Bargellil, traduit de l’arabe par Samia Kassab Charfi: Un «Eclair» à déguster avec délectation
Par AïssaBaccouche - «Bargellil» n’est plus à présenter. C’est une des pièces maîtresses de l’œuvre romanesque de Béchir Khraief (1917-1983). Ce livre caracole en tête des classiques para-scolaires proposés / imposés aux élèves du secondaire. Fawzi Zmerli, professeur de littérature arabe à l’Université de Tunis en assez dit, écrit et rapporté(1).
Il en a fait le sujet de sa thèse de 3ème cycle soutenue en 1983, sous la conduite de Taoufik Baccar, devant un jury présidé par Mongi Chemli. Le Graal pour chercheur en herbe.
En ces temps de fêtes, sa collègue Samia Kassab Charfi, nous a gratifié, quant à elle, de l’édition française de ce roman hors normes. «J’ai tenté, m’écrit-elle – de porter la voix de cet auteur exceptionnel dans une autre langue».
La fille de l’un de mes maîtres vénérés au collège Sadiki, a sûrement de qui tenir. Sid Ahmed Kassab (1929-2019)(2) son géniteur, historien et géographe de renom, maniait la langue de voltaire comme savaient le faire les sorbonnards de la belle époque à l’instar de l’historien Fernand Brandel (1902-1985) et du géographe Pierre Georges (1909-2006).
Je n’ai pas souvenir qu’il employât un mot de la langue arabe, parlée ou littéraire Samia, quant à elle, a plongé dans la littérature arabe autochtone et a recueilli en binôme avec Adel Khedhr, une anthologie, devenue une référence universelle(3).
Bargellil, «Eclair dans la nuit», selon l’expression lumineuse de la traductrice, est un esclave, tantôt affranchi, tantôt rétabli dans son statut, et qui se meut volens nolensà travers le temps – le conflitturco-hispanique au moment du délitement de l’Etat Hafside – et l’espace – les dédales de la médina de Tunis.
Le génie de Si Béchir est de nous attacher aux ailes de ce personnage léger qui volète comme un oisillon.
Primé par la ville de Tunis-prix Ali Belhaouane – Bargellil n’a pas connu que des heurs. Il fut l’objet, en son temps, d’une controverse suscitée par le recours de l’écrivain, dans les dialogues, au dialecte tunisien. Certains puristes en furent horripilés; mais pour notre bonheur, de grands noms vinrent à la rescousse : Sadok Mazigh, Salah Guermadiet surtout Férid Ghazi, qui dans une tribune publiée dans la revue l’Orient avait encensé le parti adopté par Khraief(4).
Mais au-delà du phrasé Khrafien il y a le pittoresque enclenché par un marcheur dans la ville bon œil bon pied.
Si Tunis nous était conté, qui mieux que l’auteur de Bergellil peut le faire avec autant de dextérité. Si aux dires de Ezzeddine Guellouz (1928-2023) qui vient de nous quitter, Chedly Ben Abdallah (1914-1997) est le poète de la ville de Tunis, Béchir Khraief en est le conteur patenté. Souvenons-nous : Bellara, Mechmoul El Fel, Hobbek derbani…
Ce qui m’a titillé particulièrement c’est le zoom que projette Kraief sur un personnage légendaire, Mohrez Ibn Khalef. Disparu il y a mille ans, le meddeb de l’Ariana devenu le Saint parton de Tunis, semble incontournable dans le Roman Tunisien.En dépit de la non-concordance des temps, Sidi Ben Arous a dû lâcher pied depuis ses vociférations «Si ce n’était Mehrez, Ô Tunis» p. 54.
De telles formules, devenues pour certaines proverbiales, sont légion sous la plume fine et ciselée de Samia Charfi. Contrairement à un adage éculé – «traduire c’est trahir»– traduire, dans le cas d’espace est, plutôt, pour notre grand plaisir, éblouir.
A n’en pas douter, la traductrice a dû éprouver le même plaisir «Bargellil est à savourer comme le conte philosophique le plus réussi de l’immense écrivain Béchir Khraief»(5).
L’ouvrage de Samia Charfi, ainsi effleuré, ne mérite-t-il pas de voyager loin. La grâce de l’Eclair ne peut-elle pas toucher nos Co-locuteurs du110 de la Rue de Grenelle à Paris chapeautés pas Pap Ndiaye un ministre dont le regard brasse au-delà du limes de l’Hexagone.
L’écrivaine quebéquoise Hélène Dorian ne vient-elle pas de figurer au programme du bac français(6).
Bargellil scintille de faisceaux qui pourraient illuminer le quai Conté où trône le temple des immortels(7).
La francophonie, ce ne doit pas être un vain mot, mais un comportement, un commerce des idées et écrits, équitable.In fine, chers lecteurs, chèreslectrices, apprêtez vos papilles: «il (Bargellil, demeura tapi entre lesgenévriers de la colline, tiraillé entre deux désirs: poursuivre sa fuite, avec, par devant lui, la terre de Dieu, tout entière, ou s’en retourner à la ville comme s’en retourne le papillon au feu qui le consume» p 88
Aïssa Baccouche
1) Cf l’entretien réalisé par le chercheur avec l’auteur de Bargellil chez lui Rue Sidi Zahmoul à Tunis, paru dans la revue Al Hayet Al Thakafia n° 287 Janvier 2018.
2) Quand j’étais maire de l’Ariana (1980-1985), un jour il me rendit visite. Remarquant la permanence de mon caractère flegmatique il me sermonna: «Soyez durBaccouche!»
3) «Un siècle de littérature en Tunisie (1900-2017)» publié chez Honoré Champion.
4) Lequel a été occulté par Ali Douaji, dont Kraief fut l’admirateur, pour ne pas heurter, selon les exégètes, la sensibilité des pontes de l’Université Zeitounienne.
5) 4ème couverture du livre paru chez Sud-Editions
6) Le journal «Le monde» du 14 Avril 2023
7) Verra-t-on un jour un Tunisien reçu à l’Académie Française. Albert Memmi avait échoué. Qui sait, peut-être, Taher Bekri, Hédi Kaddour, Hédi Bouraoui…
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