News - 27.06.2024

Comment sortir de la trappe des pays intermédiaires? Quelques commentaires sur l’essai de A. Zouari et H. Fehri «L’économie tunisienne à l’épreuve de la démocratie. Acteurs, Institutions et Politiques»

Comment sortir de la trappe des pays intermédiaires? Quelques commentaires sur l’essai de A. Zouari et H. Fehri «L’économie tunisienne à l’épreuve de la démocratie. Acteurs, Institutions et Politiques»

Par Hakim Ben Hammouda

1. Être universitaire, une vocation

En faisant un compte-rendu de cet important essai, on ne peut ne pas commencer par rendre hommage au grand universitaire le professeur Abderrazak Zouari. On a toujours évoqué la vocation en parlant des universitaires et Abderrazak Zouari a illustré cette vocation sur le bout des doigts. Cette vocation a été illustrée d’abord par des enseignements de qualité doublée d’une pédagogie qui a fait de la transmission du savoir un art. Elle est également présente dans cette empathie et ces rapports teintés de respect et d’amitié avec des générations entières d’étudiants qui assument aujourd’hui les plus hautes fonctions dans notre pays et à l’international.

Cette vocation s’exprime aussi par un engagement sans faille vis-à-vis de l’université qu’il n’a jamais voulu quitter. Un rapport avec l’université qui frôle le rapport amoureux. C’est depuis longtemps que lors des moments difficiles et moroses que le professeur Zouari s’est réfugié auprès de l’université pour retrouver son allant et sa joie de vivre.

Rendons donc hommage à celui qui illustré dans sa pratique la vocation d’universitaire.

2. Le Constat

Revenons à l’essai de nos mains. Il s’agit d’une contribution importante au débat sur les origines de cette crise économique qui dure depuis plus de deux décennies et cette difficulté de la transition vers un nouveau modèle de développement basé sur les nouvelles technologies, l’intelligence et l’innovation.

Cet essai allie la clarté et la pédagogie pour traiter de questions économiques complexes sans céder à la facilité, tout en maintenant une grande rigueur scientifique.

Il commence par tracer la longue histoire économique de la Tunisie depuis le début des années1970 ainsi que les grandes crises qui l’ont marqué. Cette longue séquence historique est subdivisée par les auteurs en quatre moments importants. Le premier est celui qui a commencé à la fin de l’expérience socialisante des années 1960 où la Tunisie avait mis en place des réformes axés sur le marché, la réduction du rôle de l’Etat et le développement du secteur privé.

Le deuxième moment est celui qui a commencé avec la crise de la dette et la mise en place du Programme d’ajustement structurel où la Tunisie s’est inscrite dans un modèle de développement extravertie inspiré par le consensus de Washington sous l’égide des institutions de Bretton Woods. Ces choix ont permis de retrouver la stabilité macroéconomique.

Le troisième moment commence en 1995 avec l’adhésion de la Tunisie à l’OMC et la mise en place du Programme de mise à niveau pour renforcer la compétitivité des entreprises tunisiennes suite à l’accord de libre-échange avec l’Union européenne.
Enfin, le quatrième moment a commencé après 2011 où l’accent a été mis sur les réformes politiques et institutionnelles et les questions économiques ont été renvoyées aux Calendes grecques.

Les auteurs font une analyse sans concessions mais en même temps réaliste de cette longue séquence historique.

Au cours de cette séquence, la Tunisie a connu des rythmes de croissance assez élevés, un renforcement de l’investissement et une grande diversification de ses structures productives ainsi que le développement d’un secteur privé dynamique.

Les acquis ne se sont pas limités au niveau économique mais ont également touché les aspects sociaux avec un développement rapide des secteurs sociaux particulièrement l’éducation et la santé.

C’est cette dynamique économique et sociale qui est au cœur du contrat social qui a été le fondement des rapports entre l’Etat et la société.

Mais, en même temps, cet essai met l’accent sur les limites de cette dynamique et la multiplicité des crises qu’elle a traversé en 1978, 1984, 1986 et qui ont menées à la crise ouverte du système et à sa chute en 2011.

Les auteurs se sont particulièrement intéressés à l’essoufflement du système à partir du tournant du siècle. Ils ont mis en exergue les principaux indicateurs de cet essoufflement comme la faiblesse de la croissance, la chute de l’investissement et de l’épargne, la perte du poids relatif de l’industrie.

L’analyse de ces indicateurs leur a permis de souligner le caractère structurel de cet essoufflement et l’incapacité de la Tunisie à inventer un nouveau modèle de développement.

3. L’hypothèse

Pour analyser cette crise les auteurs se sont saisis de l’hypothèse de la trappe des pays intermédiaires développée par I. Gill et H Kharas pour comprendre les blocages du développement de certains pays en développement. Certes, ce concept parait, comme le reconnaissent ses auteurs, difficile à définir. Mais, il a donné lieu à une importante littérature dans les études sur le développement à partir de son apparition en 2007.

C’est à ce concept que Mustapha Kamel Nabli a eu recours pour faire une analyse comparative des dynamiques de développement entre la Tunisie et les pays asiatiques d’un côté et les pays arabes de l’autre.

Ce concept cherche à comprendre les raisons de l’enfermement des pays intermédiaires dans une trappe qui rend leur transition vers de haut niveau de productivité et de revenu -comme c’est le cas pour les pays émergents ou les BRICS- difficile voire même bloquée. Ce blocage s’explique par plusieurs raisons dont l’absence d’un secteur privé dynamique, le faible niveau de développement de l’innovation.

C’est à ce concept que les auteurs vont recourir pour comprendre ce blocage de l’accumulation en Tunisie. Mais, ils ne se limiteront pas à une reprise de ce concept et des travaux qui ont été effectués dans d’autres pays ou dans le cas de la Tunisie. Ils vont au contraire introduire une innovation théorique majeure en essayant de comprendre cette trappe dans l’interaction du politique et de l’économique.

4. L’analyse

Ainsi, cet essai est structuré autour deux grandes parties pour comprendre notre enfermement dans cette trappe. La première s’intéresse aux questions politiques et met en exergue des questions essentielles, dont l’instabilité politique, la question de la gouvernance et des institutions, les difficultés de mise en œuvre des réformes ainsi que l’avènement du populisme et son développement au cours des dernières années.

La seconde partie de cet essai nous a offert les clés économiques de cet enfermement en mettant l’accent sur des questions importantes dont la dette publique, la politique monétaire, le chômage et l’inclusion financière.

Cette interaction entre les aspects politiques et économiques dans la lecture des raisons du blocage de notre économie dans un modèle basé sur les faibles coûts de main d’œuvre depuis le début des années 1970 constitue une contribution novatrice dans le débat économique.

5. Les propositions

La contribution de cet essai ne se limite pas à l’analyse et à la lecture des raisons profondes de cette crise mais comporte également des propositions sur les moyens de sortie de cette trappe. Ces propositions s’articulent autour du thème « innover ou périr » proposé par les auteurs et qui met l’accent sur l’innovation, la science et la technologie et l’éducation. Le but ultime étant d’échapper à cet enfermement, ouvrir de nouvelles perspectives à notre développement, redonner l’espoir aux jeunes et faire face à la marginalité et au chômage.

H.B.H.

L’économie tunisienne à l’épreuve de la démocratie
Acteurs, Institutions et Politiques

Abderrazak Zouari et Hamadi Fehri
Editions Leaders, 308 pages, 50 DT
En librairies et sur www.leadersbooks.com.tn

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