastique et à ceux qui jettent leurs ordures dans la nature, ordures qui attirent chiens et chats errants, vecteurs de la rage. Bien sûr, il faudra de la rigueur, des moyens techniques fiables (pelles et balais corrects et non de simples palmes, brouettes en bon état, gants et masques pour le personnel, camions entretenus…), des calendriers et des horaires respectés pour le ramassage.
Nous ne pouvons, face à nos neufs regrettables défunts, continuer «business as usual». Vacciner chiens et chats est louable encore une fois mais il faut s’attaquer à la racine du mal: réduire et stériliser les hordes de chiens errants et mettre au rebut ces containers jamais fermés, jamais nettoyés et ces points noirs qui sont comme des pustules sur le visage du pays. Des oliveraies du Chaal défigurées par les sacs de plastique pendouillant aux branches aux plages de Ras el Blat à Bizerte ou à celles de Boujaafar semées de bouteilles de bière et de canettes d’aluminium, aux tas de gravats qui ponctuent nos routes et nos forêts, le pays n’en peut plus. Méfions-nous des retours de bâton de la Nature. Prenons exemple sur l’Inde.
Il nous faut une politique de la gestion des déchets. Copions -en partie- ce qui se fait à Parme.
Mohamed Larbi Bouguerra