Tunisie: Quel avenir pour nos agrumes ?
Par Ridha Bergaoui - Depuis quelques jours, les oranges ont commencé à apparaître timidement sur les étals des marchands de fruits. Les mandarines et les Navels sont les plus précoces et les premiers à être commercialisés. Plus tard, ils seront suivis d’autres variétés d’agrumes : les Maltaises, les oranges douces... C’est que les agrumes sont surtout des fruits d’hiver. Très riches en vitamine C, ils viennent à notre secours pour nous donner du tonus et améliorer notre résistance aux petites affections hivernales.
A côté de leur aspect plaisir, les agrumes, par leur composition, ont un effet indéniable pour une bonne santé et notre bien-être. Leur richesse en vitamines (particulièrement la vitamine C), en fibres et en antioxydants nous permet de combattre la fatigue, de booster notre immunité, prévenir les maladies cardiovasculaires, certains cancers, améliorer notre santé osseuse et freiner la glycémie.
Les agrumes dans le monde
Le terme agrumes regroupe plusieurs espèces dont les oranges, les mandarines-clémentines, les pamplemousses et les citrons. La majorité des agrumes font partie du genre des citrus et ont la particularité de posséder des poches d’huile essentielle dans les feuilles et l’écorce des fruits.
La production mondiale annuelle d’agrumes se situe aux environs de 140-150 millions de tonnes. Cette production se répartit, selon l’Observatoire national de l’agriculture (Onagri), en 54% d’oranges, 31% de mandarines et tangerines, 8% de citrons et 7% de pamplemousses. Les agrumes occuperaient une superficie de 7,5 millions d’hectares.
Le Brésil est le principal producteur d’agrumes. Il produit plus du quart de la production mondiale. Il est suivi de la Chine et des Etat-Unis. Les pays de l’Union européenne totalisent environ 20% de la production mondiale. Du côté de la Méditerranée, l’Espagne, l’Italie, l’Egypte, la Turquie et la Grèce sont les plus importants producteurs d’agrumes.Près de 90% de la production d’agrumes est consommée dans les pays producteurs, seuls 10% font l’objet d’échanges. L’Espagne, avec ses 6 Mt exportées, est le premier pays exportateur, elle est suivie de l’Afrique du Sud avec 1,5 Mt. L’Allemagne, la France, les Pays-Bas et le Royaume-Uni représentent les principaux pays importateurs.
Le secteur des agrumes en Tunisie
Le secteur agrumicole occupe une place importante en Tunisie tant sur le plan agricole, socioéconomique qu’au niveau de l’emploi. Les agrumes représentent des fruits très populaires, aux prix abordables et fort appréciés par les consommateurs. Ils couvrent les besoins en fruits des Tunisiens pour presque la moitié de l’année, surtout durant la période hivernale où les autres fruits sont encore absents. Les oranges sont présentes à partir du mois de novembre jusqu’au mois de mai pour les variétés tardives comme la Valencia.La Tunisie produit environ 350 000 tonnes d’agrumes/an avec un record de 560 000 tonnes atteint en 2017. Le Groupement interprofessionnel des fruits (Gifruits) prévoit pour cette campagne une bonne production de 365 000 tonnes, soit une augmentation de 26% par rapport à l’année dernière (290 000 t seulement). Les Navels représentent 30%, suivis des Maltaises (24,5%), des clémentines (17,5%) et plus loin des oranges douces (5%) et autres. Le citron est présent avec 15% de la production.
Le Cap Bon représente le principal centre de production. C’est le pays des agrumes par excellence. Il représente plus de 70% de la production nationale. Il est suivi très loin des gouvernorats de Ben Arous (6,5%) et de Kairouan (4,7%).La culture des agrumes occupe près de 28 000 ha dont environ 20 000 ha au Cap Bon. Cette culture remonte probablement au XVe siècle avec l’arrivée des Andalous chassés de l’Espagne et dont certains se sont installés au Cap Bon où les conditions édapho-climatiques (ressources en eau, sol et ensoleillement) sont favorables. Elle a connu un important développement au cours du siècle dernier, surtout après l’indépendance. Les encouragements de l’Etat pour cette spéculation et l’arrivée des eaux du Nord en 1983 ont donné un sérieux élan pour le développement de cette spéculation, surtout à partir de 2007 avec l’extension de nouvelles plantations. Malheureusement, avec la sécheresse et le stress hydrique, la culture connaît, à partir de 2019, de nombreux problèmes et tend à reculer.La Tunisie compte plus d’une trentaine d’espèces et de variétés différentes plus ou moins connues (Maltaises, Navels, oranges douces ou Miski, clémentines-mandarines-Tangerines, bigaradier, pamplemousse, citrons et même du Kumquat dont la peau est comestible). La Maltaise se décline selon la quantité de pigments rouges présents en sanguine (rouge sang), demi-sanguine et blonde.
La plus grande partie de la production (90%) est destinée à la consommation locale. La consommation individuelle, entre fruits frais et jus, serait d’environ 30 kg/tête/an.La Tunisie exporte essentiellement la Maltaise. L’exportation se situe, selon les années, entre 15 et 20 000 tonnes, soit près de 15% de la production de Maltaises. Les oranges se conservent mal et doivent être consommées rapidement après cueillette. De ce fait, elles doivent être commercialisées dans des marchés proches. C’est pour cette raison que le marché français représente la principale destination (85% environ) de nos exportations, essentiellement de la Maltaise demi-sanguine.
