News - 10.04.2023

Tunisie: La fraise en danger, la culture hors sol la solution (Album photos)

Tunisie: La fraise en danger, la culture hors sol la solution

Par Ridha Bergaoui - Avec l’arrivée du printemps, la fraise est très présente sur les étals des marchands de fruits et légumes. Elle fait la liaison entre la saison des agrumes et celle des fruits d’été (nèfles, abricots, pêches…). Son arrivée et sa disponibilité sur les marchés à des prix abordables fait le bonheur de tous, petits et grands, aussi bien les ménages que les professionnels des métiers de bouche et des industriels.

La fraise, un produit apprécié par tous

La fraise est un produit savoureux, très agréable. Fruit élégant et raffiné, sa couleur rouge ne laisse jamais indifférent et on est tenté, jeunes et vieux, d’en gouter. C’est un produit qui fait rêver et annonce l’arrivée des beaux jours. Il incarne la beauté, la fragilité. Sa forme en cœur est symbole d’amour, de fécondité et de fertilité.

Riche en vitamines (surtout vitamine C), minéraux, oligoéléments, antioxydants et en fibres, la fraise est peu calorique et très nutritive. On lui attribue de nombreux mérites : fruit minceur pour sa faible teneur en énergie, effets cardio-vasculaires protecteurs et anti cancer grâce à sa richesse en antioxydants, facilement digestible et bon pour le transit grâce à sa richesse en fibres, la fraise est un produit à la fois plaisir et santé, à consommer sans modération.

La fraise peut être dégustée nature ou avec un peu de sucre et parfumée chez nous par de l’extrait de la fleur de bigaradier, un vrai délice. Elle est également appréciée en jus et très demandée dans les cafés-restaurants et hôtels ou lors des fêtes (mariages, réussites…). Les pâtissiers l’utilisent souvent pour garnir leurs gâteaux, fabriquer des glaces et des sorbets. On en fait de la confiture et elle est utilisée pour préparer de nombreux produits laitiers parfumés et au gout de la fraise.

La culture de la fraise en Tunisie

La culture de la fraise en Tunisie, est relativement récente. Démarrée dans les années 1990, les surfaces réservées à la culture de la fraise n’ont cessé d’augmenter pour atteindre 614 ha en 2019. Toutefois, avec le manque de pluie et l’épuisement des nappes, les surfaces tendent à diminuer. Pour l’année en cours, les surfaces cultivées n’ont atteint que 420 ha, soit 100 ha de moins que l’année dernière. La production prévue pour cette année serait de 16 000 qx alors que l’année dernière la production avait atteint 23 000 tonnes.

La culture du fraisier est essentiellement localisée dans la région du Cap-Bon qui occupe plus de 90% de la surface cultivée. C’est surtout la région de Korba qui représente la capitale de la fraise puisqu’elle détient 60% des surfaces cultivées. Korba abrite, depuis quelques années, et à la fin du mois d’avril, un festival de la fraise, une occasion intéressante pour des manifestations aussi bien agricoles que culturelles, touristiques et sportives.

La fraise est cultivée en plein air ou sous serres en plastique. La culture est généralement faite sur billons couverts de plastique noir. Cette technique permet d’économiser de l’eau d’irrigation, de limiter le désherbage, de protéger les fruits et de garder la chaleur. Les plants sont placés à une vingtaine de centimètres de distance et irrigués en goutte à goutte. La plantation se fait selon le type de plants, surtout en septembre-octobre et la récolte commence en mars avril pour s’étaler jusqu’au mois de juin.

De nombreuses variétés existent selon la précocité, taille, gout et saveur, remontantes donnant une seule récolte ou non remontantes avec une plus longue période de récolte… Le catalogue national comporte une douzaine de variétés homologuées, seule cinq variétés sont les plus cultivées. Près de 20 millions de plants frigo sont importés chaque année essentiellement d’Espagne. Le fraisier attire de nombreux ennemis (insectes, nématodes, acariens, champignons…) et l’agriculteur est amené à traiter fréquemment pour protéger ses plants et sa récolte. La fraise exige beaucoup de travail et de main d’œuvre surtout en période de récolte et de mise en barquettes, le fruit étant fragile et se conserve mal.

