Aissa Baccouche: Enfidha, capitale de la Tunisie pour le XXIème siècle
Toutes espèce vivante est, par définition, mortelle. Les villes – capitales sont à l’évidence, une espèce vivante. Elles sont, par voie de conséquence, mortelles.
Par-delà cette assertion tautologique jaillit une vérité tangible. Les capitales ne sont pas éternelles. Elles s’usent lorsque l’on s’en sert à satiété. Après avoir tant donné elles finissent toujours par rendre leurs âmes. Il y a là comme une fatalité.
Ce sont nos ancêtres les arabes qui ont énoncé que «lorsqu’une chose atteint ses limites, elle se transforme en son antidote».
A l’instar de la loi biologique appliquée naguère par Ibn Khaldoun (1332-1406) à l’Histoire, une loi de la physique semble régir le destin des villes capitales.
Nous en avons connu quatre sur notre territoire tunisien, pourtant assez menu au regard des vastes étendues alentour.
Elles sont nées, par la volonté de leurs géniteurs Didon, Okba, Oubeid Allah et Abou Zakaria, puis ont grandi, pris de la hauteur et ont bien fini par prendre le large.
Carthage, kairouan et Mahdia ont vécu chacune un temps de splendeur suivi d’un temps de pâleur. Ainsi vont les villes qui grossissent à l’infini en faisant fin du précepte sacro-saint Khaldounien des trois tiers: un tiers pour les aliments, un tiers pour l’eau et un tiers pour la respiration.
Tunis, notre grande dame pourtant protégée par ses saints, semble tellement rassasiée de vie qu’elle en perd le souffle.
Huit fois centenaire, notre capitale peut être louée pour avoir tant subi sans souffrir ni génir. Deux millions de vivants l’occupent sans compter les quatre autres décidés qu’elle porte dans ses entrailles, sous la colline du Jellaz.
La taille de Tunis n’est pas, en soi, problématique. Elle n’est pas la plus peuplée dans le pourtour méditerranéen. Lors s’en faut! des villes multimillionnaires (en âmes) sont légion. Mais que Tunis, finisse par faire perdre leurs nerfs aux citoyens, qui s’y rendent, tel est le fin fond d’un problème qui ne nous est pas particulier.
Sous d’autres cieux, on a bien compris que les capitales avaient une durée de vie et que sous les coups de boutoir de la mère de tous les modes de transparent, l’automobile, ces villes conçues pour d’autres temps, ne pouvaient guère résister au règne omnipotent de quatre-roues.
Brasilia est née, entre autres, de cette constatation. Dès les années 50, elle a suppléé, grâce à Oscar Niemeyer (1907-2012), Rio de Janeiro
En Côte d’Ivoire, notre compatriote Olivier Clément Cacoub (1953-2008) a conçu la nouvelle capitale Yamoussoukro.
En Arabie Saoudite, Riadh a supplanté Jeddah. Au Nigéria, Abuja est la nouvelle capitale du géant de l’Afrique, Lagos, étant, bien entendu la capitale économique de cette fédération.
Dès sa prise de pouvoir, le président égyptien Abdelfattah Sissi s’est investi dans le projet d’une nouvelle capitale qui allègera les charges du Caire qui, comme on le sait, a été bâtie en 972 par un conquérant tunisien nommé Al Moez Lidin Allah (932-975).
Justement, un pays peut et/ou dont avoir des méta-pôles à objet différent. C’est déjà le cas en Suisse (Genève et Berne) et aux Pays bas (Amsterdam et la Haye). On peut multiplier les exemples en citant la Chine (Shanghai et Pekin) le Pakistan (Karachi et Islamabad) l’Australie (Sydney et Cambera), l’Afrique du Sud (Johannesburg et Pretoria) et même les Etats-Unis.
J’allais dire, surtout les Etats-Unis où la capitale Washington constitue, à mon avis, l’archétype de la capitale administrative par excellence du temps présent. On est loin du brouhaha de New-York tout en y étant relié.
Il y a là une illustration parfaite de la connexion et la fluidité des réseaux.
Une capitale politique a besoin de respirer loin du monde acharné et besogneux des affaires. Les villes polyvalentes ne sont plus de ce monde. Tout comme les encyclopédistes qui font désormais partie de l’histoire des idées et des lettres.
Une capitale est une ville à objet défini, dans l’espace comme dans le temps.
L’espace, parlons-en! Enfidha, me semble-t-il, est le site de prédilection de la cinquième capitale de la Tunisie. Le terrain est déjà déblayé, au sens propre. Puisque deux éléments structurants de taille préfigurent cette métropole: Le port en eaux profondes et l’aéroport.
Voici pour l’infrastructure intra-muros.
Pour le reste, Enfidha, ville de transit entre le Nord et le Sud, contigüe au Kairouanais, au Capbon et au Sahel, jouit d’un emplacement de rêve pour les urbanistes en quête d’un authentique projet urbain. S’ils en avaient le pouvoir, leur imagination n’en sera que plus fertile.
On pourrait, en connexion avec les deux nœuds précités, faire faufiler un TGV longitudinal qui partirait de Bizerte vers Tataouine ainsi que deux TGV diagonaux qui partiraient d’Enfidha l’un vers Tabarka, l’autre vers Tozeur.
Le pays serait ainsi largement irrigué par ces nerfs d’acier et de lumières. Toutes les villes traversées seraient ainsi illuminées. Exit les zones d’ombre!
Dans combien de temps ? A l’horizon 2030. Si tel est son sort, Enfidha, en devenant capitale de la Tunisie du XXIème siècle, devra rattraper son histoire, si riche et si mouvementée «Sur le seul territoire d’Enfidha, écrit Guy de Maupassant (1850-18963) dans ses impressions de voyage en Tunisie, on rencontre les vestiges de dix-sept cités romaines».
Auparavant, l’écrivain français relate l’épisode tragi-comique de l’acquisition* par la fameuse société franco-africaine d’un domaine de cent quarante mille hectares auprès du fameux général Kheireddine ex-premier ministre de la Régence de Tunis lequel épisode a été « l’une des causes déterminantes de l’influence française en Tunisie ».
Aissa Baccouche