Fruits d’été en Tunisie : Dommage, les prix explosent
Par Ridha Bergaoui - Depuis toujours, en Tunisie, l’été est la saison des fruits. En automne ce sont les dattes et la grenade, tout l’hiver est dominé par les agrumes, au printemps commencent les nèfles et les fraises. C’est en été qu’on a une explosion de fruits divers et variés (plus de 13 espèces différentes). En quantité également les fruits sont abondants aussi bien chez les fruitiers, les grandes surfaces, les souks hebdomadaires et dans la rue partout dans les étals fixes ou les camionnettes pleine à craquer.
Pomme, pêche, prune, raisins, pastèque, melon, figues de barbarie… toute une collection de fruits variés qui embellissent et garnissent les étals des fruitiers. En été, les consommateurs font le plein de fruits et de vitamines pour le reste de l’année.
Malheureusement, cet été, les prix sont chauds et le consommateur, déjà fragilisé par une inflation galopante, une détérioration écrasante de son pouvoir d’achat et une pénurie de nombreux produits de base peine à acheter même les fruits les plus populaires.
Pêche, pomme, prune, la moyenne des prix se situe à 5 dinars le kg. Le prix des raisons dépasse les 7 D/kg. Le prix des figues a dépassé les 10 D/kg. Celui des pastèques, le fruit le plus populaire de l’été, a atteint 1,8 D/Kg et les melons se vendent à plus de 2D/kg. Les figues de barbarie, d’habitude à la portée de tous, ont connu également une hausse vertigineuse.
De plus en plus de consommateurs n’arrivent plus à acheter des fruits et sont obligés de se passer du dessert pourtant important et recommandé pour ses apports nutritifs indispensables.
Aperçu sur la situation des fruits d’été en Tunisie
Si on ne compte pas les amandiers, dont les fruits sont essentiellement séchées et utilisées pour la confection de pâtisseries traditionnelles, les fruits d’été couvrent environ 100 000 ha. La pêche/nectarine et abricot occupent 26 000 ha, la pomme 18 400 ha et la figue 10 000 ha. La production des fruits d’été est estimée, pour 2021, à 390 000 tonnes dont 152 000 tonnes de pêche/nectarine (soit 39%), 125 000t de pomme (32%), 37 000t d’abricot (10%), 16 000t de figues (4%), 14 000t de poire (3,6%) et 9 000t de cerise (2%) (Revue Fruits de Tunisie, N°9, 2022, GI-Fruits). Les raisins de table couvrent environ 11 000 ha et produisent 130 000 tonnes/an.
Par ailleurs, la Tunisie compte au moins 300 000 ha de figue de barbarie qui, à raison de seulement 1 tonne/ha, produiraient 300 000 de tonnes/an de fruits. La production de figue de barbarie biologique est estimée à 23 000 tonnes/an.
Chaque année, la Tunisie exporte environ 60 000t de fruits d’été. La Lybie représente notre principal marché. On y exporte près de 80% de nos fruits essentiellement pêche, abricot et prune. L’Italie représente à peu près 10% des exportations, presque uniquement de la pastèque.
En comptant une exportation de 60 000 tonnes et une importation presque nulle, la consommation des Tunisiens de fruits d’été serait environ de 330 000 tonnes/an soit 27,500 kg/habitant/an pour une consommation globale en fruits estimée à 73 kg/an. Quoique cette consommation moyenne annuelle en fruits du tunisien semble correcte, et correspond à l’apport recommandé par l’OMS, elle cache cependant de grandes disparités en fonction de la région, du pouvoir d’achat, des habitudes alimentaires, de l’âge, du niveau d’instruction…
Une production en baisse
Comme tout le secteur agricole, le secteur des fruits d’été a souffert cette année de la sécheresse et du manque d’eau qui ont occasionné une baisse sensible des productions estimée à 25%. Au niveau des marchés de gros les quantités enregistrées sont plus faibles que ceux de l’année dernière. Au marché de Bir kassaa, la quantité de fruits commercialisée la journée du 03 aout par exemple n’est que de 60 tonnes contre 70 tonnes le même jour l’année dernière.
La chute de production s’est également traduite par une chute des quantités exportées. Selon l’ONAGRI, les fruits exportés pour la période du 01/01/2023 au 17/08/2023 est de 24 406 tonnes contre 42 033 tonnes l’année dernière. Elle a été également accompagnée d’une augmentation importante des prix au détail. En effet le prix moyen des fruits présenté au marché de gros de Bir Kassaa le 03 aout se situe à 3 dinars contre 2 dinars le même jour l’année dernière soit une augmentation de 50%. Melon et pastèque semblent enregistrer la hausse la plus importante respectivement de 140 et 160 %.
Cette situation de chute de la production semble à priori en contradiction avec le perçu du consommateur qui voit les fruits entassés partout dans la rue, les grandes surfaces et les fruitiers. C’est qu’avec les prix élevés de ces fruits et la détérioration du pouvoir d’achat du consommateur, la demande diminue et les fruits ne trouvent pas acheteurs.
