Mémoire plurielle d’Hammamet: Ressusciter les multiples richesses du passé pluriel de la ville
Par Habib Kazdaghli - Séduites par la pertinence du concept de «mémoire plurielle», développé et défendu, depuis des décennies par les membres du laboratoire du patrimoine de la Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de Manouba, quatre associations locales appartenant au tissu associatif de la ville d’Hammamet, s’activent depuis déjà deux mois à la préparation desjournées sur l’histoire et la mémoire de leur ville, qui auront lieu en fin de cette semaine les samedi et dimanche 26 et 27 août.
L’annonce de cet événement suscite déjà beaucoup d’intérêt et il est l’objet d’une attente dans la cité balnéaire. Il est initié par quatre associations: L’Association de Sauvegarde de la Médina (ASM), l’Association d’Education Relative à l’Environnement (AERE), l’Association mémoire de la ville d’Hammamet et l’Association In’Art. Ces journées vont se dérouler dans trois lieux de mémoire de la ville hautement symboliques: le samedi à Sidi Ben Aissa (Séance inaugurale et vernissage de l’Exposition), le dimanche matin à Dar Sébastien (qui héberge le centre culturel international et le théâtre de plein air), il y aura le colloque et enfin dimanche en début de soirée, la cérémonie de d’hommage et de clôture aura lieuà Sidi Abdallah, siège de l’Association des plasticiens In’Art d’Hammamet.
La manifestation est composée de plusieurs volets. Tout d’abord, une exposition se basant sur un choix de photos et de cartes anciennes ouvrant ainsi la voie à la mise en place d’un circuit culturel et touristique. Un second volet donnera la place à des témoignages et des souvenirs et enfin un colloque ou seront présentées des travaux et des recherches récentes produites par des activistes de la société civile, des jeunes chercheurs et des professeurs. Il s’agit de montrer qu’on ne saurait limiter le passé d’une ville à un seul groupe d’acteurs historiques ou réduire sa mémoire à un seul récit linéaire. Il sera question des différents changements qu’avait connus le site depuis l’antiquité à nos jours. En effet, comme l’attestent les résultats des recherches sur les vestiges archéologiques entreprise depuis plus d’un siècle dans site de Puput, jusqu’aux traces de l’époque coloniale, en passant par les périodes médiévales et modernes, tout confirme l’existence d’une pluralité et d’une diversité dans les fonctions occupées par la ville depuis les temps les plus reculés.
Loin des chemins battus de la nostalgie identitaire restrictive, une rétrospective sera faite sur les étapes du peuplement de la ville prouvant une diversité d’apports humains qui reposent, certes, surl’attrait du site, mais cette confluence est aussi la conséquence des aléas des guerres, des migrations internes et externes, des sécheresses. Une mosaïque de populations d’origines diverse s’y installe, elle s’associe et s’interfère, s’adonne à une multitude de croyances et de formes de religiosité allant du paganisme aux adeptes des trois religions monothéistes à une forte extension du culte des Saintsqui s’explique par une recherche de la protection contre les dangers externes dont la ville continue à être la cible, l’attaque des Chevaliers de Malte en 1602, continue à être présente dans certaines mémoires.
La douzaine d’interventions qui seront présentées dimanche au cours de la rencontre-débat apporteront les preuves qu’on ne saurait réduire le passé d’ Hammamet à une seule fonction. Même si la ville semble avoir privilégiée, dans telle ou telle période, une activité donnée parmi d’autres (plaisance, pêche, agriculture, fonctions militaires etc…), l’histoire de la ville est marquée par une quête continue pour la création et le renouvellement des sources de richesse.
Lanotion de mémoire plurielle vise, entre autres, à faire revivre, à ressusciter et à sauver de l’oubli toutes les expériences humaines et activités menées par les composantes vivant dans un même lieu. Elle tente de faire connaitre aussi bien la singularité légendaire du lieu, que la vocation naturelle de ses hommes et ses femmes à promouvoir une multitude d’activités économiques facilitant l’intégration et l’homogénéisation au-delà des tensions qui ont eu lieu. Ces différents facteurs ont fait que la ville soit, hier comme aujourd’hui, un espace d’attrait pour de nouveaux arrivants des autres régions du pays qui s’étaient installés pour travailler, que pour une population de personnes retraitées (notamment d’Italiens) bien accueillies renforçant par là son caractère méditerranéen.
Contrairement aux stéréotypes réduisant la ville à une série de plages dorées, decoins de la délectation et du délice, des night clubs, Hammamet a été aussi un lieu de la diversité des fonctions. En même temps, ses alentours et ses campagnes étaient des lieux de travail de la terre, de production de céréales, fonction immortalisée par la tradition bien ancrée du «Couscous de Mayou», le rendez-culinaire annuel (15 mai) marquant le départ des habitants de la ville pour la moisson. Sa position stratégique sur les rivages de la Méditerranée avec un golfe qui s’entend sur plus de 100 km va faire d’elle une cible privilégiée des attaques extérieures (vandales, Byzantines, normands, chevaliers de Malte, Espagnols et ottomans etc…) c’est ce qui avait fini par imposer un changement du lieu du site et des fonctions qui lui sont attribués. A partir du Moyen Age, la nouvelle Hammamet s’installe au Nord du golfe qui porte désormais son nom avec une tache défensive plus marquée.
