News - 15.11.2023

Mohamed-El Aziz Ben Achour: Un héros palestinien, Abd El Kader El Husseïni

Mohamed-El Aziz Ben Achour: Un héros palestinien, Abd El Kader El Husseïni

En ces jours tragiques d’octobre 2023, la violence de l’affrontement entre le Hamas et les forces de l’Etat hébreu, le caractère sanglant et spectaculaire des attaques menées à l’intérieur d’Israël puis les représailles qui s’abattirent avec une  férocité inouïe sur Gaza et sa population civile, ont fait remonter en moi le souvenir d’un combattant palestinien à la mémoire duquel, depuis ma jeunesse militante, je ne cesse de vouer respect et admiration. Abd El Kader El Husseïni naquit en 1907 au sein d’une illustre famille depuis longtemps influente à Jérusalem, sa ville natale.

Son grand-père Salim, son oncle Husseïn puis son père Moussa-El-Qadhim Pacha, ancien gouverneur ottoman de diverses provinces, furent tour à tour présidents  de la municipalité de Jérusalem jusqu’en 1920.  Moussa El Qadhim fut démis de ses fonctions par les autorités britanniques en raison de son engagement nationaliste. Il eut un rôle éminent dans la création, en 1919, du Congrès arabe palestinien dont il deviendra en 1922 le secrétaire général.

En 1933, lors d’une des manifestations dénonçant la Déclaration Balfour et le projet de «Foyer national juif», Moussa El Qadhim fut violemment frappé par la police britannique. Contraint à l’immobilité, il mourut  des suites  de ses blessures en mars 1934.   

Au lendemain de l’armistice du 11 novembre 1918, si l’Europe, après quatre années de mort, de sang et de larmes, pansait les plaies du conflit mondial, le Moyen-Orient, livré à lui-même depuis l’effondrement de l’Empire ottoman, devint la proie des ambitions impérialistes et des intérêts économiques des puissances alliées, la Grande-Bretagne en tête. Dans le même temps, le mouvement sioniste international vécut la victoire de 1918 comme une bénédiction puisqu’elle ouvrait la voie à la mise en œuvre de la promesse anglaise qui, aux termes de la fameuse Déclaration Balfour de 1917 (du nom du secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères durant la guerre Arthur James Balfour) précisait que «le gouvernement de Sa Majesté envisag [eait] favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif». Ce pays, longtemps province turque, partie constituante du Châm historique (Syrie-Palestine), se trouvait, depuis 1920, sous domination britannique en vertu du «mandat» donné par la Société des nations. Le drame palestinien ne faisait que commencer. L’immigration juive - venue principalement de Pologne et de Russie -  avait, certes, débuté dès la fin du XIXe siècle ( Petah Tikva, première implantation coloniale agricole juive, est fondée en 1878 et les sionistes de la première génération exploitent des vignobles et des vergers dès les années 1880; Tel-Aviv , anciennement Jaffa, est fondée en 1909, et le premier kibboutz – Degania Alef - est constitué l’année suivante) mais à partir de 1919-20, elle ne cessa de prendre de l’ampleur sous la forme d’acquisition de terres auprès de