Khadija Taoufik Moalla: Et si ton espace m’appartenait aussi ?
Lorsque nous sommes à la recherche de nouvelles solutions, Einstein nous rappelle que : "Soulever de nouvelles questions, de nouvelles possibilités, considérer les anciens problèmes sous un nouvel angle nécessite une imagination créative et marque une véritable avancée dans la science." Parmi les nombreux cadres de réflexion et concepts de la méthodologie du leadership, il en existe un appelé "le recadrage" ou "reframing". Cet exercice permet de voir les faits sous un angle différent.
Prenons, par exemple, le concept de la "richesse". Traditionnellement, celle-ci est souvent définie comme la possession de biens, d'actifs et de ressources à valeur monétaire. Cependant, si nous décidons de "recadrer" ce concept, la richesse pourrait être définie par la connaissance, la spiritualité ou l'épanouissement personnel. Si les individus cessaient de rivaliser pour avoir la plus grande maison ou la voiture la plus longue, et cherchaient plutôt à acquérir le plus de connaissances, à voir le plus de films, ou à lire le plus de livres, nous pourrions transformer notre façon de vivre. Il va sans dire que nous n'avons besoin d'entrer en compétition qu'avec nous-mêmes, en poursuivant une introspection constante pour nous améliorer chaque jour, et mieux servir notre prochain.
Mon article s’intéresse aujourd’hui au "recadrage" du concept de "public", que beaucoup perçoivent comme l’opposé de "privé". Je souhaite ici inviter les sociologues, anthropologues, historiens et psychologues à entreprendre des études approfondies sur la perception des citoyennes et citoyens de ces notions, et leur impact sur nos comportements quotidiens.
Les représentations que nous nous faisons de l'espace public et de l'espace privé décrivent différents types d'endroits où les gens interagissent, et permettent de mieux comprendre la dynamique sociale et les interactions qui s’y produisent, ainsi que les règles et attentes qui y sont associées.
L'espace public est un lieu accessible à tous sans restriction, ouvert et inclusif, que chacun peut utiliser ou traverser. Cet espace est souvent géré par des autorités publiques, comme les municipalités, et financé par des fonds publics. Les parcs, places, rues et trottoirs, plages publiques, et bibliothèques publiques en sont des exemples.
À l'opposé, l'espace privé est un lieu dont l'accès est restreint et conditionné par la permission des propriétaires ou des entités privées. Les domiciles, jardins privés, bureaux d'entreprises et clubs privés illustrent bien cette catégorie.
De manière générale, la population a intégré dans son subconscient l'idée qu'elle n'est responsable que de son propre espace privé, tout en se sentant peu concernée par la gestion de l'espace public. Ainsi, beaucoup se permettent de jeter des ordures dans les rues, de salir les parcs, plages, hôpitaux, écoles, sites archéologiques, et autres lieux publics. Peu de personnes considèrent ces espaces publics comme leur propre espace privé, à entretenir et à préserver.
La question qui se pose est alors: comment convaincre la population de se réapproprier les espaces publics et de les considérer comme des espaces communautaires, dont elle serait également responsable?
Un espace communautaire est conçu pour répondre aux besoins et intérêts d'une communauté spécifique, et est souvent géré par des organisations communautaires sans but lucratif, des associations, ou des groupements d'intérêt particulier. Des exemples incluent les centres communautaires, jardins communautaires, salles de réunion pour associations locales, écoles, et universités.
Mais que gagnerions-nous collectivement si nous réussissions à faire évoluer notre subconscient collectif pour considérer que mon espace est ton espace, et que ton espace est aussi le mien?
Il est évident que nous en sortirions tous gagnants. Non seulement nos villes, parcs, hôpitaux, écoles, rues, stades, et marchés deviendraient plus propres, mais cela permettrait également un immense gain d'énergie. De plus, nos municipalités pourraient réaliser des économies importantes, étant donné que la taxe payée par le contribuable pour la collecte des déchets ne couvre actuellement que 17 % des coûts réels encourus. Les sommes ainsi économisées pourraient être réinvesties dans des jardins potagers, dont les récoltes serviraient à soutenir les familles nécessiteuses.
Les municipalités pourraient également installer ces jardins potagers et des composteurs dans les écoles, afin d'enseigner aux enfants le recyclage des déchets ménagers pour en faire des engrais naturels. Les produits de ces potagers pourraient aider les écoles à offrir un repas sain quotidien à tous les élèves, apportant ainsi une aide précieuse aux familles. De tels projets sont déjà en cours, comme en témoigne l'initiative d'UN-Habitat en partenariat avec la municipalité de Beni-Khalled et l’Association de Sauvegarde de la Médina de Beni-Khalled.
En nous réappropriant tous les lieux publics et en les considérant comme notre propriété privée, nous deviendrions toutes et tous responsables de leur gestion, leur rénovation et leur entretien. Cela nous encouragerait aussi à créer de nouveaux espaces et à reverdir notre Tunisie, qui a toujours été connue sous le nom de Tounes Elkhadhra : «Tunisie la verte"!
Khadija Taoufik Moalla