Redhouane Al-Koni *: La légende du palmier boiteux et le cheikh rouillé
Nouvelle traduite de l’arabe par Tahar Bekri - Le silence devint grand, les louanges et la glorification de Dieu s’interrompirent, les voix élevées, entremêlées, qui psalmodiaient ce qui était écrit sur les tablettes avec de gros caractères, baissèrent. Les yeux s’ouvrirent, regardant tous dans la même direction, fixant les deux enfants récalcitrants.
Les deux enfants avancent tout tremblants, en pleurant et criant, demandant pardon.
Le premier, fut jeté par terre, ses pieds en l’air, le bâton du cheikh, le meddeb, le maître coranique, s’abattit sur lui, l’enfant crie, et demande secours, le meddeb blatère et écume, le gros bâton avec violence, ne s’arrête pas de frapper les pieds de l’enfant qui pleure. Le deuxième enfant vit son sort et fut convaincu qu’il ne réussira pas à calmer le meddeb ni obtenir son pardon, qu’après quelques instants, il sera jeté par terre, les pieds en l’air et recevra de force ce que reçoit son copain, en ce moment.
Il n’y a devant lui que la fuite, et pas d’autre moyen pour échapper à la main du meddeb ; il n’hésita pas une seconde et sauta par-dessus les cous des enfants, ses pas se succédèrent rapides, intenses, laissant derrière eux une poussière qui grandissait, de plus en plus, devenait épaisse jusqu’à ce l’enfant disparût derrière et partit là où la poussière le mena, celle qui empêcha le meddeb, qui le poursuivait, de le retrouver. Ce dernier fut furieux, de plus en plus, en colère et jura qu’il ne se calmera que quand il le rattrapera ou qu’on le lui ramène, sinon on aura affaire à lui. Le cheikh, partit à la recherche de l’enfant, partout, soutenu par les enfants qui se dispersèrent dans tous les endroits possibles d’être fréquentés par l’enfant. Ces endroits dans le village sont pourtant limités et connus.
Le meddeb se dirigea chez le père de l’enfant qui nia que son fils était chez lui. Il partit à sa recherche chez sa tante et son oncle, ne lui trouva trace, les enfants non plus, ne cessèrent de le chercher L’enfant disparut comme s’il avait été avalé par la terre ou se perdit définitivement. Le meddeb se mit à bouillonner, ses yeux rougirent, les lèvres tremblantes, la sueur coulant de ses paupières et de ses sourcils. Il se mit à frapper la terre avec sa canne et criait fort, appelant les gens du village: Ce qui s’est passé et ce qui apparut de l’enfant, annonce un événement grave et un malheur important. Car comment un enfant peut-il s’enfuir et désobéir? Comment peut-il s’enfuir de son meddeb, son cheikh, son éducateur, son maître et se perde dans l’errance ? Il les avertit des conséquences de cette action effroyable qui pourrait drainer aux villageois catastrophes et malheurs.
Les femmes commencèrent à pleurer et se lacérer les joues, criant à haute voix et se jetant de la terre noire dans le vent. Les hommes poussèrent des soupirs douloureux. Des larmes remplissant leurs yeux, coulèrent sur leurs visages. Ils se mirent autour du cheikh lui demandant pardon et secours, suppliant la clémence, avec évocations du prophète et des invocations. Ils proposèrent au cheikh tout ce qu’ils pouvaient présenter, qu’il ordonne donc, qu’il demande ce qu’il veut.
Le cheikh, en colère, cria et marmonna des paroles qu’ils ne comprenaient pas, les yeux tout rouges et brillants sous les gouttes de transpiration collées à ses paupières, il frappa la terre de sa canne et cria:
• Cessez, partez maintenant vers là vous étiez occupés, je vais me suffire d’une seule demande auprès du père de l’enfant.
Le père de l’enfant avança toute ouïe, tremblant, disant:
• Je suis, maître…-mon cheikh- son père, dis ce que tu désires, je paie pour mon fils ce que tu veux, tout obéissant.
Le cheikh frappa le sable de sa canne et dit;
• Apprends à ton fils l’obéissance, apprends-lui la patience, la patience à la place des viles actions.
Le père de l’enfant dit: oui, c’est cela, maître, oui c’est bien ça.
Le cheikh dit: apprends-lui la patience dans l’épreuve et la gêne.
