Aïd al Idha: Une fête aux multiples significations (Album photos)
Par Ridha Bergaoui - L’Aïd al Idha approche à grands pas. Depuis plus de 1 400 ans, les musulmans célèbrent cette grande fête qui commémore un épisode du Coran dans lequel Dieu ordonne à Abraham d’égorger son fils. Le père s’exécuta, heureusement l'enfant fut épargné, l'ange Gabriel l'ayant remplacé, au dernier moment, par un mouton. L’Aïd el Idha est célébré le dixième jour du dernier mois hégirien (dhou al hejja) et marque la fin du pèlerinage à La Mecque par le sacrifice d’un mouton.
Les temps passent mais la fête survit toujours avec comme vedette principale un animal à sacrifier, à se partager et à consommer en famille. En effet, il est possible de sacrifier un mouton, un bouc, un bœuf ou un dromadaire. Le mouton est le plus souvent utilisé pour ce sacrifice puisqu’il est en accord avec le récit religieux. C’est également l’animal dont l’élevage est le plus fréquent, les effectifs les plus élevés et dont la taille et le prix conviennent bien pour célébrer une fête familiale. La qualité, la tendreté et la saveur de la viande de mouton sont également des facteurs importants.
Sacrifier un mouton pour célébrer une occasion importante (mariage, naissance, construire une maison, ou même recevoir un hôte important) est une très vieille habitude. La symbolique de la viande n’a pas un rapport avec son prix mais plutôt parce qu’il fallait tuer un animal, lui ôter la vie et le vider de son sang avant de la consommer. Poisson, animaux sauvages et oiseaux ne peuvent faire l’objet du sacrifice rituel.
Au-delà de l’aspect nutritionnel important de la consommation de la viande, l’Aïd al Idha revêt de nombreuses significations.
Une dimension spirituelle
L’Aïd al Idha est un jour spécial et une occasion religieuse des plus importantes. La fête commence tôt le matin avec la prière de l’Aïd dans les mosquées, les takbirs et les prêches des imams. C’est un moment émotionnel exceptionnel et émouvant où se mêlent des sentiments de piété, d’amour et d’empathie : on s’embrasse, on se serre la main, on donne des accolades à des inconnus, on leur souhaite bonne fête et on échange avec eux quelques mots gentils. L’imam termine généralement son prêche en recommandant aux présents de ne pas prendre le même chemin que celui emprunté pour venir à la mosquée afin de rencontrer d’autres personnes à qui souhaiter bonne fête.Après la prière, le sacrifice du mouton peut commencer. Celui-ci va au-delà du simple abattage d’un animal vivant. Il a un sens spirituel, il symbolise la volonté de se rapprocher de Dieu et de renforcer sa foi. Le mouton de l’Aïd représente une offrande à Dieu et la plus grande partie de la carcasse doit être en principe donnée aux pauvres et aux nécessiteux.
En Islam, la viande est un aliment qui revêt une importance capitale. C’est l’un des produits dont les conditions de consommation sont très strictes et bien réglementées. La liste des espèces d’animaux dont la chair est licite est bien spécifiée. Le porc est absolument interdit ainsi que les animaux de la même espèce (sanglier…). L’animal étouffé, étranglé, assommé avec un bâton ou autre instrument, mort à la suite d’une chute ou d’un coup de corne, d’une décharge électrique, ou dévoré par un fauve est également illicite. Toute bête sacrifiée pour autre chose que Dieu ne peut être consommée par un musulman pratiquant.
En Islam, tuer un animal est une opération grave et importante. Oter la vie à un animal est bien institué et répond à un protocole précis. La façon d’abattre l’animal, sans surtout le faire souffrir, est également bien réglementée (le sacrificateur, l’instrument et l’opération de la mise à mort). Une pratique bien connue chez nous consiste à faire flairer au mouton des odeurs d’encens (bkhourou ouchak) qui brûle dans un kanoun. Il semble que ces odeurs exercent un effet étourdissant et anesthésiant sur le mouton, ce qui facilite l’opération du sacrifice et allège la souffrance de la bête au moment du sacrifice.
Une fête familiale par excellence
L’Aïd est une occasion pour se retrouver en famille, renouer et resserrer les liens familiaux. Les Tunisiens restent encore attachés à la famille et nombreux sont ceux qui rentrent au village natal pour fêter l’Aïd et égorger le mouton.
Visiter ses parents, rendre visite et revoir des membres de la famille plus ou moins éloignés après une absence est une excellente tradition d’échange intergénérationnel, de partage et de convivialité dont l'effet sur le moral est incontestable. C’est une excellente occasion pour récupérer moralement et se « recharger les batteries » pour se sentir bien et redémarrer dans de bonnes conditions.C’est également une opportunité pour exprimer son amour, son affection et cela renforce les liens entre les différents membres de la famille et de la société en général. L’Aïd est enfin un précieux moment pour gommer les différends, les tensions et dépasser les malentendus et conflits.