Quoique cette quantité soit faible, la Maltaise est toutefois le porte-drapeau de la Tunisie. C’est le seul pays producteur et exportateur de ce fruit aux particularités exceptionnelles, tant apprécié et recherché à l’étranger. D’un poids allant de 100 à 180 grammes, ce fruit, récolté entre janvier et avril, se caractérise par un nombre de pépins réduit, une peau fine et facile à retirer et surtout une chair fondante, juteuse et très parfumée. La saveur est douce, légèrement acide. La chair est colorée, le fruit est également rouge à l’extérieur, surtout du côté exposé au soleil.
De l’origine de quelques termes
Le terme agrumes (du latin acrumen qui signifie aigre) est donné aux arbres à fruits acides. On dit agrumiculture, agrumiculteur et agrumeraie pour désigner la culture des agrumes, l’agriculteur spécialisé dans la culture des agrumes et l’exploitation.
La clémentine est le croisement entre un oranger et le mandarinier. Il a été découvert en Algérie dans la ferme d’un certain M. Clément qui donna son nom à ce nouvel arbre.
La Maltaise de Tunisie n’est pas originaire de l’île de Malte. Il semble qu’un certain Bey a donné ce nom à ce beau fruit qui lui rappelle sa favorite du palais, une Maltaise très belle dont il était très épris.
La mandarine est originaire d’Asie, son nom viendrait des mandarins, hauts fonctionnaires de l’Empire Chinois qui portaient une robe orange vif.Le terme Navel signifie «ombilic» en anglais. Les oranges Navel se caractérisent par la présence d’une petite excroissance et regroupent de nombreuses variétés comme le Thomson Navel, le Washington Navel, Navelate, Lane, Navelina…
La Tangerine est une mandarine qui tient son nom de la ville de Tanger (Maroc).
Le nom Thomson donné à la variété d’agrume provient du nom du propriétaire où est apparue la mutation naturelle de la variété Washington Navel en Californie en 1890.
Quel avenir pour nos agrumes
Avec le réchauffement climatique et le manque de pluies et d’eau, le secteur des agrumes est mis à rude épreuve. Il est certain qu’il n’est pas aussi stratégique et prioritaire que celui de l’eau potable ou celui des céréales. Toutefois, le secteur agrumicole est important sur le plan socioéconomique. Il joue un rôle primordial dans l’emploi direct et indirect et l’absorption du chômage au niveau régional et national. Il permet la couverture des besoins du consommateur en fruits durant une longue période de soudure et contribue ainsi à la préservation d’un bon état de santé de la population.De nombreuses stratégies ont été, jusqu’ici, préconisées afin d’améliorer la production et la productivité du verger national d’agrumes et booster l’exportation. La dernière proposition de stratégie a été faite en 2019. Celle-ci ne semble pas avoir mis suffisamment l’accent sur le problème vital de l’eau. Par ailleurs, il est certainement important de proposer des stratégies, encore faut-il les mettre à exécution et réserver les moyens pour les concrétiser.
Il est nécessaire de s’adapter au changement climatique et de revoir notre stratégie avec essentiellement trois objectifs importants: efficience de l’utilisation de l’eau, productivité et qualité. Il s’agit surtout de mettre à niveau et moderniser toute la filière depuis la culture jusqu’à la commercialisation.Compte tenu des conditions climatiques et des besoins des agrumes en eau, l’irrigation est indispensable pour assurer un rendement intéressant des agrumeraies. L’amélioration de l’efficience de l’utilisation de l’eau passe nécessairement par une meilleure utilisation en luttant, au niveau de l’exploitation, contre toute forme de perte et de gaspillage. En amont, au niveau régional et national, il est nécessaire d’œuvrer pour retenir au maximum l’eau des précipitations, de renouveler et d’entretenir les équipements et les réseaux d’irrigation pour réduire au minimum les pertes. Le recours aux eaux non conventionnelles (dessalement des eaux saumâtres et de l’eau de mer ainsi que la réutilisation des eaux usées traitées) devient indispensable et à développer rapidement.
La recherche, dans le domaine des agrumes, doit être soutenue afin de sélectionner les espèces et les variétés adaptées au stress hydrique et à la chaleur. Un travail intéressant serait de sélectionner des porte-greffes résistants à la salinité. La lutte biologique contre les maladies et parasites doit être également renforcée afin de limiter le recours aux produits chimiques dangereux, coûteux et nocifs.L’encadrement des agrumiculteurs est essentiel pour les orienter et les sensibiliser, particulièrement en matière de choix des variétés, de lutte contre les maladies et d’utilisation raisonnée des produits chimiques et de l’eau. Le Centre technique des agrumes doit être renforcé et consolidé sur le plan financier et humain afin qu’il remplisse sa mission dans les meilleures conditions. Son rôle, dans l’amélioration de la technicité des agrumiculteurs (taille, fertilisation minérale et organique…) et la vulgarisation des innovations techniques, est primordial.Il serait également intéressant de rester présent au niveau international et de continuer à exporter notre traditionnelle et exceptionnelle Maltaise. Toutefois, il est nécessaire, d’une part, de se conformer aux normes phytosanitaires, d’emballage et d’étiquetage de plus en plus contraignantes, et, d’autre part, d’assurer la logistique nécessaire ainsi que de nouveaux marchés.
Nos agrumes représentent une richesse et un précieux capital qu’il ne faut surtout pas abandonner en ce moment critique. Elles ont fait, au cours des siècles derniers, tant au niveau national qu’international, notre réputation et notre fierté. C’est un patrimoine précieux qu’il ne faudra en aucune manière négliger ou dilapider.
Ridha Bergaoui
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