News - 07.08.2024

Radhouane Nouicer, Expert de l’ONU pour les droits de l’Homme au Soudan: Une solution politique urgente s’impose au Soudan pour éviter plus de souffrances aux civils soudanais

Radhouane Nouicer, Expert de l’ONU pour les droits de l’Homme au Soudan: Une solution politique urgente s’impose au Soudan pour éviter plus de souffrances aux civils soudanais

Une catastrophe humanitaire sans précédent ne cesse de s’amplifier au Soudan. Alors que les combats embrasent de nombreuses régions, l’ampleur des violations des droits de l’Homme et abus commis sont effroyables. Les appels à la cessation des hostilités entre les deux parties en guerre fratricide, l’armée, commandée par le général Abdel Fattah Abdelrahman Al-Bourhane, et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) et pour engager un processus de paix global et inclusif, se multiplient sans pour autant aboutir. Des dizaines de milliers de morts, plusieurs millions de personnes déplacées et une famine menaçante : un véritable drame qui nous interpelle.
Expert des Nations unies pour les droits de l’Homme au Soudan, Radhouane Nouicer, nommé en décembre 2022 par le Haut-Commissaire des Nations unies pour les droits de l’Homme, est à pied d’œuvre. Pendant plus de trente ans, ce juriste diplômé de l’ENA et ancien haut fonctionnaire tunisien, a occupé des postes de haut niveau aux Nations unies, notamment à l'Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et au Bureau de la coordination des affaires humanitaires (Ocha). En 2011, il a également été secrétaire d'État aux Affaires étrangères du gouvernement tunisien de transition, avant d’assumer de nouvelles missions pour le compte des Nations unies, jouissant d’une grande expertise, notamment en matière de questions humanitaires et de réfugiés, et de protection des civils dans les pays en conflit ou sortant d'un conflit.
Mi-juillet dernier, Radhouane Nouicer a mené une mission de cinq jours sur le terrain au Soudan, le conduisant notamment à Port-Soudan. De ses constats de la situation absolument désastreuse dans le pays et de la teneur de ses entretiens, il a accepté de répondre aux questions de Leaders, joignant à ses propos un appel aux deux parties en guerre et à la communauté internationale.
Interview

Depuis fin 2022, vous êtes expert des Nations unies pour les droits de l’Homme au Soudan. Comment avez-vous trouvé la situation dans ce pays en prenant vos fonctions, puis comment s’est-elle dégradée depuis le déclenchement de la guerre civile en avril 2023

Ma première visite au Soudan dans ma présente fonction a eu lieu fin janvier/début février 2023 juste après la signature de l’Accord politique cadre (APC) signé par une grande partie des acteurs politiques et militaires du pays et au moment où le pays était en pleine gestation politique avec des consultations populaires massives, facilitées par les Nations unies, l’Union africaine et l’Igad, sur les cinq questions contentieuses laissées en suspens dans le cadre de l’APC. Ces questions concernent le démantèlement de l’ancien régime, la mise en œuvre de l’accord de paix de Juba, la situation à l’est du Soudan, la justice transitionnelle et la réforme du secteur de la sécurité. Ces consultations devaient aboutir à un accord politique final, une constitution transitoire et la formation d’un gouvernement civil.

La question relative à la réforme du secteur de la sécurité, qui comprend en particulier l’intégration des deux forces armées du pays, à savoir les Forces armées soudanaises (SAF) et le corps paramilitaire des Forces de support rapide (RSF), était l’élément le plus sensible du processus qui, à l’aube du 15 avril 2023 et malgré des efforts de médiation soutenus par plusieurs acteurs internationaux influents, a fini par faire éclater la guerre entre les deux forces armées. Clairement, les deux chefs militaires ont décidé de régler leur conflit sur le champ de bataille plutôt qu’autour de la table de négociations.

Vous rentrez de Port-Soudan et vous alertez la communauté internationale quant à une situation humanitaire désastreuse sans précédent des droits de l’Homme au Soudan. L’ampleur de la violence est effroyable et les cas d’abus sexuels sont en augmentation. Qu’est-ce qui a le plus retenu votre attention?

