News - 20.08.2024

Abdelaziz Kacem: Aoûtien méli-mélo

Abdelaziz Kacem: Aoûtien méli-mélo

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Le mois dernier, j’étais en pèlerinage à Ruspina-Monastir. Si le Mausolée, dernière demeure du grand homme, garde encore sa splendeur, le Palais de Skanès est, en revanche, de plus en plus saccagé. La célèbre plage adjacente, elle, est toujours inconsolable de l’absence de son auguste baigneur. Sa baignade quotidienne, véritable bulletin de santé, ouvrait le JT de 20heures. Certains se fondant sur le caractère, forcément répétitif, de la scène, mirent en doute sa véracité: l’illustre nonagénaire eut été incapable de soutenir un tel effort physique. Jamais, pourtant, la TV n’eut à céder à une telle rediffusion en la matière. Bourguiba faisait réellement sa baignade, chaque matin.  Aujourd’hui, et si assourdissant que soit le vacarme du monde et en dépit des déchirures indélébiles que les épines des roses maudites d’un faux printemps firent subir à la mémoire, rien ne saurait faire taire en moi le tintement des célébrations fondatrices.

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Et me reviennent les festivités du 3 août. Deux semaines durant, chaque gouvernorat, fort de ses poètes et artistes, se produisait devant le leader, ajoutant sa note à la joute. Les esprits chagrins n’y voyaient que de dispendieuses dépenses pour flatter l’ego du chef. Pour l’intéressé, ces récitals visaient à faire éclore les talents. En poésie, il cherchait son Mutanabbi. Par-delà les individualités récompensées, les subsides consentis par les Affaires culturelles profitaient aussi aux diverses troupes régionales et locales. Sur ces solennités, se greffait la fête du 13 août. Le Code du statut personnel (CSP), véritable émancipation des femmes, en instaurant l’égalité des sexes. L’abolition de la polygamie a été le premier coup de pioche pour abattre les murs du harem. 

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Entretemps la machine à dérégler le monde continue de s’emballer en Ukraine et en Palestine occupée. On en oublie ses propres problèmes, énormes, pourtant. Occupons-nous de nos affaires, dit la bien-pensance. Or notre destin se joue aussi, là-bas, au-delà de nos frontières. La guerre palestino-israélienne entre dans son onzième mois sans espoir d’un cessez-le-feu. Résiliente, la résistance résiste. Démoralisée, Tsahal perd ses dernières illusions. À court d’armes et de munitions, Israël quémande. Les donateurs occidentaux sont ruinés et commencent à rechigner. Netanyahu est obligé d’aller frapper aux portes de l’Inde. Son homologue, le raciste Modi, acceptera-t-il de lui fournir de quoi remplacer ses Merkavas sans nombre dont les vaillants Gazaouis ont fait un cimetière de ferraille ?

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Certes, la soldatesque sioniste peut encore massacrer les enfants, les femmes et les vieux. Mais l’heure d’un premier bilan a sonné. Tsahal n’a plus la suprématie aérienne. Les drones de la résistance libanaise et yéménite peuvent déjà l’atteindre là où ils veulent et quand ils le veulent. Sans la protection  des États-Unis et de leurs satellites européens, la survie de l’État hébreu serait pour le moins incertaine.

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Soutenus servilement par la quasi-totalité des médias occidentaux, les sionistes ont beau agiter le chantage à l’antisémitisme contre quiconque osant  accuser le gouvernement talmudique de Tel-Aviv de génocide, les yeux se décillent et les langues se délient. C’est important la langue. Elle vous décoche un mot bien tourné et vous êtes durablement épinglé. Dès la première semaine de la guerre, le célèbre Urban Dictionary, qui répertorie les néologismes et les expressions argotiques, a ajouté, l’expression «getting Israeled» (se faire israéler). Les réseaux sociaux en ont largement usé. Le message a été bien capté par les concernés. Jonah Steinberg, directeur pour la Nouvelle-Angleterre de l’Anti-Defamation League (ADL), en donne une définition au Times of Israel : «Le verbe israéler est utilisé pour revendiquer, de manière hostile, quelque chose qui n’est pas à soi. Cela implique que les Juifs n’ont aucune légitimité en Israël».

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Qui se souvient de la résolution 3379 de l'Assemblée générale des Nations unies. Adoptée le 10 novembre 1975 par un vote de 72 contre 35 et 32 abstentions, avec pour titre «Élimination de toutes les formes de discrimination raciale», il y est affirmé: «Le sionisme est une forme de racisme et de discrimination raciale». C’était au temps où le Groupe des 77 pesait aux Nations unies d’un poids non négligeable. Israël et les États-Unis en étaient outrés, au bord de l’apoplexie. Ils n’ont eu de cesse de la faire abroger. À la faveur de l’effondrement de l’Urss, la résolution a été révoquée le 16 décembre 1991 par l'Assemblée générale des Nations unies. Certains pays parmi ceux qui l’avaient votée durent abjurer, moyennant quelque pourboire prodigué par l’Oncle Sam. À présent, indirectement, le sionisme est renvoyé à ses tares par la CPI, la CIJ et la jeunesse estudiantine du monde.

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Naguère, de par le monde, l’Occident bénéficiait d’une admiration craintive. Jouant du bâton et de la carotte. Il avait une bonne partie du monde à sa botte. Allant à présent de crise en crise, il n’a pratiquement plus de carotte en alternative. Il est toujours dangereux d’affronter les USA et ses acolytes, mais force est de constater que l’Occident a bradé son soft power. Le dernier duel médiatique Biden/Trump illustre l’irrémédiable trivialité des protagonistes ainsi que la désolante vacuité de leur débat. En vérité, partout, le niveau baisse. Mû parfois par un irrésistible élan d’optimisme, je me surprends à penser à une reprise du dialogue des cultures. Quand je regarde la rive d’en face, hélas, je ne distingue plus aucun vis-à-vis. J’en ai connu plusieurs au bon vieux temps.

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Le poète s’en allant à la recherche de son vieil ami Voltaire, désormais introuvable:

Je te cherche à Ferney dans le frimas d’octobre
Depuis que dans Paris baillant
Son restant de lumière
Impassible la Seine a passé son chemin.

Abdelaziz Kacem