News - 11.07.2023

De l’Algérie à la Palestine, l’occupation est toujours à durée limitée (Première partie)

De l’Algérie à la Palestine, l’occupation est toujours à durée limitée (Première partie)

Mohamed Larbi Bouguerra - Deux ouvrages intéressants retiennent l’attention. Tous deux parlent d’occupation. L’un, «Quitter Psagot», de l’Israélien Yonatan Berg (L’Antilope, édit., Paris, 2021) traite de la vie dans une colonie orthodoxe installée sur les terres du village palestinien d’Al-Bireh; le second, «Attaquer la terre et le soleil» de Mathieu Belezi (Le Tripode, edit. Paris, 2022) traite de la colonisation de l’Algérie vers 1845. 

Ci-dessous, voici notre lecture de ce dernier livre réservant celle du premier à un prochain article.

Le livre lauréat du prix de France inter

Depuis 1977, je m’intéresse au Prix du Livre Inter dont j’ai fait partie du jury cette année-là. La présidence était confiée à M. Alain Peyrefitte, membre de l’Académie Française, ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure (ENS) et Garde des Sceaux.  Le livre primé cette était «Ana non» d’Augustin Gomez Arcos.

Pour 2023, le jury a décerné son prix à Mathieu Belezi pour son remarquable ouvrage «Attaquer la terre et le soleil» troisième livre de cet auteur traitant de l’atroce colonisation de l’Algérie. Il montre que la colonisation de l’Algérie était très éloignée du mythe dont on veut nous faire croire. «La conquête» a duré 40 ans de 1830 à 1670. Belezi s’attaque, dit-il,  à «un sujet tabou» alors que de nombreux blocages politiques s’opposent à la publication des archives. (Libération, 1er septembre 2022, p. 16-17). De son côté, il mène un travail littéraire sur la langue et affirme: «…La littérature a un rôle à jouer dans les périodes où l’humain a basculé dans l’horreur… La littérature permet d’entrer au plus intime de ces turpitudes humaines, de comprendre l’incompréhensible et d’aller, au nom de la scandaleuse liberté de la littérature, là où l’historien ne peut pas aller.»

Dans ce poignant et court roman, Belezi fait parler une femme du peuple sans espoir, Séraphine, et un soldat cynique, véritable mercenaire qui viole, pille, massacre et met l’Algérie en sang sous les ordres d’un capitaine arrogant sur son cheval piaffant qui déclare: «Nous ne sommes pas des anges» et ses séides de répondre en chœur: «Non, nous ne sommes pas des anges.» en entonnant à tue-tête:

«Courons au carnage
Vers le pillage
Mitraillons
Brûlons, saccageons!
Et cueillons des galons:
Nous colonisons»

Tout un programme! Telle est la colonisation civilisatrice! Dans un village conquis, dument saccagé et rendu à l’Age de Pierre, face au capitaine, un vieil homme proteste d’une voix douce et obstinée contre les viols de villageoises: «Ce sont nos femmes, sidi mon commandant en osant relever la tête pour planter les yeux dans ceux du capitaine.» Du haut de son cheval, le capitaine le tue.
Dans le roman, Séraphine est une femme bernée arrivée en Algérie avec ses trois enfants, son mari, sa sœur et le mari de cette dernière dans le cadre de la «colonisation de peuplement» pour rendre définitive la conquête française de l’Algérie comme le pensent les politiciens à Paris et «le grand colonat» sur place. Quand elle met le pied en Algérie, 15 ans ont passé depuis que l’armée française a débarqué à Sidi Ferruch le 14 juin 1830, à 30km d’Alger et la féroce pacification des années 1845 bat son plein. Des Algériennes se plantent des couteaux au cœur pour échapper au viol de la soldatesque française. Cette dernière invente le supplice des «enfumades»: les villageois se cachant dans les grottes dans les montagnes pour échapper aux militaires, l’armée place des fagots de bois à l’entrée de ces refuges et y met le feu condamnant à l’asphyxie femmes, enfants et adultes algériens qui mourent étouffés.

En somme, des chambres à gaz rudimentaires.

Au lieu de la maison promise, Séraphine trouvera une tente et la terre qui lui est concédée est rocailleuse et sèche. A l’entour, il y a les résistants algériens qui ne font pas de quartier pour défendre leurs villages et leur patrie. Elle est enfermée dans l’enclos de «la colonie agricole», sous la protection omniprésente de l’armée et aller au bord de l’oued laver le linge est périlleux. Deux de ses enfants mourront du choléra ainsi que sa sœur dans cette colonie où «les tombes poussent à la vitesse du chiendent.» Tout au long du livre, elle n’arrête pas de supplier: «Sainte et sainte mère de Dieu, pourquoi nous avez-vous abandonnés?»  Elle est sûre que les promesses officielles ne seront pas tenues. (Le Monde des livres, 25 août 2022, p.1). Comme les soldats, elle a peur. Elle se voit «livrée impitoyablement au soleil, au choléra et au paludisme, aux fauves affamés tout aussi bien qu’aux indigènes qui ne nous supportaient pas ei qui chassaient le roumi que chacun de nous était devenu avec la même férocité que le lion chasse sa proie, car après tout c’est ce que nous étions en train de devenir des proies.»

Cassée, elle finira par quitter l’Algérie, après avoir signé «l’acte de renonciation» à sa concession… de terre  «pour sortir de l’enfer.»
Mathieu Belezi fait parler un soldat – homme du peuple berné tout comme Séraphine par les richards que la colonisation fait saliver- et dont la voix alterne avec celle de Séraphine. Porté sur la gnôle et la dive bouteille, pour lui, le viol, les pillages, les razzias, les massacres? «C’est mon travail de soldat» se justifie-t-il. Mais la peur est sa compagne assidue. Les militaires allument de grands feux quand ils s’arrêtent pour bivouaquer la nuit, feux qui «tiendront à distance les lions du désert et les yatagans des barbares toujours prêts ceux-là à nous trouer la couenne.» «Les barbares» sont, bien entendu, les résistants algériens.

Voilà l’effrayant et hideux visage de la colonisation!

L’illusion coloniale est toujours à durée limitée.

Mohamed Larbi Bouguerra