Principales difficultés du secteur
Le secteur des fruits d’été est confronté à de sérieuses difficultés. La sécheresse et le manque de pluie sont en grande partie responsables de la chute de production ces dernières années. Avoir de beaux fruits, d’un bon calibre et avec du rendement nécessite en premier un apport suffisant en eau surtout durant les périodes de formation et de grossissement du fruit. La baisse de niveau des barrages et des nappes et la détérioration de la qualité de l’eau d’irrigation limitent les apports en eau. Certains agriculteurs se sont également plaints des coupures fréquentes d’électricité qui empêchent le pompage de l’eau et l’irrigation de leurs cultures.
Par ailleurs, en rapport avec le changement climatique, les vagues de chaleur et les canicules vécues au printemps dernier ont eu des effets catastrophiques sur les arbres fruitiers allant jusqu’au desséchement total et la mort des arbres. De nombreuses espèces d’arbres fruitiers ont besoin, au contraire, d’une certaine quantité de froid pour fleurir et fructifier et les hivers doux ne sont pas favorables à la floraison et fructification.
Les maladies, parfois inconnus jusqu’ici, sont à l’origine de nombreuses pertes. Il y a quelques années, plus de 70% des poiriers ont été décimés à cause du feu bactérien, une maladie virale incurable. La mineuse des agrumes, cette larve d’un petit papillon, a commis énormément des dégâts et demeure difficile à combattre. La cochenille du figuier de barbarie, récemment introduite en Tunisie, a commis d’énormes dégâts au Maroc et en Algérie et représente une sérieuse menace pour nos plantations.
A côté de la chute des productions, l’inflation, la hausse continue des prix des intrants, les problèmes de disponibilité de la main d’œuvre et des salaires sont également des raisons qui expliquent l’augmentation du cout de revient des fruits d’été. Les mauvais circuits de commercialisation et la multiplicité des intermédiaires et des spéculateurs sont également des arguments importants. De nombreux agriculteurs se plaignent toujours du prix très bas qu’ils reçoivent pour leurs produits, alors que ceux-ci arrivent beaucoup plus chers au consommateur.
Quelques suggestions
Les fruits, autant que les légumes, sont des aliments protecteurs. Riches en eau pour nous hydrater, en minéraux-oligoéléments, en vitamines (surtout vit C et A), en fibres en antioxydants…, les fruits sont d’excellents aliments santé. Pauvres en calories, on peut en consommer sans limite. Ils nous permettent de rester en forme, en bonne santé, de prévenir des maladies graves comme l’obésité, le diabète type II, les maladies cardiovasculaires et même certains types de cancers. Les fruits c’est bon, c’est bien digéré, facile à consommer sans préparation préalable, à part un lavage pour éliminer les saletés. Par ailleurs, un kilo de fruits est souvent moins cher qu’un paquet de cigarettes. Même les téguments sont riches en fibres et éléments nutritifs et il est recommandé de consommer si possible les fruits entiers sans les éplucher. En France, le Programme nutrition et santé recommande la consommation de 5 portions de légumes et fruits par jour, soit entre 400g et 500 g environ, dont moitié fruits et moitié légumes. Il est conseillé de manger des fruits à tous les repas et même se faire se plaisir en milieu de journée en croquant en pleine dent dans une pomme ou une poire bien douce et juteuse.
Maintenir les fruits à la portée du consommateur doit être, pour nos décideurs, une préoccupation primordiale autant que les viandes ou même le pain. Celui-ci vous maintient en vie, les fruits, et aussi les légumes, vous maintiennent en bonne santé.
Afin de réduire le prix des fruits d’été, il est possible d’agir sur deux leviers importants:
1- Réduire le prix de revient en améliorant la productivité (quantité et qualité) au niveau de l’agriculteur. Ceci passe par une meilleure maitrise de la technicité et des pratiques agricoles. L’économie d’eau est un facteur primordial dans un contexte de sécheresse et de stress hydrique. La bonne utilisation de cette ressource au niveau de la parcelle et la lutte contre le gaspillage doivent être un souci permanent de l’agriculteur.
2- Assainir les circuits de commercialisation et lutter contre la spéculation est essentiel pour moraliser ce secteur et lui conférer plus de transparence.
L’Etat doit encourager l’agriculteur et l’aider à atteindre des rendements satisfaisants et des produits de qualité. Il doit:
• Encadrer les agriculteurs, les former et les informer sur les techniques adéquates et économes d’eau
• Assurer l’approvisionnement en intrants nécessaires (engrais, désherbants et pesticides) à temps et en quantité suffisante
• Dans les périmètres publics irrigués, lutter contre les fuites et fournir à l’agriculteur l’eau nécessaire, dans la limite des disponibilités
• Appuyer la recherche pour des variétés résistantes à la sécheresse et adaptées au stress hydrique
• Développer la recherche en matière de lutte contre les maladies et les ennemis des productions arboricoles.
Avec le réchauffement climatique et le développement des échanges, la Tunisie se trouve exposée à de nouvelles menaces sanitaires. Une vigilance accrue, au niveau de nos frontières est nécessaire pour protéger notre cheptel et nos cultures.
Ridha Bergaoui