L’Aïd est la fête des aînés, les parents et les grands-parents, qui vivent de nos jours de plus en plus isolés, et qui, en ce jour de fête, reçoivent les enfants et petits-enfants pour passer la journée ensemble. C’est également la fête des petits qui, durant quelques jours, ont l’occasion de lier amitié avec le mouton, de s’en occuper et de passer de bons moments en sa compagnie et en présence des gamins du quartier. C’est une bonne leçon pour le petit qui vit une expérience originale avec ses deux contraires, l’amour et la séparation brutale.Se réunir ensemble autour d’un mouton, le sacrifice et ses rites, allumer le feu pour la grillade et se mettre autour de la table pour goûter à la viande est une fête qu’on ne peut espérer généralement que le jour de l’Aïd al Idha. C’est un moment où on aime être tous ensemble pour rigoler, se faire plaisir, passer du bon temps et bien se régaler.
L’abattage du mouton est enfin une occasion pour de nombreux connaisseurs et fins gourmets de manger des plats traditionnels exceptionnels et très particuliers dont seules nos mères maîtrisent bien les recettes. Ces plats qu’on n’a pas souvent l’occasion de manger avec le mode de vie contraignant qu’on est en train de mener. Ces plats délicieux comme la daouara ou osbene, préparée à partir des abats du mouton en couscous, ou une bonne tête de mouton et pattes en sauce ou en rôti.L’Aïd El-Kebir est une fête familiale mais aussi une fête de l’ouverture vers les autres, de l’échange et du partage. C’est également un temps pour faire preuve de bonté et de générosité. Une fête symbole de l’entraide et de la solidarité.
En principe, il est recommandé de ne consommer qu’une partie du mouton du sacrifice et d’offrir la plus grande part aux pauvres et aux nécessiteux. En réalité, à chacun ses moyens. Certains peuvent se permettre d’offrir des moutons vivants à des familles incapables d’en acheter. D’autres, le jour du sacrifice, donnent une partie de la carcasse, allant de la moitié aux deux tiers. Priorité aux familles ou voisins qui n’ont pu sacrifier faute de moyens, aux mendiants, aux pauvres…
La viande donnée revêt une importance capitale. Outre sa valeur alimentaire, elle permet aux exclus de la société, aux pauvres et démunis d’entrer dans la fête et de célébrer l’Aïd comme tout le monde en mangeant de la viande. L’Aïd est un moment de tolérance, de partage et de générosité qui nous unit malgré la différence.
L’Aïd, une manne pour de nombreuses personnes
La vente des moutons représente un marché colossal (en comptant un million de moutons sacrifiés le jour de l’Aïd et à raison de 1 000 DT/mouton, ce marché représente au moins un milliard de dinars). Cet argent injecté dans la campagne va revenir aux petits agriculteurs-éleveurs, permet de redynamiser le milieu rural et relancer les activités économiques et commerciales.
La vente des moutons est une occasion pour les petits éleveurs d’écouler leurs animaux et de réaliser des recettes importantes pour le démarrage de la nouvelle saison agricole. L’élevage des petits ruminants est source de recettes, une forme d’épargne et une source de trésorerie. Le meilleur moment de vendre ses animaux est l’Aïd où la demande est assez forte et les prix intéressants.
Enfin, la fête de l’Aïd al Idha est une occasion, pour de nombreuses personnes, parmi les chômeurs et les plus démunis, pour exercer de petits métiers (transport des animaux, vente de foin, charbon, kanoun et autre petit matériel pour la grillade, abattage du mouton, nettoyage des têtes et pattes…) et avoir de petites recettes qui ont un impact social certain.L’Aïd al Idha est une fête importante qui permet de rompre avec la routine quotidienne et de se ressourcer au contact de la famille, des parents et amis. Son effet sur la cohésion et la solidarité nationale est incontestable. Le sacrifice du mouton est préférable mais non indispensable. Il y a quelques jours, le mufti de la République, dans une intervention télévisée, a rappelé que l’Islam est une religion de facilité et non de contrainte et que le sacrifice est une sunna obligatoire pour seulement tout musulman qui en a les moyens.
Face à la hausse des prix du mouton et à la détérioration du pouvoir d’achat du consommateur, les familles fragiles et peu favorisées ne sont pas obligées d’en acheter et de se mettre dans des situations financières difficiles. La solidarité est un atout important et l’entraide permet à tous de disposer de la viande de mouton, de préparer un bon méchoui et de manger de la viande le jour de l’Aïd. Faute de viande de mouton, il est possible de se régaler avec de la viande de dindon (une bonne cuisse et un peu d’escalope) peu chère et dont la valeur nutritionnelle est encore meilleure que celle du mouton, maigre, riche en acides gras insaturés et en acides aminés essentiels. Plus important encore que la viande, c’est d’être en famille et de ne pas rester en marge de la société. L’Aïd est un temps pour méditer, pour aimer et pour donner.
Aïd mabrouk et bonne fête à tous.
Ridha Bergaoui