Taoufik Habaieb: Des solutions innovantes de financement
La fragmentation du monde devient plus profonde. Sous les chocs successifs de la pandémie de Covid-19, de la flambée des prix mondiaux accentuée par la guerre en Ukraine et du resserrement monétaire, les inégalités se cristallisent entre les pays du Nord et ceux du Sud.
Pauvreté, réchauffement climatique et service de la dette obèrent beaucoup plus les pays émergents et fragiles que les autres, prospères et plus polluants. Face au déni, la défiance s’installe.
Choisir entre payer sa dette, lutter contre la précarité et protéger son environnement est difficile à trancher, en l’absence de toute solidarité agissante. L’architecture financière mondiale conçue en 1944 a failli à son devoir, s’avérant aujourd’hui incapable de fournir un filet de sécurité global aux pays en développement.
Au lieu de construire des passerelles, on a laissé plutôt se creuser des tranchées. La recherche d’un nouveau pacte financier mondial, mise en débat lors d’un sommet récemment tenu à Paris, est venue à point nommé pour prêter écoute à l’appel du Sud, engager un dialogue responsable et esquisser des solutions innovantes de financement.
Tous l’ont reconnu : «le système de Bretton Woods est dépassé, dysfonctionnel et injuste. Punitif !». La nécessité de sa refonte risque de prendre du temps, alors que des nations en proie à des crises aiguës ont des besoins financiers immédiats. Oui, le FMI, la Banque mondiale et d’autres institutions financières de développement doivent changer de vocation pour se concentrer essentiellement sur le financement de la transition énergétique, la santé et l’éradication de la pauvreté.
Oui, la représentation dans les instances décisionnelles de ces banques sur la base des parts d’actions souscrites à leur capital ne saurait perdurer. Des sièges et des droits de vote doivent être réservés aux pays en développement.
Oui, une pause du service de la dette est à envisager en cas de catastrophe naturelle, mais aussi de pandémie et de crise économique et sociale. Une restructuration de la dette, comme vient d’en bénéficier la Zambie lors du récent sommet de Paris, gagnerait à s’ériger en référentiel.
La division du monde entre riches et pauvres ne profitera à aucune nation. Une fragmentation des échanges commerciaux réduira le PIB mondial de 8 à 10%. Une augmentation des taux directeurs des banques centrales, pour juguler l’inflation, pénalisera la croissance. Et une forte pression fiscale, comme un décrochage brutal de la compensation des produits de base, seront lourds de conséquences.
Plusieurs voix émanant des pays du Sud ont porté ce discours lors du sommet de Paris. Le président Kaïs Saïed y est allé de son franc-parler. Ce qu’il n’avait cessé de répéter au sujet des conditions du FMI et d’autres bailleurs de fonds et les risques sociaux encourus était partagé par nombre de ses pairs présents. Tous appellent à un changement radical dans les relations nord-sud. Fournir les financements nécessaires, en soutien gracieux essentiellement, et en crédits avantageux, accessoirement, sans oukases ni interférence dans les choix propres à chaque pays, doit relever d’un nouvel impératif de solidarité.
Les pays nantis ont une dette historique envers la planète et ses populations. Et un devoir à l’égard des économies fragiles et émergentes. S’il n’a pu aboutir à des décisions concrètes, le sommet de Paris aura eu le mérite de mettre sur la table des discussions tant de questions cruciales. La recherche de sources innovantes de financement, comme une taxation du commerce maritime et autres, est lancée.
Le processus sera long. Paris aura été une bonne étape. L’essentiel est de sortir d’une logique d’un Nord qui impose sa vision et ses conditions au Sud. A la veille de la COP 28 cet automne aux Émirats arabes unis et dans la foulée de la réunion du G2 en Inde, ces débats sont à poursuivre et faire aboutir.
Mais d’ici là, les besoins de financement sont d’une urgence vitale pour de nombreux pays. La Tunisie aspire légitimement à une réponse immédiate.
Taoufik Habaieb