Habib Touhami - Tunisie: Quand la peur de réformer conduit à l’absurdité
Les statistiques publiées par l’INS sur la répartition du nombre d’agents de la fonction publique selon la fonction révèlent que 9,7 (en 1000) occupent une fonction de secrétaire général ou de directeur général (ou équivalent), contre 2,4 (en 1000) occupant une fonction de directeur, 5,3 (en 1000) occupant une fonction de sous-directeur et 11,2 (en 1000) occupant une fonction de chef de service. Cette pyramide des fonctions est quasiment unique au monde. En principe, le nombre de SG et de DG (ou équivalent) doit être inférieur à celui de directeur comme l’est celui de directeur par rapport au nombre de sous-directeurs, le nombre de sous-directeurs par rapport au nombre de chefs de service. Mais dans le cas de la fonction publique tunisienne, le nombre de SG et de DG (ou équivalent) est presque 4 fois supérieur à celui du nombre de directeurs.
Les agents de la fonction publique selon la fonction en milliers
2015 | 2016 | 2017 | 2018 | 2019 | 2020 | 2021 | |
Secrétaire général ou directeur général ou équivalente | 9,6 | 9,8 | 9,9 | 10,1 | 9,6 | 9,8 | 9,7 |
Directeur | 1,5 | 1,5 | 1,7 | 1,7 | 2 | 2,3 | 2,4 |
Sous-directeur | 3,5 | 3,7 | 4 | 4,3 | 4,9 | 5,4 | 5,3 |
Chef de service | 7,1 | 8,1 | 8,8 | 9,4 | 9,6 | 10,6 | 11,2 |
Total | 21,8 | 23,1 | 24,4 | 25,6 | 26,2 | 28,1 | 28,6 |
Source : INS
Manifestement, des DG coiffent des services «fantômes» qui n’existent pas dans la réalité, et la fonction de DG (ou équivalent) n’a été octroyée à certains hauts fonctionnaires que pour rehausser leurs salaires et traitements. Le résultat est que l’administration tunisienne se retrouve devant une pyramide inversée des fonctions, conséquence d’une politique salariale donnant la part belle aux indemnités de toutes sortes au détriment du salaire de base (plus de 60% du salaire brut pour les postes fonctionnels élevés). Pourtant, la réforme de la politique des salaires et traitements dans la fonction publique est mise sur la table depuis quarante ans. Des commissions ont été formées à cet effet et ont conclu toutes à la nécessité de réformer la grille indiciaire de la fonction publique afin de la revaloriser, l’aérer et ainsi préserver l’administration publique de la prolifération injustifiée des postes fonctionnels. Mais aucune réforme n’a abouti.
L’incapacité à réformer la politique salariale dans la fonction publique tunisienne est doublement significative. Elle signifie d’abord que les forces d’inertie ou de blocage au sein de la haute administration tunisienne l’emportent systématiquement sur la nécessité de réformer ce qui est devenu anachronique et contre-productif. Elle signifie ensuite que l’Etat tunisien est impuissant à résoudre certains problèmes lancinants, même quand il s’agit de problèmes n’ayant pas un impact direct sur la paix sociale. On pourrait comprendre les atermoiements des gouvernements successifs à réformer la compensation ou la rationalisation des dépenses nationales de santé, mais rien n’excuse le maintien d’une configuration absurde de l’architecture hiérarchique de l’administration publique d’autant que celle-ci contamine peu ou prou celle des entreprises nationales et de certains organismes administratifs et techniques relevant de la sphère publique.
Habib Touhami
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Merci pour ces informations très intéressantes qui me chagrinent beaucoup, comme beaucoup d’autres citoyens qui s’inquiètent de la gestion de l’administration publique. Comment peut-on alors se plaindre jusqu’à oser se pleurnicher sur la difficulté d’obtenir des crédits quand on lit vos alarmantes données sur ce tableau, Si Habib ? Ai-je raison de répéter quand je peux? : Il faut d’abord faire son propre ménage et balayer devant chez soi avant de se plaindre gratuitement ailleurs.