Abdelkader Fahem, la passion d’un tunisien pour l’Afrique subsaharienne
Par Habib Kazdgahli - Le vendredi 11 août 2023, un magnifique hommage à l'art de l'Afrique subsaharienne a été rendu par si Abdelkader Fahem, à l'espace Jeelen, sis au Squaq (ruelle) d’el Msetra à Nabeul. Un évènement qui arrive au bon moment et constitue une belle réponse aux tentations racistes qui sont en train de gagner du terrain auprès de certains milieux chez nous, hélas, plus particulièrement, depuis le mois de février dernier. Abdelkader Fahem a commencé son périple africain à Dakar en 1968 comment enseignant et expert de l’UNESCO, il a ensuite vécu dans au moins dans 10 pays africains comme consultant et expert de l’UNESCO ainsi que d’autres organismes internationaux. Au cours de cette rencontre nous avons eu droit à voir une partie de ses collections et vivre à travers son récit quelques moments du parcours et des pérégrinations d’un tunisien en Afrique. Nous avons découvert une passion débordante pour l’art africain, pour les coutumes et les croyances des hommes et des femmes et les pans d’une civilisation qui remonte aux premiers temps de l’Homme sur terre. Après un demi-siècle d’intérêt pour l’Afrique (30 ans passés dans divers pays africains et 20 ans de vie en France avec regard porté sur l’Afrique), Abdelkader Fahem, est revenu momentanément en Tunisie suite au Covid 19, depuisdébut 2020. Ainsi, du haut de ses 86 ans, il refuse encore de faire son «retour définitif» au pays. C’est ce qui lui cause certaines difficultés avec la douane et retarde un peu l’entrée successive en Tunisie de sacollection de reproductions d'art africain qu'il a rassemblée.A travers un récit succulent, émaillé par de multiples digressions qui dénotent d'une haute culture, le conférencier nous invite ensuite à une visite guidée des œuvres (environ 70 pièces en bois, en ivoire, en métal) exposés à l’espace Jeelen qui ne sont la partie apparente de l’iceberg des pièces collectées. Si Abdelkader s’érige en guide passionné, il s'arrête devant chaque sculpture, chaque buste, chaque tableau etc. Il nous explique la signification de l'œuvre dans sa globalité, les gestes, les intentions de son créateur pour s’étaler sur les caractéristiques de la pensée africaine concernant la représentation du corps, le rapport homme-femme révélant une égalité entre les deux sexes se basant la place aussi importante de chacun des deux dans la fécondité.
Décrivant son aventure africaine, Abdelkader Fahem s'est comparé à un Ibn Battouta des temps modernes, mais, relativise son action, puisqu’il dit qu’il n'a parcouru que les pays de l’Afrique subsaharienne alors que le vrai Ibn Battouta a découvert, à pieds, à dos de chameau, par mer, les trois continents du monde connu à son époque.Géographe de formation, il a été l’un des six étudiants de la première promotion de licenciés en géographie de la jeune Ecole Normale Supérieur de Tunis. Il a été tout d’abord enseignant au lycées de garçons de Sousse, ensuite à Sadiki, avant d’enseigner à l’Université après avoir eu son agrégation de géographie de l’Université de Bordeaux en 1965. Originaire de Nabeul, il s’est modestement comparé deux intellectuels de sa génération. Tout d’abord, à Jean Pierre Darmon, l'éminent archéologue découvreur de Néapolis (ancienne Nabeul) au cours des années soixante et en second à son professeur, Habib Attia, lui aussi, nabeulien comme lui, qui lui a fait aimer la géographie et qui s’est spécialisé dans l’étude des basses steppes tunisiennes qui vont être les zones du départ de la contestation sociale et constituer ainsi, le berceau de la révolution de décembre 2010- janvier 2011.On ne peut terminer cette présentation sans mettre en évidence le rôle de si Khaled el Fkih, fondateur du bel espace culturel privé Jeelen, qui a tenu à ce que cette exposition d’art africain ait lieu, après que le centre culturel international d'Hammamet avait hésité, il y a dix ans, à accueillir un tel événement. Bravo à si Abdelkader Fahem pour sa générosité et son désir de transmettre et de faire connaître une collection personnelle collectée avec passion durant plus d'un demi-siècle et qui nous montre sous un autre visage les composantes de notre civilisation africaine à laquelle la Tunisie fait partie, sans trop se reconnaître en elle et lui arrive de lui tourner le dos.
Habib Kazdaghli