Tunisie: Le long éveil à la démocratie
Par Habib Touhami - Comme beaucoup de Tunisiens de ma génération, je n’étais pas démocrate à vingt ans. Je pensais alors qu’on pouvait faire le bonheur des gens «à l’insu de leur propre volonté». Il faut dire que personne en Tunisie n’était vraiment démocrate à l’époque. Ni les destouriens, ni les gauches, ni les nassériens, ni les baathistes, ni les zeitouniens, encore moins les proto-islamistes et ce qui restait des partisans de Salah Ben Youssef ! Aucun n’était sincèrement démocrate. Certains en brandissaient l’étendard, oui, mais c’était juste pour enquiquiner le régime politique en place. Pour toutes les forces politiques en présence, le temps n’était pas encore venu à la démocratie. Il suffit de lire la «littérature» politique des années soixante pour s’en convaincre.
Force est de reconnaître cependant que ce sont bien les défroqués de l’internationalisme communiste qui ont été les premiers à braver certains interdits. Par opportunisme, tactique politicienne ou mimétisme «importé», peu importe! A la recherche d’une noble cause de substitution, ceux-ci ont fait de la défense de la démocratie et des droits de l’homme le chemin conduisant à leur rédemption. Mais intra-muros, ce sont bien quelques destouriens iconoclastes qui ont posé le problème en termes de gouvernance politique, partant de ce qui se passe à l’intérieur de leur parti. Ces précurseurs, minoritaires au départ, ont pris conscience que le régime du parti unique, l’exercice solitaire du pouvoir et le culte de la personnalité étaient devenus anachroniques et qu’ils finiraient par ralentir ou bloquer le processus du développement socioéconomique du pays.
Car en dépit des grands mérites de ses fondateurs, jamais la Ligue tunisienne des droits de l’homme (Ltdh), fierté du pays, n’aurait réussi à perdurer si certains destouriens ne l’avaient pas soutenue de l’intérieur même du système. Jamais l’Ugtt, autre force de progrès, ne se serait convertie à la défense de la démocratie si ses principaux dirigeants, presque tous destouriens, n’avaient pas encouragé cette conversion en sous-main. Jamais l’ouverture politique du début des années quatre-vingt n’aurait réussi à abattre certains murs érigés par Bourguiba si des destouriens n’avaient pas accepté de courir le risque d’être un jour désavoués ou balayés. Ces faits sont historiques et ne peuvent plus être cachés au grand public. C'est d’ailleurs tout à l’honneur de ces destouriens d’avoir accepté de jouer le mauvais rôle dans cette affaire, laissant le bon à leurs détracteurs.
Il n’en demeure pas moins inquiétant de constater qu’il n’est pas aisé de défendre la cause de la démocratie dans un pays comme le nôtre. Au fond, les Tunisiens sont plus «calibrés», culturellement et cultuellement parlant, à se battre pour la patrie ou la foi qu’en faveur de la démocratie et des droits de l’homme. Ce qui se passe en Tunisie depuis le 14 janvier 2011 le prouve amplement. La majorité des Tunisiens rend la démocratie seule responsable des malheurs du pays et de la dégradation de son niveau de vie. Conclusion sommaire qui révèle le peu de confiance que cette majorité place dans l’efficience du régime démocratique en matière économique alors qu’il est établi universellement qu’il n’existe pas de progrès socioéconomiques durables sans démocratie.
Habib Touhami