Tunisie-Italie: Se projeter nonobstant les circonstances
Par Mohamed Adel Chehida - Le titre choisi par le quotidien italien «Repubblica» pour l’interview que lui avait accordé le ministre tunisien des Affaires étrangères, Nabil Ammar, prêtait à confusion. Lui attribuer «Nous sommes en première ligne pour aider l’Italie à gérer les flux migratoires mais nous avons besoin de plus de moyens» a été rapidement recadré par Tunis pour rester fidèle aux propos tenus.
Cet épisode ne sera certainement pas le dernier car depuis quelques mois ce type de déclarations de part et d’autre de la Méditerranée autour de la question de l'immigration dite «clandestine» et de la situation politique en Tunisie ne sont pas rares.
L’Italie, à travers la présidente du gouvernement (d'extrême droite), Mme Giorgia Meloni, a exprimé ses «préoccupations sur la situation politique en Tunisie». De son côté, M. Tajani, vice-président du conseil des ministres italien et ministre des affaires étrangères italien estime que «le pays traverse une crise socioéconomique qui le met au bord de la faillite avec un risque de guerre civile et de retour des frères musulmans au pouvoir» (interview au journal Corriere Della Sera) (sic). L'unique préoccupation de ce gouvernement est le risque d'une invasion à travers l'immigration clandestine, qu’il faut l'intégrer dans la réflexion. Les prévisions parlent de 900 000 arrivées dans les prochains mois. Giorgia Meloni et ses ministres se sont positionnés en défenseurs de la Tunisie auprès du FMI pour accorder à la Tunisie le fameux prêt de 1.9 milliards de dollars, mais en politique étrangère les bons sentiments n'ont aucune place. Européens et Italiens exercent des pressions sur les autorités tunisiennes comme le prouvent les déclarations faites par le commissaire européen Paolo Gentiloni suite à sa visite de la Tunisie. Cerise sur le gâteau, une agence de presse italienne «Nova» annonce la maladie du président Kais Saied et son hospitalisation, alimentant ainsi les délires sur les réseaux sociaux. La mobilisation des pro-Kais Saied contre les Italiens ne s'est pas fait attendre et ainsi la confusion souhaitée est devenue totale.
Ce rapide survol de ce qu'il faut bien qualifier d'anecdotes insignifiantes résume les relations mouvementées entre les deux pays voisins. La vacance du poste d'ambassadeur tunisien à Rome depuis septembre 2022 n'aide pas et la vacance de plusieurs postes consulaires est interprétée à juste titre comme un signal négatif.
Au-delà de la question migratoire
Les rapports italo tunisiens ne devraient pas dépendre d'un seul dossier comme celui de l’immigration. Certes, il s’agit bien d’un sujet commun qui concerne tous les pays méditerranéens, mais de là à en faire le pilier de notre relation avec l'Europe, ce n'est pas dans l’intérêt de la Tunisie, ni celui de l’Europe.
La recherche de l’eldorado européen et l'envie de fuir la misère font prendre des risques inconsidérés à des femmes et des hommes Africains. Que la Tunisie refuse d’ériger sur son territoire des camps de réfugiés, c’est son droit. Mais cette position n'est pas tenable si le fond du problème n'est pas traité convenablement. Les Européens doivent le comprendre et travailler dans ce sens. Il n'y a pas de solution miracle à cet état de fait, se déplacer est un droit humain. La seule solution est que tous les pays, aussi bien ceux de la rive nord que ceux de la rive sud, collaborent ensemble pour faire front face au nouvel esclavage du 21 siècle.
Les rapports italo-tunisiens ne sont pas qu’immigration, ils sont multimillénaires. Mis à part nos rapports historiques, il y a bien un travail intensif entrepris ces dernières années à travers une collaboration bilatérale et une représentation diplomatique tunisienne agissante qui a su concentrer ses efforts au service de la communauté tunisienne en Italie (deuxième communauté en nombre après celle présente en France) à travers ses quatre consulats et consulats généraux, et bientôt le cinquième à Bologne, qui n’attend plus pour ouvrir que la désignation d’un consul à sa tête.
De nouvelles perspectives
Ce travail commence à donner ses fruits. De nouvelles promotions d’étudiants tunisiens en troisième cycle arrivent en Italie préparer et soutenir leurs thèses de doctorat. Des avocats, des médecins et des ingénieurs s’installent réussissant leur intégration professionnelle.
Il y a bien une deuxième génération d’enfants d’immigrés nés ou arrivés tout petits en Italie et qui sont en train de prendre l’ascenseur social, grâce aux sacrifices de leurs parents, pêcheurs et ouvriers dans le secteur de l’industrie. Ce sont eux qui contribuent à renforcer les ponts italo-tunisiens. Grâce à ces profils, l'image de la Tunisie et des Tunisiens a bien changé et il faut continuer à travailler dans ce sens vu que bien des défis communs concernent les deux pays comme la sècheresse et l’Énergie. Rappelons qu’il y a un projet de câbles électriques de 800 millions d’euros, ELMED, pour connecter les deux pays. Il y a bien 900 sociétés italiennes installées en Tunisie. L’Italie est notre premier partenaire. Un Know how qui ne peut que porter à la Tunisie un plus au brand « Made in Tunisie ». Il y a une communauté de retraités italiens qui ne cesse d’augmenter grâce à notre climat et surtout grâce au rapprochement de cultures méditerranéennes qui nous unissent. Cette communauté participe à l’économie locale à travers les loyers, la vie de tous les jours.
A travers ces exemples et bien d’autres, je lance un appel aussi bien aux autorités italiennes que tunisiennes pour faire valoir la sagesse et la raison dans l’intérêt des citoyens de nos deux pays évitant les choix cyniques, populistes, nationalistes, qui ne peuvent que faire du mal.
Mohamed Adel Chehida