La production de la fraise est destinée essentiellement au marché local. Quelque 400 qx sont exportés chaque année aux pays du golfe (les EAU, Arabie Saoudite, le Koweït…). La consommation se fait en frais, une partie est congelée et transformée pour en faire des préparations surtout utilisées pour parfumer les produits laitiers (yaourts, boissons lactées…) ou pour faire de la confiture.

Les fraisiculteurs se trouvent confrontés à de nombreux problèmes. D’une façon générale, les couts de production sont de plus en plus élevés. Les prix de l’énergie, plants, produits chimiques et autres intrants sont en hausse continue. La main d’œuvre est de moins en moins disponible et de plus en plus exigeante et chère. Compte tenu du pouvoir d’achat du consommateur en nette régression et le plafonnement des prix à la vente par les autorités, les marges bénéficiaires ne cessent de diminuer et la rentabilité de la culture de s’effriter.

Par ailleurs les professionnels se plaignent de l’absence d’une structure professionnelle pour les organiser et les défendre ainsi que le manque d’usines de transformation et de conditionnement. Toutefois le problème principal demeure le manque d’eau d’irrigation suite à la sécheresse que connait la Tunisie depuis de nombreuses années.

La fraise et le réchauffement climatique

La sécheresse a entrainé une diminution sensible de la pluviométrie et une baisse des niveaux des nappes phréatiques. La chaleur s’accompagne d’une augmentation de l’évapotranspiration des plantes et des besoins en eau. La chaleur précoce entraine une baisse des productions sachant que le fraisier a besoin d’une certaine quantité de froid pour fructifier. Elle peut accélérer la maturité des fruits avec comme conséquence de quantités importantes de produit à récolter en un temps très court. Ceci conduit à une demande importante en main d’œuvre et un risque de détérioration rapide de la qualité et de pourrissement du fruit très fragile.

La chaleur favorise le développement des maladies et la multiplication des pathogènes ce qui oblige l’agriculteur à utiliser plus de pesticides et de produits chimiques pour protéger ses cultures. Ceci conduit à une augmentation des coûts de revient et encore plus de résidus sur les fruits et plus de menaces pour la santé du consommateur.

Avec le réchauffement climatique, la culture de la fraise se trouve sérieusement menacée, la production risque de diminuer et les couts de revient d’augmenter. La fraise peut devenir, dans les années prochaines, un produit de luxe, rare et couteux. Il est nécessaire de revoir le mode de production pour s’adapter au changement climatique et à la raréfaction des ressources hydriques.

La fraise, un produit plein de pesticides

Le fraisier attire de nombreux parasites et ennemis divers. Afin de protéger sa culture et sa production, l’agriculteur est amené à intervenir fréquemment et traiter régulièrement pour avoir de beaux fruits rouges qui attirent le consommateur. La fraise est certainement le produit agricole le plus contaminé par les pesticides. Certains agriculteurs utilisent plus d’une vingtaine de traitements.

En Tunisie, les pesticides posent un sérieux problème. On se rappelle tous du problème du rappel en France de la Maltaise de Tunisie au mois de mars dernier, avec au moins 40 tonnes refusées et redirigées vers la Tunisie, à cause de pesticides qui dépassaient les normes autorisées.

Mal suivis et mal contrôlés, objet de trafics et de malversations diverses, les pesticides, destinés initialement à aider les agriculteurs, sont devenus une véritable charge économique dont l’efficacité est très douteuse. Ils représentent un sérieux danger sur la santé tant pour l’agriculteur que les consommateurs particulièrement les enfants sensibles. Les effets néfastes sur la biodiversité et l’environnement ne sont pas non moins importants. Le délai avant récolte (DAR) n’est généralement pas respecté et souvent l’agriculteur continue à traiter sa culture jusqu’à la mise en barquettes.