propriétaires absentéistes. Evidemment, la population arabe – qui jusque-là vivait en harmonie avec les autochtones de confession juive – ressentit une vive inquiétude face à l’arrivée de ces étrangers dont on ne comprenait ni la langue ni les usages. On se rassurait vaille que vaille en pensant que les terres passées aux mains des juifs ne représenteraient qu’une petite partie de l’ensemble des exploitations, et que la démographie resterait toujours en faveur des autochtones. Cependant, le caractère agressif de cette prise de possession et, plus encore, le flot des nouveaux arrivants, le sentiment d’injustice et de spoliation  éprouvé par les Palestiniens donnèrent rapidement naissance à des affrontements souvent sanglants. En décembre 1920, à Jérusalem, à Jaffa et en Galilée les mois suivants, les morts et les blessés des deux camps se comptaient déjà par dizaines. En 1929, d’autres émeutes palestiniennes firent des morts et des blessés.  Durant ces années, les sionistes s’organisèrent en groupes d’auto- défense. La Haganah est créée en 1920. Elle sera suivie en 1931 de la fondation de l’Irgoun. Plus tard, en septembre 1940, apparaîtra le Lehi, plus connu sous le nom de Stern gang ou Stern tout court (du nom de son fondateur, Avraham Stern), principalement antibritannique entre 1941 et 1948, puis antipalestinien.En 1936, exaspérée par la politique britannique, la population palestinienne se révolte. En avril, la grève générale est proclamée, les impôts ne sont plus versés, le pipeline Haïfa-Kirkouk, des lignes de chemin de fer et des trains sont sabotés. Cette grande révolte allait durer jusqu’en 1939, et il fallut les renforts de  vingt mille soldats britanniques, de vingt et un mille miliciens de la Haganah et mille cinq cents de l’Irgoun pour parvenir à y mettre fin. C’est durant cette révolte qu’émergea la figure d’Abdelkader El Husseïnî comme un des principaux chefs de la résistance contre la présence anglaise et la pénétration sioniste. Son cursus scolaire était conforme à ses semblables issus de la notabilité palestinienne. Après des études primaires, il poursuit ses études secondaires à l’Institut anglais Sion,  alors seul établissement d’enseignement moderne à Jérusalem. Puis il part à Beyrouth où il s’inscrit à l’université américaine. Son engagement nationaliste et son refus du prosélytisme missionnaire lui valent d’être renvoyé. Il se rend alors au  Caire, s’inscrit à l’université, se fait politiquement discret et en sort titulaire d’un diplôme de chimie. Dans la métropole égyptienne, il organise une réunion de mobilisation pour une instruction émancipatrice à laquelle il donne le titre de «Congrès des musulmans instruits». Son activisme nationaliste lui vaut d’être exclu d’Egypte en 1932. De retour à Jérusalem, il entre dans la vie professionnelle et fonde un foyer. La famille rivale des Nachachibî ayant fondé, en décembre 1934, le Parti de la défense nationale (Hizb al difâ’ al watanî), les El Husseïni, toujours sur la brèche, créent peu après le Parti arabe palestinien auquel Abd El Kader participe activement.