Dans le nouveau lieu un fort primitif est érigé juste au bord de mer, une disposition qui la distingue de toutes les autres villes construite loin des rivages et souvent sur des hauteurs permettant une meilleure défense contre l’ennemi. Le fort/borj, qui a subi plusieurs transformations durant les siècles n’atteint sa forme monumentale actuelle qu’au XVI siècle, ainsi la mission de surveillance des mouvements en mer et au besoin repousser les éventuels assaillants. Une telle finalité militaire attribuée au site va impliquer un contrôle des populations qui y résident pour s’assurer de leur loyalisme. Si la création du fort début au IX siècle, la création du village ne commence à prendre forme, au côté du fort d’El Hammamet qu’à la fin du XII siècle. Le caractère musulman va s’affirmer mais n’empêche pas l’accueil des juifs chassés de la Sicile chrétienne au temps des Croisades, une communauté juive prend place dans la ville à partir du début du XIII siècle. Aux temps des grands affrontements entre Ottomans et Espagnols, la ville tente de se défendre et d’opter pour une certaine neutralité refusant d’accueillir les soldats turcs arrivés aux portes de la ville, il a fallu l’intervention du saint sidi Mhamed Jedidi, pour épargner les habitants d’une représailles qui leur était promise après qu’ils eurent osé accrocher un «slougui» (chien) sur la porte principale de la ville. Le fort est désormais entre les mains de soldats ottomans originaires de diverses contrées vivants sous le toit de l’Empire dotant ainsi la ville d’un apport de populations de rite hanéfite originaires des rivages du Bassin oriental de la Méditerranée comme l’atteste les noms de plusieurs familles d’Hammamet.
La période coloniale contribue également à transformer la ville et changer ses fonctions. Au tournant du XX è siècle la «Jolie petite ville» comme désormais elle est nommée dans les guides, comptait 9000 personnes parmi eux plusieurs centaines d’européens (notamment des Siciliens, des Maltais et des Français, mais aussi des russes, des Roumains et des Suisses). Dans cette nouvelle phase de son histoire, Hammamet se dote d’autres formes d’urbanismes et s’étend au-delà des remparts avec: l’ouverture d’un bureau de poste en septembre 1884, la création d’une école en avril 1886 où l’instituteur est également chargé de gérer le bureau de poste et de téléphone, un hôtel de France, une gare en 1896 avec une ligne de chemin de fer qui ouvre la ville sur le monde extérieur. La ville se fait remarquer par des visiteurs particuliers (Klee, Make, Sébastien, Hunsen, Gide, Cuenod, Bernanos, Eykem, Roubtsoff, Medina, Burnet etc.) Quiy voient en elle «un nid coquet de verdure baigné par des vagues inondées de lumières». Les uns s’installent en construisant des villas typiques, d’autres viennent pour y faire des séjours plus ou moins longs dont nous trouvons les traces dans leurs œuvres artistiques et littéraires. Ils contribuent ainsi à mettre en place un premier de type de tourisme individuel appelé «romantique». Une fois indépendante, la Tunisie va tirer le plus grand profit de cet apport premier en expérience touristique datant de la période coloniale. Dès 1958, Hammamet se lance de pleins pieds et devient un des fleurons du tourisme de masse. La ville se met dans l’orbite des grandes cités prisées par les touristes européens et ensuite par les habitants des autres régions du pays.
La rencontre sur la mémoire plurielle de la ville sera l’occasion pour faire un regard global sur le passé de la ville, mais c’est aussi l’occasion de mettre ce passé aux cribles de la critique et de la réflexion sur les expériences passées, afin d’en tirer le meilleur profit avec des propositions et des suggestions capables du lui assurer un développement futur stable et inclusif respectant les équilibres écologiques pour ne pas mettre en danger la beauté ancestrale du site.
Habib Kazdaghli
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Bravo à mon collègue historien Habib Kazdaghli pour sa présentation de Mémoire Plurielle de la ville de Hammamet, ma seconde ville aussi. J'y ai beaucoup appris bien que j'en connaissais quelques aspects de l'histoire récente. Étonné par contre d'y découvrir plusieurs informations sur l'histoire médiévale de la ville. Étonné et dubitatif devant le tableau de reconstitution historique : falaise, escaliers, palmiers, remontée du niveau marin... Bravo à tous les collaborateurs de cet événement 2023. Avec l'espoir que d'autres associations culturelles du Cap bon et de Tunisie s' attellent à une telle entreprise. Une suggestion peut-être inutile : la collecte et le traitement des mémoires des vieux hammametois (ses) car pour reprendre le sage malien Hampate Ba : " en Afrique, un vieux qui meurt c'est une bibliothèque qui brûle '!