News - 04.07.2023

Skander Ounaies: Les défis immédiats de la Tunisie

Skander Ounaies: Les défis immédiats de la Tunisie

Je voudrai attirer ici, l’attention sur trois éléments essentiels qui touchent directement à l’économie de la Tunisie: deux  sont d’ordre interne et le dernier touche les relations avec l’Union Européenne (UE).

A /Au niveau interne

1) J’entends et je lis qu’un projet de loi est en cours pour «limiter» l’Indépendance de la Banque Centrale de Tunisie (BCT): ce serait l’erreur monumentale à ne pas faire.

Les «défenseurs» de ce projet de loi, qui maintenant, comprennent tous, sur le bout des doigts, la politique monétaire des Banques Centrales, poussent pour ce projet, avec, pour faire simple, un financement des déficits de l’Etat par la BCT. On fait un parallèle avec la Banque Centrale Européenne (BCE) qui, jusqu’à 2020, finançait les déficits de Etats par des rachats de titres de dettes souveraines. On oublie, volontairement, ou par méconnaissance, de citer  deux  éléments fondamentaux de cette politique de «quantitative easing»:

Les économies européennes sont productives et mondialement concurrentielles;
Le niveau d’inflation y est très bas, puisque les taux réels  pratiqués par la BCE étaient, en fait, négatifs!

De plus, à aucun moment, à ma connaissance, les intervenants, économistes ou  gestionnaires, sur TV et radios, qui poussent vers cette loi, n’ont évoqué la notion fondamentale de «crédibilité de la politique monétaire des Banques Centrales», qui est un concept essentiel pour optimiser la lutte contre l’inflation et la défense de la monnaie.

Comment alors analyser un processus, si son fondement n’est pas maitrisé?

Voici ce qui risque de se passer si le rôle de la BCT devait être modifié, selon cette loi:

La crédibilité évoquée plus haut, serait fortement affectée: les relais financiers avec l’extérieur en subiraient les conséquences, les primes de risque de la Tunisie sur les marchés financiers internationaux, vont s’envoler sans retour, avec en plus une situation d’ «overshooting» quasi certaine, c'est-à-dire qu’il y aura «sur réaction» sur ces marchés, du fait de l’exemple des négociations avec le FMI;
Le financement, même d’une partie du déficit de l’Etat, affecterait, le niveau d’inflation,  et surtout, le niveau du Dinar, qui risque de plonger gravement, car la création de monnaie ne correspondra pas à un accroissement de production réelle. De plus, la politique «économique» du gouvernement plongera plus dans les déficits, puisque, de toute façon, le financement de la BCT est assuré: situation dite d’«aléa moral», c'est-à-dire, dans ce cas, que la bonne gouvernance deviendrait  secondaire. Que dira le FMI?

Le meilleur exemple en la matière est la Turquie, qui a voulu limiter l’indépendance de sa Banque Centrale, en nommant un nouveau gouverneur plus accommodant, le 20 mars 2021, qui va orienter le taux directeur à la baisse, malgré une inflation forte (15,6%): résultat: la livre turque  se déprécie de 44%  par rapport au dollar, en 2021, et la chute continuera en 2022.

Voilà le scenario qui nous attend, sachant que notre économie n’a pas la puissance productive de l’économie turque et que nous ne sommes pas membres de l’OTAN!

2) Pour nous, et du fait de la sécheresse, l’année agricole a été catastrophique!

Voici quelques chiffres qui sont très inquiétants:

a) Récolte 2023: 1,3 millions de quintaux
b) Notre consommation: blé dur, tendre et orge: 30 millions de quintaux!
c) Pour les semences, il faut 2 millions de quintaux (semences tunisiennes)

Conclusion

a) nous n’avons même pas assez pour nos semences à la rentrée 2023.
b) il faudra importer la quasi-totalité de notre consommation, soit 30 millions de quintaux!

Que faire face à ce problème et avec des remboursements de dettes étalés sur l’année: payer le blé ou payer la dette?
c) le problème se poursuivra en 2024, puisque nous n’aurons pas assez de semences pour produire notre minima, qui tourne autour de 7 millions de quintaux.

B/Au niveau externe

Le futur accord financier avec l’UE, si accord il y aura, est tés faible (1 milliard d’euros à long terme) et 150 millions de suite. Comparons le avec les nouvelles sommes que l’UE compte réserver à l’Ukraine, sur les 3 prochaines années, soit prés de 50 milliards d’euros ,   une «facilité» de 33 milliards d’euros en prêts et 17 milliards d’euros en dons, pour la reconstruction!

Où sont les transitions énergétique, et numérique dans cet «accord»?

Où est l’évaluation en retour, des compétences scientifiques tunisiennes (médecins spécialistes et ingénieurs), parties travailler en UE, à  mettre dans la balance des discussions(1)?
Voilà, c’était une sonnette d’alarme sur trois événements à hauts risques, qui vont nous affecter tous, directement.

Skander Ounaies
Professeur à l’Université de Carthage
Docteur en Sciences Economiques de l’Université de la Méditerranée, Aix en Provence,
Ancien Conseiller Economique au Fonds Souverain du Koweït, KIA.

 

1) Voir : Ounaies S.: «Tunisie : nous ne voulons pas être la sentinelle migratoire de l’Europe»,
Tribune «Le Monde» et «Monde/Afrique» du 05 Mai 2023.


 

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