Lorsque la Grande révolte arabe embrase tout le pays en avril 1936, A. El Husseïni décide non seulement de prendre les armes mais aussi de former des jeunes Palestiniens à l’action clandestine. Des  attentats sont perpétrés contre des  résidences de responsables britanniques. Les chefs de la police de Jérusalem et de Galilée sont tués. Pour autant, il ne néglige pas la lutte armée qu’il organise à partir de son maquis d’Hébron. Lui-même et ses camarades menèrent différentes opérations dont  des attaques contre des installations militaires anglaises et des colonies juives. En juillet 1937, à la tête de ses hommes, il mène une attaque contre le kibboutz de Kfar Sofer. La riposte des autorités occupantes porta des coups sévères aux combattants palestiniens. Les forces britanniques étaient épaulées par les organisations paramilitaires juives dont quelque 10 000 militants de la Haganah et, à partir de 1938, par les Special Nights Squad, commandos composés de miliciens juifs et de militaires anglais sous le commandement du fanatique «sioniste chrétien» et féroce soldat Orde Charles Wingate. 

En mai 1936, après une attaque contre une base militaire, les Britanniques mènent une offensive terrestre et aérienne contre es campements d'El Husseïni et de ses hommes. Lors de violents combats, Abdel Kader, blessé, est transporté à l’hôpital d’Hébron dont il s’échappe et se réfugie en Syrie.Après un bref séjour en Palestine, traqué par l’occupant, il décide en juillet 1938 de partir subrepticement pour l’Irak. Là, avide d’action contestataire, il fréquente un groupe dit du Carré d’or formé par des généraux irakiens. La profession de foi nationaliste de ces officiers - «Je ne crois pas dans la démocratie des Anglais, ni dans le nazisme des Allemands, ni dans le bolchévisme des Russes. Je suis un musulman arabe» - séduisit Abd El Kader El Husseïnî à tel point qu’il participa en 1941 au coup d’Etat fomenté par un homme politique pro-allemand en réaction à l’impérialisme anglais, Rachid Ali el-Kayllani (1892-1965). En 1946, El Husseïni est de retour au Caire où il séjourne pendant une année. Il regagne son pays natal, lorsqu’éclatent les affrontements armés entre sionistes et Palestiniens durant la période comprise entre le 30 novembre 1947 (au lendemain du vote du plan de partage) au 15 mai 1948 qui marque la fin du mandat britannique sur la Palestine. D’emblée, El Husseïni prend le commandement de l’organisation militaire dite Armée de la guerre sainte (Jaych al jihâd al muqaddas) créée en décembre 1947 et composée de résistants palestiniens et arabes.Il convient de préciser ici que le terme de jihad - culturellement très  mobilisateur auprès de l'opinion - employé  alors par les nationalistes palestiniens, signifiait le combat pour la libération de la patrie, et non pas un combat à la fois antisioniste et pour la victoire d'une idéologie radicale à caractère religieux. Ce courant n'apparaîtra de manière significative que bien plus tard.

En février 1948, A. El Husseïni organise un siège efficace auquel est soumise la communauté juive de Jérusalem en empêchant les convois de ravitaillement d’atteindre la ville.  La plupart des véhicules sont saisis ou détruits lors de combats à l’issue desquels les Palestiniens prennent régulièrement le dessus. Les colonies de haute-Galilée, d’Hébron et du Néguev sont également isolées.  C’est alors que David Ben Gourion, chef politique de la Haganah, décide, en avril, de lancer l’opération Nahchon (en référence à un personnage qui selon le récit biblique fut le premier à entrer dans la mer Rouge avant qu’elle ne s’ouvre). L’objectif principal était de désenclaver Jérusalem et de prendre le contrôle de la route reliant la ville à Tel-Aviv. Il en confie l’exécution à 1 500 hommes de la Haganah et à une unité de choc, le Palmach. El-Qastel est conquis dans la nuit du 2 au 3 avril. Ce village, situé à l’ouest de Jérusalem, constituait une position stratégique qui commandait l’accès à la ville sainte. Le 5, les environs sont occupés.  Le 7 avril, Abd El Kader rentre de Damas à l’issue d’une réunion houleuse avec le Haut commandement militaire pour la Palestine dont les membres lui conseillaient fermement de temporiser alors qu’il était venu demander des armes pour mener une contre-attaque à El Qastel.Le 7 au soir, faisant fi des consignes de la Ligue dont les dirigeants préféraient patienter jusqu’au 15 mai, date du départ des Britanniques de Palestine, Abd El Kader El Husseïni donna l’assaut à El Qastel avec une force initiale de 300 hommes. Le village est repris le lendemain mais le chef militaire palestinien est tué dans la bataille. Sa mort suscite le désarroi parmi ses hommes. Le 9, le village est rasé par le Palmach. Le même jour  à Deïr Yassin, les hommes de l’Irgoun et du Lehi (Stern) massacrent 110 personnes dont une majorité de civils, femmes et enfants. Le 11 avril, Qaluniya est prise par la Haganah. Le 13, en représailles du massacre de Deïr Yassin, un convoi médical juif est attaqué et 79 personnes sont tuées. Ordre est alors donné aux miliciens juifs  de « détruire et conquérir ». A ce propos, deux spécialistes de cette période, Benny Morris et Benjamin Kedar, ont publié en 2022 des travaux indiquant l’usage d’armes biologiques par la Haganah et l’empoisonnement de puits de villages palestiniens.

