Maledh Marrakchi: Une lecture de la Géopolitique de la Technologie
L’incertitude géopolitique actuelle est à son plus haut niveau depuis un peu plus de deux décennies. Le Covid-19, la guerre en Europe, les tensions entre les Etats-Unis et la Chine ont et continuent à bousculer les positions des uns et des autres et la façon avec laquelle la mondialisation a été vécue, voir acceptée, jusqu’ici dans un jeu d’influence et de concurrence entre les deux puissances qui sont les Etats-Unis et la Chine.
Même si cette concurrence a toutes les chances de se poursuivre pendant encore longtemps, elle va obliger ces puissances à courtiser ou à contrecarrer d’autres pays qui sont très importants dans cette compétition.
Ces pays à influence émergente sont de trois types:
• Les pays disposant d’une quantité importante de capitaux qu’ils sont prêts à déployer dans le monde entier. On peut penser particulièrement à la Norvège, à Singapour et à certains pays du Golfe,
• Les pays disposant d’une position dominante sur des éléments de la chaîne d’approvisionnement dont le reste du monde a besoin. C’est le cas par exemple de l’Inde, avec ses produits pharmaceutiques, sa technologie numérique, et sa main-d’œuvre importante et à bon marché. C’est aussi le cas du Brésil avec les produits agricoles, et les pays du Golfe avec le pétrole et le Gaz.
• Les pays qui se positionnent comme une destination attrayante pour la délocalisation, et la relocalisation, comme le Mexique et le Vietnam.
La géopolitique qui était une traduction du jeu des intérêts économiques, prend aujourd’hui le dessus et commence à façonner les intérêts économiques. C’est ce qu’on observe en particulier dans les ajustements actuels sur la chaine d’approvisionnement qui vont durer encore pour un certain temps.
Un autre aspect qui exacerbe les tensions géopolitiques que nous vivons aujourd’hui, que ce soit en termes de positionnement concurrentiel ou de questions de sécurité nationale, est l’enjeu technologique. Les progrès technologiques que nous enregistrons actuellement sont très importants et influencent notre quotidien en tant qu’humain, en tant qu’entreprise et en tant que Gouvernement et donc ont un effet profond sur la géopolitique.
Les avancées technologiques que nous enregistrons depuis plus d’une décennie et qui s’accélèrent à un rythme effréné sont de différentes catégories et donc d’un impact géopolitique différent.
La première catégorie des technologies est constituée par les technologies qui produisent de nouvelles habilités comme les technologies des semi-conducteurs ou la technologie 5G. Elles impactent les intérêts nationaux et la compétitivité nationale. De ce fait, elles sont omniprésentes dans la géopolitique.
La deuxième catégorie est celle des canaux ou plateformes technologiquesde communication émergentes, telles que WatsApp, Facebook, Twiter, TikTok, YouTube et autres. Ces technologies se sont révélées très influentes sur les souverainetés nationales et sur la façon avec laquelle la démocratie s’exerce à l’intérieur de chaque pays.
La troisième catégorie est constituée des technologies perturbatrices qui émergent de façon rapide et qui bouleversent notre relation avec notre environnement physique telles que l’Intelligence Artificielle, la blockchain, la réalité augmentée, la réalité virtuelle, le métavers,...etc. Elles ont un impact très important sur les personnes, les entreprises et les pays.
Certaines de ces technologies s’invitent de façon importante dans la géopolitique en raison de leurs implications évidentes sur la sécurité nationale, mais aussi sur le devenir économique d’un pays. Certaines technologies jouent le rôle d’accélérateur de sorte qu’une position dominante sur un type particulier de technologie facilite l’émergence d’un autre type de technologie. Ce constat se trouve accentuerpar le décalage en flexibilité et capacité d’adaptation, qui existe entre les mondes de la technologie et de la gouvernance (que ce soit au sein d’une entreprise, d’un pays ou à l’échelle planétaire). La rapidité avec laquelle les technologies évoluent fait qu’elle va impacter de façon furtive une certaine structure industrielle ou géographique ou une chaîne d’approvisionnement et donc avoir des implications géopolitiques.
La gouvernance à l’échelle mondiale s’est accommodée d’un certain nombre de mécanismes multilatéraux dans un certain nombre de questions de notre monde physique tel que la défense, le commerce,… mais elle n’a pas pu s’accommodée, d’un multilatéralisme technologique. Il suffit de voir l’histoire de l’internet et de sa gouvernance, qui pose encore des défis, celle aussi de certaines plateformes technologiques transnationales déployées par des sociétés commerciales qui échappent à toute gouvernance multilatérale.
Le cas de l’Intelligence Artificielle, ChatGPT, qui accapare la chronique médiatique de ces derniers mois, est un exemple de cette problématique de gouvernance multilatérale et du jeu géopolitique, en plus d’autres considérations qui sont tout à fait légitimes relatives à l’éthique et à la responsabilité.
Un autre sujet important qui va aussi s’imposer sur la place du multilatéralisme est la question des paiements électroniques et les monnaies numériques et tous leurs écosystèmes, car il est clair que les systèmes entre pays doivent être interopérables les uns avec les autres. Ceci va donc faire ressurgir les intérêts des pays et le positionnement par rapport à un modèle de gouvernance plutôt qu’un autre.
La technologie évolue donc plus vite que ne peut le faire la gouvernance internationale ce qui pousse certains pays à agir de façon individuelle, au moment même où certaines technologies nous poussent à renforcer la gouvernance multilatérale.
Face à cette incertitude, ces mouvances, ces défis, un pays comme la Tunisie doit être à l’écoute et se munir des outils pour une gouvernance flexible et saisir sans trop tarder les opportunités qui se présentent, car les opportunités d’aujourd’hui peuvent ne plus l’être demain. Des pays de notre dimension démographique et géographique, se sont positionnés technologiquement comme l’ESTONIE en Europe, Singapour en Asie et les Emirats dans le Golfe et d’autres. Des alliances et partenariats sont nécessaires, avec les acteurs en puissance. Notre pays se doit d’être plus efficace, il a tous les ingrédients pour. La technologie est le langage de l'efficacité. Il nous faut construire un écosystème technologique qui représente un cocktail des technologies les plus efficaces, quelles proviennent de Chine ou des USA ou d'autres pays.
Maledh Marrakchi