Tunisie: Des compteurs intelligents pour mieux gérer l’eau potable
Par Ridha Bergaoui - La Tunisie a, depuis toujours, souffert du manque d’eau et a connu des difficultés pour s’approvisionner en eau potable. Les systèmes ingénieux des aqueducs Romains ou les citernes des Aghlabites à Kairouan en sont témoins. Toutefois la situation ne cesse de s’aggraver en raison essentiellement de l’augmentation de la demande face à une diminution des ressources. Le changement climatique, avec le manque de pluie, la chaleur et la sécheresse, a aggravé, ces dernières années, la situation et il devient urgent et indispensable de rationnaliser la gestion de nos maigres ressources hydriques.
L’eau potable représente une composante stratégique vitale. Le défi national d’assurer l’eau potable tout le temps à tous les consommateurs devient parfois difficile à tenir surtout en été où le niveau des eaux est au plus bas. Le contrôle et le suivi de près de la consommation, la lutte contre le gaspillage et les pertes, aussi bien au niveau du citoyen qu’au niveau du fournisseur de l’eau, représentent, dans ce cadre, des leviers importants d’une bonne gestion.
Un rendement du réseau de l’eau potable trop faible
La perte d’eau dans les réseaux correspond à la différence entre le volume d’eau produite et la quantité d’eau dans les compteurs installés chez les abonnés. Cette eau n’est pas facturée et représente une perte financière pour l’entreprise qu’elle doit essayer de réduire afin d’améliorer sa rentabilité. La différence entre la quantité d’eau distribuée et la quantité facturée comprend le volume d’eau non compté (poteaux incendie, fontaines publiques…), le volume de service (utilisé pour l’exploitation du réseau), les fuites et les pertes lors des canaux cassés, un mauvais relevé (compteur bloqué, mal calibré, mauvais relevé…) ainsi que les branchements illicites et sauvages. Les fuites, visibles et invisibles, sont souvent dues à la vétusté des canalisations, à une pression trop élevée dans le réseau et parfois également aux mouvements du sol.
En Tunisie, la perte d’eau dans le réseau est énorme. Pour l’année 2019, et selon les données de la Sonede, le nombre d’abonnés avoisine les 3 millions, le volume d’eau produit serait de 729,9 millions de m3, le volume distribué est de 647,3 millions alors que le volume facturé n’est que de 461,2 millions de m3. Le rendement du réseau de distribution serait de 68,8%. Prés de 270 millions de m3 (1/3 de la production) est perdue. Ceci représente la capacité d’un barrage moyen comme celui de Sidi Barrak, le deuxième barrage Tunisien après Sidi Salem, dont la capacité est de 265 millions de m3.Le volume d’eau produit en 2019 (soit 729.9 millions de m3) provient soit des eaux de surface (412,5 millions de m3)soit de l’eau souterraine (305,4 millions de m3).En 2017, le réseau de la Sonede comptait 53161 km (avec presque 10 km d’adduction, le reste de distribution) dont 40% de plus de 30 ans et 17 % de plus de 50 ans. On compte en moyenne 4 fuites d’eau et 0,33 cassure des canalisations par km de réseau.
Les pertes, constatées sur le réseau de la Sonede, représentent un gaspillage important de la ressource et un défi environnemental majeur dans un contexte de crise d’eau où il devient primordial de préserver la ressource de plus en plus rare. Par ailleurs, l’eau potable revient très cher à la collectivité nationale. Le prix de vente facturé au consommateur ne couvre qu’une partie de son prix de revient réel. Dans ce contexte chaque goutte d’eau compte et il faut savoir en tirer profit et l’utiliser à bon escient.
En France, on admet un taux de perte dans les réseaux de 20%, dont 70% représentent de réelles fuites et les 30% qui restent sont dus à des problèmes de comptage (absence ou sous-comptage) de la consommation. Réduire les fuites, agir sur le sous-comptage chez les abonnés (compteurs défaillants ou mal dimensionnés, mal relevés…), contrôler les systèmes d’eau pour empêcher les branchements illicites et sauvages, permettent d’améliorer le rendement pour atteindre 90% sur certains réseaux.
Les compteurs connectés
Les nouvelles technologies, comme l’intelligence artificielle, les objets connectés (Internet of things ou IoT), la robotique, la domotique, les drones…, représentent une réelle révolution et sont en train de modifier complètement notre vécu. Ces technologies peuvent contribuer à notre bien-être, nous aider à faciliter notre vie et résoudre de nombreux problèmes. C’est pour cette raison qu’elles sont adoptées par tous et ne cessent de s’intégrer et s’incruster dans notre environnement et de notre quotidien.
Le compteur intelligent, appelé également compteur smart, digital ou communicant, représente une application intéressante de ces nouvelles technologies, capable de nous aider à bien gérer et préserver nos ressources. Ces compteurs permettent le suivi, en temps réel, de l’utilisation de la ressource, de localiser rapidement les pertes et de lutter contre tout gaspillage ou mauvaise utilisation. Partout dans le monde, ces compteurs connectés sont utilisés en masse pour remplacer les vieux compteurs mécaniques.