Pourtant de nombreuses méthodes existent pour réduire les résidus des produits phytosanitaires. Les produits bios sont les moins contaminés. Des méthodes de lutte biologique, l’utilisation des prédateurs, la lutte intégrée, les biopesticides, des pratiques culturales efficaces… existent et permettent de limiter l’utilisation des pesticides.

L’encadrement et la formation des agriculteurs à l’usage convenable des pesticides sont indispensables. L’Etat se doit de veiller à l’application de la réglementation, le suivi et le contrôle rigoureux de ces produits dangereux et toxiques.

Pour le consommateur, il est conseillé de bien laver les fraises avant de les consommer. Les laver, à l’eau vinaigrée ou salée et bien les rincer, permet de les débarrasser d’une grande partie de pesticides sur la surface du fruit.

La culture hors sol de plus en plus pratiquée dans le monde

De nombreux pays ont opté pour la production abritée, hors sol de la fraise. En France, plus de la moitié de la production des fraises se fait-en hors sol. La culture est pratiquée dans des serres, en tunnels ou multi chapelles, qui assurent une bonne aération et une bonne luminosité. L’humidité et la température sont contrôles. Les plants sont installés dans des sacs de terreau ou de fibres naturelles placés sur des supports à une certaines hauteur mais facilement accessibles. Ils reçoivent de l’eau en goutte à goutte ainsi que tous les éléments fertilisants nécessaires. La pollinisation est meilleure en présence de bourdons à l’intérieur de la serre.

Ce mode de culture présente de nombreux avantages dont une productivité élevée durant toute l’année. Il permet l’élimination des problèmes du sol (surtout les nématodes), de faire des économies d’eau, de produits chimiques et d’éliminer le désherbage. Le travail est plus agréable et plus facile, sans devoir se baisser. L’installation présente beaucoup moins de risques de maladies pour les plantes et les interventions phytosanitaires limitées avec des fraises saines comptant peu de résidus. Celles-ci sont bien protégées du soleil et des intempéries, ont un meilleur aspect et sont plus attrayantes.

Les cultures sous serre permettent de réduire l’évapotranspiration et la consommation d’eau. Le système hydroponique peut être également être envisagé et se révéler intéressant. Il permet de faire de sérieuses économies d’eau.

L’avenir de la fraise se décide aujourd’hui

Compte tenu des difficultés auxquelles se trouvent confrontés les fraisiculteurs, exposées précédemment, et suite à l’importance socio-économique du secteur et l’intérêt porté par le consommateur pour ce produit plaisir-santé, il est nécessaire d’agir afin d’éviter le déclin de cette production et l’abandon de la culture de la fraise par les agriculteurs.

La culture hors sol semble la solution la plus adéquate permettant de surmonter les effets négatifs du réchauffement climatique et de la rareté des ressources hydriques. Ce mode de production permet également de réduire le nombre de traitements chimiques, de dépenser moins dans les pesticides tout en offrant au consommateur un produit de qualité, peu contaminé. 

Il serait nécessaire d’encourager et d’aider les fraisiculteurs dans cette reconversion et d’instaurer un système d’aide et de subvention adéquat. La culture du fraisier en hors sol exige une technicité élevée.

Une formation et un encadrement rapproché des agriculteurs seront nécessaires. On peut spécialiser un centre de formation professionnelle dans les cultures hors sol en général et celle du fraisier en particulier. Et pourquoi ne pas créer un centre technique dédié à la culture de la fraise, au même titre que le Centre Technique de la Pomme de Terre et de l’Artichaut à Saïda, qui pourra aider les agriculteurs dans le choix des variétés, les systèmes d’irrigation, les maladies et les moyens de lutte… Aider les fraisiculteurs à se regrouper en une Société Mutuelle de Services permettra de résoudre de nombreux problèmes de production et de commercialisation.

L’avenir de la fraise se décide aujourd’hui. Il est primordial de ne pas laisser disparaitre une culture aussi importante que celle du fraisier qui présente un intérêt certain pour les fraisiculteurs, les consommateurs, la région du Cap-Bon, tout le pays et l’économie nationale d’une façon générale.

Ridha Bergaoui

 

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