Le père de l’enfant dit; - oui c’est cela.
Le cheikh dit; l’acte de ton fils commis aujourd’hui est une première qui annonce des conséquences fâcheuses.
Le père de l’enfant dit: je t’évite les conséquences mauvaises, demande-moi ce que je peux te présenter.
Le cheikh dit ; un palmier
Le père de l’enfant dit: un palmier? Quoi, maître, un palmier?
Le cheikh furieux dit: tu me donnes le palmier sous lequel j’ai pris l’habitude d’instruire les enfants.
Le père de l’enfant dit, la langue déliée : le palmier est le tien, tu enseignes à son ombre depuis longtemps, je n’ai jamais pensé te le reprendre, ou t’en éloigner. Si tu voulais tout le jardin de palmiers, j’aurais trouvé cela peu de choses.
Le cheikh dit: je veux juste ce palmier, je me suis habitué à son sable et son ombre large.
Il est à toi, dit le père de l’enfant que Dieu nous protège par ta grâce de tout mal !
Va maintenant, dit le cheikh, je m’en vais vers mon palmier, aucun mal ne vous atteindra.
La joie gagna les gens, heureux que le malheur s’en aille. La fedia la rançon fut considérée comme accessible, plutôt elle n’était pas considérable, alors qu’ils s’apprêtaient à se priver de leurs biens et faire périr des âmes pour le sacrifice.
Le cheikh vint près du palmier et tourna autour, plusieurs fois, scruta son tronc, examina ses racines solides et apprécia ses palmes séparées, il voulut y grimper mais ne put, se mit à regarder les régimes de dattes qui balancent, et devint joyeux, revint pour s’assoir à son ombre, il prit sa partie basse comme oreiller et s’allongea étendu, calme.
Le cheikh poursuivit sa même méthode, instruisant les enfants, leur apprenant son savoir, leur faisant lire ses leçons, les frappant, ordonnant et menaçant, eux sont toute obéissance à ses ordres, avec une grande patience, au point où la patience n’avait plus de sens pour eux, la réalité était devenue une habitude et ne donnait pas raison pour se plaindre.
Le cheikh pensa un jour planter dans le tronc du palmier un clou où il accrocherait sa canne ou sa jebba ou quelques affaires… Cela ne provoqua nullement le rire des enfants ni la moquerie des gens... Tout ce qui paraît du cheikh est bien, car il est de ceux qui sont bénis
Les enfants s’appliquèrent aux séances du cheikh jusqu’à ce que sa barbe ait blanchi, sa vue ait faiblie et son bâton devînt plus long. Ses jambes faiblirent et il préférait rester assis sous le palmier frappant de son bâton proche et éloigné, ses mains attrapaient les dattes fraîches ou mûres qui tombaient des régimes de son palmier et il en mangea tant de fois.
Vint un jour que craignait le cheikh. Le père de l’enfant vendit son jardin avec le palmier qui en fait partie. Le nouveau propriétaire fut perplexe devant le cas de ce palmier et se soumit, de peur qu’un mal ne le touchât de la part du cheikh qui se planta sous le palmier comme son clou. Le propriétaire se suffit du reste du jardin. Mais cela ne tranquillisa point le cheikh et bien que le nouveau propriétaire fût convaincu que le cheikh et son palmier étaient des balises du jardin qui ne lui appartenaient pas, qu’il les considérait même comme de la baraka et porte-bonheur, le cheikh pour appuyer cet endroit et son appartenance, afin de le distinguer du reste, il planta à la place du clou un autre plus grand, plus solide en fer, le cloua dans les entrailles du palmier ; jusqu’à ce qu’il traversât tout le tronc et parût de l’autre côté, il le laissa ainsi comme un pilier puis s’allongea s’appuyant contre le palmier, les jambes étendues dans l’ombre, tout en rêvant.