Les compteurs intelligents, d’électricité, gaz et eau, en plus de mesurer et enregistrer la consommation sont capables de transmettre les informations en temps réel par le biais d’une connexion sans fil, aussi bien au fournisseur de l’eau qu’à l’abonné. Ceci permet le suivi précis de la consommation et l’optimisation de l’usage de la ressource.
Ces instruments permettent des relevés et la facturation à distance et, si nécessaire, des interventions comme suspendre ou rétablir l’approvisionnement en énergie ou en eau de l’abonné. Il est possible également, grâce aux applications qu’ils offrent:
• D’avoir l’historique de votre consommation
• La gestion de votre compte (factures, paiement en ligne…)
• Vous signaler une consommation excessive
• La détection des fuites.
Ils vous envoient des alertes en cas de consommation excessive dépassant un seuil que vous pouvez vous-même fixer ou des fuites dans votre réseau. Ils facilitent et favorisent ainsi une gestion rationnelle et responsable en vous permettant de connaitre en temps réel votre consommation.
Les compteurs connectés ouvrent de nombreuses perspectives et sont promus, partout dans le monde, à un bel avenir en raison de leurs avantages pour une meilleure utilisation des ressources et la préservation de l’environnement.
Enfin, les informations relevées par ces compteurs peuvent donner une idée sur la vie privée de l’occupant du logement (période d’absence, heures d’activité, nombre de personnes…). Une vigilance est nécessaire pour protéger et respecter la vie privée des personnes concernées. Par ailleurs, comme tout système informatique et tout appareil connecté, les compteurs intelligents peuvent faire l’objet d’attaques cybernétiques et de piratage. C’est à l’entreprise de protéger ses données et de respecter la vie privée de ses abonnés.
Les compteurs d’eau intelligents, une solution pour une bonne gestion
En Tunisie, la Steg s’est lancée dans l’installation des compteurs intelligents, une première tranche sera opérationnelle très bientôt. Ces compteurs connectés présentent de nombreux avantages dont des relevés et une facturation automatique à distance sans besoin de se rendre chez le client (télérelève), facturation de la consommation réelle et pas de facturation intermédiaire fictive et un meilleur suivi et contrôle de la consommation et du gaspillage.
Pour la Sonede, le compteur connecté permet l’autorelève à distance de la consommation des abonnés et l’intervention sur l’approvisionnement en eau si nécessaire. Ceci permet de se passer de tout ce personnel mobilisé pour la relève et réduire ainsi la lourde charge en salaires et main d’œuvre. Ce système permet également à la Sonede de recouvrir toutes ses créances sans avoir à se déplacer et intervenir physiquement sur le compteur dans des situations parfois tendues et conflictuelles avec les citoyens. Les informations collectées par ces compteurs peuvent aider, en temps réel, à détecter les fuites, canalisations cassées, les détournements et vols d’eau et de réagir rapidement afin de résoudre le problème, limiter les pertes, préserver la ressource et améliorer le rendement des réseaux.
Avec la crise de l’eau qu’on est en train de subir, il est primordial de surveiller notre consommation, d’empêcher tout détournement de l’usage de l’eau potable (agriculture ou industrie) et de lutter contre toute perte et gaspillage d’eau. Les compteurs d’eau intelligents représentent un moyen intéressant de suivi et contrôle de la consommation et peuvent permettre à la Sonede d’améliorer la gestion de l’approvisionnement en eau des abonnés, de réduire les pertes et améliorer le rendement du réseau et sa situation financière.
Tout ensemble
Avec le dérèglement climatique, il est nécessaire de préserver l’eau, cette ressource stratégique, vitale, de plus en plus rare et précieuse. Beaucoup reste à faire tant au niveau des disponibilités qu’au niveau de l’usage qu’on en fait. La Sonede doit œuvrer à améliorer le rendement de son réseau de distribution. Elle doit avoir une vraie politique de lutte contre les pertes et mettre en place un plan d’action antifuite opérationnel (détection des fuites visibles et non visibles, réparation dans les délais les plus brefs, rénover les canalisations, contrôler et remplacer les compteurs bloqués ou défectueux, mener des campagnes de sensibilisation auprès du consommateur…). Le gouvernement doit lui donner les moyens nécessaires pour réaliser ces objectifs.
Le citoyen doit exercer sa citoyenneté. Il doit veiller au meilleur usage de l’eau mis à sa disposition, à contrôler l’absence de pertes et fuites au niveau de son installation domestique. Il se doit également de dénoncer les raccordements sauvages, clandestins et signaler toute fuite d’eau ou canalisation cassée. La Sonede met à la disposition du public un numéro vert gratuit 80 100 319pour toute réclamation.
La question de l’eau potable domestique est une question de portée stratégique nationale. Nous sommes tous concernés (Etat, politiciens, Sonede, citoyen, société civile, la famille, tout le système éducatif, médias…), chacun doit jouer son rôle et accomplir son devoir pour le bien de notre patrie et l’avenir de nos enfants. «L’amour de la patrie est la première vertu de l'homme civilisé. »Napoléon Bonaparte.
Ridha Bergaoui
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