L’opération Nahchon prend fin le 20 avril. La perte d’Abd El Kader El-Husseïni, dont le charisme et le courage galvanisaient ses troupes, eut des conséquences désastreuses. En effet, son meilleur lieutenant, Hasan Salama, mourut à son tour lors de la bataille de Râs el-Aïn en juin de la funeste  année 1948 ; quant aux autres chefs militaires, ils n’avaient pas leur  expérience. Cela  contribua à semer la discorde dans le camp palestinien. En outre, l’apport que l’Armée arabe du salut (Jaych al inqâdh al arabî), commandée par le colonel syrien Fawzî  El-Qawuqjî (1890-1077) sous la tutelle de la Ligue et composée de combattants venus de pays arabes dont des Tunisiens, n’eut que des effets limités malgré le courage et la ténacité des troupes. Elle fut rapidement vaincue par des forces juives mieux équipées, plus aguerries et mieux coordonnées. En octobre 1948, le gouvernement jordanien donna l’ordre au commandant de la Légion arabe (al Jaych al arabî, armée de l’émirat transjordanien puis du Royaume hachémite de  Jordanie à partir de 1946), le général britannique John Bagot Glubb, dit Glubb « Pacha », de désarmer l’Armée de la guerre sainte, de la dissoudre et d’incorporer à sa Légion les combattants qui le souhaitaient. Les Palestiniens étaient non seulement vaincus mais privés d’une force armée. Ce goût amer de la «fraternité» arabe ne cessera dès lors de susciter bien des désillusions pour le mouvement national de Palestine. Avant de terminer, il ne  nous paraît pas inutile de dire quelques mots à propos du cousin d’Abd El Kader, le mufti de Jérusalem (puis mufti de Palestine) El Hâj El-Amine El Husseïni (1895-1974). Politiquement très actif dans l’entre-deux –guerres, organisateur de la résistance antisioniste, il consacra ses efforts, dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale, à se rapprocher de Berlin dans l’espoir que le régime nazi freine l’essor du sionisme en Palestine.  Après 1945, il fut sévèrement critiqué pour ses relations avec Berlin et les propos antisémites qu’il eut à prononcer. Il semble toutefois que son opinion fût le résultat d’un engagement patriotique face à la menace sioniste et  non l’expression d’une idéologie raciste (alors que, selon les universitaires Leonard Weinberg et Ami Pedahzur, spécialistes du fondamentalisme religieux et l’extrémisme politique, l’organisation juive Stern alla jusqu’à prôner l’élimination physique des Arabes). Henry Laurens, historien reconnu de la question palestinienne, se fondant sur les échanges qu’eut le mufti avec Hitler et Himmler, estime  qu’«il était encore loin de l’antisémitisme nazi». Lorsque le Führer lui affirmait, en novembre 1941, que les juifs étaient les responsables de la Première Guerre mondiale, de la montée du communisme et du sabotage de l’économie allemande, il répondit : «C’est le sionisme qui est à l’origine de tous ces sabotages et non pas les juifs.» Bien qu’élu, en septembre 1948, président du Gouvernement de Toute la Palestine – structure dépourvue de moyens financiers et soumise à l’autorité du Caire-, son poids politique et diplomatique s’amenuisait progressivement depuis la défaite, jusqu’à sa marginalisation consécutive à la création de l’OLP en 1964.Quant à Abd El Kader El Husseïni, nous avons vu il n’y avait pour lui d’autre route que celle de la lutte intérieure et d’autre but que la libération de la Palestine par les Palestiniens eux-mêmes.

Au lendemain de la défaite de 1948, et des armistices signés entre février et juin 1949, 750 000 hommes, femmes enfants se préparaient à prendre le chemin de l’exode. Le drame palestinien n’allait cesser de s’amplifier mais le souvenir du grand chef que fut Abd El Kader El Husseïni, son patriotisme et sa détermination continuent d’entretenir l’espoir. Son fils, le regretté Faysal (1940-2001), figure éminente de la cause palestinienne, sut perpétuer l’engagement de son père et la longue tradition patriotique de sa famille.

Mohamed-El Aziz Ben Achour

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