Et comme d’habitude, les enfants venaient assister aux séances du cheikh dans leurs horaires, il les instruisait et eux apprenaient, obéissants. Chaque jour le cercle s’agrandissait et le nombre des enfants augmentait, son bâton devenait de plus en plus long, au point où il ne pouvait plus toucher les enfants, loin de lui, il ne pouvait non plus, poursuivre ceux qui étaient loin. Alors une idée lui vint. Il divisa le cercle en deux, une moitié reste avec lui, l’autre se met sous le palmier voisin, un enfant fut désigné pour le représenter. Et afin de faire le lien, il lui demanda de planter un clou et le nouer avec une corde entre les deux palmiers. Le bout de la corde doit être pendu contre le palmier afin que le cheikh s’assoie dessus, l’autre bout sera tenu par l’enfant. Au besoin si un chahut se produit, l’enfant tire la corde qui fait bouger le cheikh, il peut ainsi crier menaçant, les enfants le craindraient en entendant sa voix, à la place de son fouet, le calme reviendrait. Quand Le propriétaire s’opposa à cela, gentiment et demanda des explications, le cheikh lui répondit que cela ne produirait que bienfaits. Les enfants se multiplièrent et les cercles aussi, sous chaque palmier. A la tête de chaque cercle il désignait un ancien élève et lui demandait de planter un clou dans le palmier et le tenir avec fil de fer pour le prévenir, jusqu’à ce qu’il ne restât plus d’ombre à exploiter, tous les fils finissaient chez le cheikh qui s’asseyait dessus.
Les enfants comme d’habitude viennent aux cercles, parsemés entre les palmiers, tenus tous par le gros clou-pilier du cheikh, les gens du village travaillaient et peinaient et le cheikh tendait sa paume pour récolter les dattes, Les enfants ramassaient les dattes et les ramenaient au cheikh, il en mangeait et mangeait, de même, les enfants, en cachette, pendant que les villageois suaient et s’épuisaient et attendaient leur récolte du jardin, leurs dattes à la saison dernière fut peu, cette année les dattes étaient peu comestibles, tandis que le cheikh leur promettait tout le bien et l’arrivée proche, eux restaient patients vivant d’espoir de rêve et de promesses.
Peu de temps après, le palmier du cheikh s’inclina et on dit ce sont des signes de la fin du monde, on dit le palmier se prosterne pour la prière, on dit il se relèvera de nouveau et se mettra droit et reviendra comme il était, mais il ne leva pas la tête, les gens attendaient autre chose après cette inclinaison, ils attendaient le bien qui allait arroser le village. Après quelque temps, un second palmier se pencha, un troisième après, un quatrième, un cinquième, puis tous les palmiers. Le cheikh, lui, restait, avec entêtement, convainquait les gens du bien-être attendu, il refaisait ses cercles selon l’ombre que produisait le palmier boiteux, ses représentants parmi les enfants refaisaient la forme du cercle selon l’ombre tordue. Les gens attendaient que se produise un fait qui les réjouisse après cette inclinaison, le jardin était debout, étendu, haut et devint prosterné, penché sans fruit.
L’attente devint si longue au point que l’enfant fuyard du bâton du cheikh revint adulte, robuste, élancé. Rapidement, il scruta les visages pensifs, promena son regard dans le jardin prosterné puis avança vers un palmier, le palpa, toucha le clou planté dans son intérieur et le fil qui le maintenait.
Il dit: qu’attendez-vous?
Ils dirent; le bien
Il dit; quel bien?
Ils dirent: le bien du jardin
Il dit: les racines des palmiers sont atteintes de rouille qui les a pourries, elle a réduit leur croissance et leurs fruits.
Il cria et se dirigea vite vers où s’asseyait le cheikh, l’enleva violemment de sa place et cria: Regardez la rouille qui transpire de lui.
Le cheikh se leva et une tache apparut à l’arrière de sa jebba mouillée de rouille rouge collée au sable. Le cheikh ne put rien faire, resta debout cherchant sa canne pour s’appuyer dessus. L’homme de retour tira sur le fil, enleva le pilier et les clous et conseilla aux gens de soigner les palmiers rapidement, les nettoyer et œuvrer à les sauver avant qu’ils ne tombent. Ils se mirent à enlever la rouille et soigner les palmiers et leurs racines, aspergeant les endroits pourris avec de l’antirouille, d’autres liquides et tant d’autres remèdes.
An-nafaq-(Le Tunnel), Ed. Qiças, 1983.
Nouvelle traduite de l’arabe par Tahar Bekri
* Né en 1945 à Regba (Tataouine). Nouvelliste, romancier, essayiste, enseignant. Prit part activement à l’Union des Ecrivains, et clubs littéraires de la capitale. Son premier recueil, « Les chaises renversées », est paru en 1973. Il décède en 2010.
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