Depuis, et après plus de 15 mois d’opérations militaires fratricides, le Soudan se trouve au bord du chaos. Le caractère urbain de ce conflit, sa continuation et son expansion incessante, combinés avec la négligence par les parties au conflit des règles fondamentales du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits de l’Homme, ont abouti à des scènes de violence sans précédent. Les morts et blessés parmi les civils se comptent par dizaine de milliers, la plupart des services publics, santé, éducation, justice, sécurité, sont à l’arrêt, plusieurs millions de Soudanais ont été forcés de quitter leur domicile à la recherche de sécurité à l’intérieur ou à l’extérieur du pays. Plusieurs autres millions restent confinés chez eux sans ravitaillement, sans pouvoir sortir par peur pour leur sécurité.Des infrastructures privées et publiques, écoles, hôpitaux, lieux de prière, marchés et même des lieux de stockage de l’aide humanitaire ont été pillés, incendiés et dévastés. L’économie du pays est décimée et, dans certaines régions, les gens se trouvent obligés de manger des feuilles d’arbre pour pouvoir survivre. A ce jour, les agences humanitaires des Nations unies estiment que 25 millions de Soudanais ont besoin d’aide humanitaire, 18 millions d’enfants sont hors des bancs de l’école et une grande partie de la population est au bord de la famine.

Parmi les phénomènes les plus répugnants de ce conflit, je note i) les cas constatés et documentés par les Nations unies et plusieurs agences humanitaires de violences sexuelles, menées en particulier par les membres des troupes RSF et leurs milices alliées, contre les femmes et filles, particulièrement dans les régions de Khartoum et du Darfour; ii) les attaques sur des civils sur une base ethnique. Le cas le plus notable est celui des attaques menées par les troupes RSF contre les Soudanais Masalit dans l’Ouest du Darfour en avril 2023; et iii) la mobilisation forcée de jeunes et le recrutement d’enfants pour leur participation aux opérations militaires.

Quelle a été la teneur de ces réunions?

Ma visite récente à Port-Soudan m’a permis de rencontrer des hauts responsables des autorités transitoires soudanaises, des responsables des Nations unies, des représentants d’ONG locales et des personnes déplacées abritées dans une école aux alentours de Port- Soudan. Cette visite m’a permis de constater la profonde souffrance et le sentiment de désespoir que subissent la majorité des citoyens soudanais et la gravité de la situation sur le plan humanitaire et des droits de l’Homme.Dans mes discussions avec les autorités, qui se sont déroulées dans un climat de franchise, de transparence et de respect mutuel, j’ai mis l’accent sur les quatre points suivants:

1) La protection des civils et en particulier l’arrêt immédiat des attaques indiscriminées sur des quartiers résidentiels et l’utilisation d’armes explosives à vaste portée dans les zones peuplées, souvent sans préavis et sans mesures préalables visant à protéger les civils;

2) La facilitation de l’aide humanitaire quels que soient sa destination et ses bénéficiaires et à travers tous les points de passage possibles internes et externes;

3) La levée de la pression dont font l’objet les représentants de la société civile, les journalistes, les avocats et les défenseurs des droits de l’Homme, quelle que soit leur opinion ou leur appartenance politique. A ce propos, j’ai insisté sur le fait que la liberté d’expression ne doit en aucun cas mener son auteur en prison ou à des procédures judiciaires. J’ai également exprimé mon inquiétude face aux arrestations et détentions arbitraires dans le cadre de la mise en œuvre de l’état d’urgence dans certaines régions;

4) La délimitation de la responsabilité en matière de violations des droits de l’Homme et la cessation du climat d’impunité qui a caractérisé la vie publique au Soudan pendant des décennies. Toute violation et tout abus doivent être vérifiés, documentés et leur auteur, peu importe son affiliation, doit être soumis à un processus judiciaire juste et transparent. Les autorités m’ont permis d’insister sur le fait que la guerre en cours est insensée, qu’elle ne fait qu’approfondir le fossé entre les diverses communautés soudanaises et ne mènera à rien. J’ai encouragé mes interlocuteurs à s’engager sincèrement dans des négociations politiques dans le but de trouver un règlement pacifique au conflit. Les jours à venir vont nous montrer si certains de ces messages ont été entendus.

Quels messages adressez-vous à la communauté internationale ?

Ma visite à Port-Soudan a également été l’occasion pour lancer un appel à la communauté internationale, l’invitant à accorder plus d’attention à la tragédie que connaît le Soudan, à montrer plus de générosité dans le financement du budget de la réponse humanitaire qui, à ce jour et malgré la conférence de Paris le 15 avril dernier, ne dépasse pas les 18 pour cent du budget requis et, surtout, à œuvrer pour amener les parties au conflit à s’asseoir autour d’une table pour régler leur conflit d’une façon pacifique et civilisée afin d’éviter à leur pays plus de destructions et de souffrances.