Zouhair Ayadi: La plume et l’olivier
Trois vies en une ! Zouhair Ayadi (1906-1980) aura intensivement traversé le siècle dernier, en s’adonnant à ses multiples passions. D’abord, l’action militante au sein de la gauche tunisienne alors naissante, puis le mouvement national. En parallèle, le journalisme engagé. Et dans ce prolongement, l’agriculture, n’hésitant pas à tenter des greffes et aboutir à de nouvelles variétés d’amandes et autres. Peu connu auprès des nouvelles générations, il bénéficie désormais d’un livre richement documenté rédigé par un historien rigoureux, Kamel Hakim. Sous le titre de Zouhair Ayadi, mémoire de combat dans la politique, la presse et le sport, paru aux Editions Leaders, l’auteur revisite un parcours des plus rebondissants.
Natif de Sfax en 1906, Zouhair Ayadi, orphelin de mère, était bercé par le récit de son grand-père Ali Ayadi, embarqué par l’armée française dans la guerre de Crimée (1853-1856), avant de s’engager dans la résistance de la ville contre l’occupation française en juillet 1881. Il sera alors nourri de patriotisme et dévoué au combat contre le colonialisme. Très jeune, il accèdera, au début des années 1920, au collège Sadiki et plongera surtout dans l’effervescence politique de la capitale. C’est ainsi qu’il se joindra aux fondateurs de la Jeunesse communiste en 1921, côtoiera Robert Louzon, Ahmed Ben Miled et Jean-Paul Findori, se distinguera par ses discours enflammés, soutiendra la naissance du parti destourien, appellera au boycott de la visite envisagée par le président français Alexandre Millerand et autres actions. Arrêté, il finira par être remis en liberté. Mais il sera exclu du collège Sadiki et décidera alors de s’inscrire en 1923 à l’Ecole coloniale d’agriculture de Tunis dont il sera diplômé.Ses années à Tunis, Zouhair Ayadi les passera, surtout, très actif au sein des mouvements politiques et sociaux, parmi les grandes figures de la gauche et du syndicalisme ouvrier, ainsi que des dirigeants politiques (Tahar Sfar, Chedly Khairallah…), écrivant dans différents journaux. De L’Avenir social au Petit matin, mais aussi Tunis soir, il exercera une plume affûtée exprimant avec talent et persuasion la force de son engagement patriotique. Polémiste, chroniqueur, analyste, sa maîtrise de la langue française dans ses nuances les plus subtiles et son argumentation structurée confèreront à ses texte une large audience.
A Sfax, il préparera la visite de Mohamed Ali Hammi, le 14 novembre 1924, couronnée par la constitution du syndicat ouvrier de la compagnie Sfax-Gafsa, le 18 novembre 1924, et le lendemain, de celui des dockers du port.
Le CSS, la culture et l’action politique
Quand il s’installera dans sa ville natale, Zouhair Ayadi prendra la rédaction en chef du journal L’Echo de la presse, premier journal régional en langue française fondé en 1922 par Ahmed Souissi (qui le cèdera en 1925 à Ahmed Hassine Mehiri). Mehiri lancera en 1927 son propre journal La Tunisie nouvelle, mais décidera rapidement de s’en retirer, le confiant à Ayadi. Chaque numéro sera alors un nouvel exercice de journalisme militant, où informations et analyses viennent soutenir le mouvement national et éclairer les lecteurs, mais aussi croiser le fer avec la presse des colons et contrecarrer leurs arguments. Ses articles, vifs et piquants, resteront dans les annales, jusqu’à ses dernières publications avant son décès en 1980.Sans se limiter à la presse qui fera partie, sa vie durant, de son ADN, Zouhair Ayadi se mobilisera pour la fondation en 1928 du Club Tunisien (l’ancêtre du CSS). Il sera le premier président de son comité directeur. Il œuvrera également à la création de différentes associations culturelles, musicales et théâtrales. Il soutiendra la naissance du Néo-Destour, et rejoindra les fondateurs en 1934, de la première cellule à Sfax, Hédi Chaker, Mohamed Charfi, Saïd Guirat et Abdallah Mellouli, réunis dans la boutique de Habib Meziou, rue de La Mecque, dans la médina.
Les amandes Ayadi
Renouant avec l’agriculture qu’il avait étudiée à l’Ecat, il se consacrera à la mise en valeur et à la plantation d’oliviers, puis d’amandiers et d’autres arbres fruitiers. Zouhair Ayadi fera alors preuve de labeur et de persévérance, mais aussi d’innovation dans la greffe. Une variété d’amandiers, plus résistants au climat aride, donnera des amandes qui portent son nom. Au lendemain de l’indépendance, dans les querelles intestines, des allégations quant à l’origine de sa propriété agricole, prétendument concédée par les autorités coloniales à des conditions avantageuses, lui porteront ombrage. Mais il finira par obtenir gain de cause, preuves à l’appui.
Le sens d’une vie
Une fière allure, le teint clair, les yeux pétillants, un tarbouche rouge vif, et des costumes bien taillés dans des tissus de qualité ! Tout en lui était raffinement. Chaque matin, Zouhair Ayadi arrivait de son Jnen, en proche banlieue de Sfax, et arpentait les rues de la médina, saluant les uns, conversant avec les autres, commentant l’actualité et évoquant de vieux souvenirs. Puis, il accédait au quartier européen, pour acheter son journal et s’attabler à la terrasse du Café de la Paix (ex-La Régence) où il avait ses habitudes.
Le militant irréductible, le journaliste talentueux et l’agriculteur laborieux forgeront les traits de son caractère, le sourire en plus. Puisant dans une riche documentation consultée aux Archives nationales et fournie par la famille, l’auteur, Kamel Hakim, s’y exercera soigneusement. Titulaire d’un doctorat de troisième cycle obtenu à la faculté des Sciences humaines et sociales (9-Avril, Tunis), il est enseignant et chercheur en histoire sociale et culturelle et auteur de nombreuses publications.Dans cet ouvrage, il appliquera la méthodologie rigoureuse d’un chercheur universitaire sans complaisance, et l’attention d’un historien spécialisé dans la région de Sfax et de ses multiples composantes. Son livre nous fait découvrir une figure d’exception qui a croisé tout au long d’un parcours intense des pans significatifs de l’histoire contemporaine de la Tunisie. Comprendre les ressorts de Zouhair Ayadi, c’est décrypter un vécu si riche et si dense. Mais aussi le sens d’une vie.
Zouhair Ayadi,
Mémoire de combat
dans la politique, la presse et le sport
de Kamel Hakim
Editions Leaders, juin 2024,
132 pages, 28 DT
En librairies et sur
www.leadersbooks.com.tn