News - 02.03.2023

Maledh Marrakchi: La Tunisie à travers les radars internationaux (2010-2022)

La Tunisie à travers les radars internationaux (2010-2022)

L'élaboration de politiques publiques est un art difficile. Dans un monde globalisé, des décisions qui ne tiennent pas compte de la situation globale et du positionnement mondial et régional d’un pays peuvent entraîner des conséquences imprévues de grande envergure.

Le débat mondial actuel sur les mesures visant à s'attaquer aux impacts du Covid-19, à la guerre Russo-Ukrainienne, au réchauffement climatique, …etc. et aux changements sociaux, économiques, technologiques et leurs interdépendances, montre à quel point, il est nécessaire de disposer de données pertinentes et fiables, d’avoir une bonne lecture de ces données pour pouvoir prendre les meilleures décisions.

Il est proposé ici, de faire état des principaux indices développés par différentes instances internationales permettant d’avoir une visibilité sur le positionnement international et régional d’un pays, et de constituer par conséquent des données pertinentes pour un tableau de bord national visant à construire, ou du moins orienter, des choix de politiques publiques.

Cet exercice prend comme point de comparaison la situation actuelle de la Tunisie, telle qu’elle est reflétée par certains indices internationaux, par référence à la situation de 2010 (quand c’est possible), en mettant en évidence le positionnement international du pays mais aussi régional (dans l’espace Africain et l’espace Arabe).

A propos de la compétitivité économique [1]

Le World Economic Forum publie annuellement un rapport sur l’index de la compétitivité globale des différentes économies «Global CompetitivenessIndex». Cet indice mesure la compétitivité—définie comme l'ensemble des institutions, des politiques et des facteurs qui déterminent le niveau de productivité d’une économie.

L’indice porte sur douze piliers composés de 105 indicateurs: les institutions, les infrastructures, l’adoption des TIC, la stabilité macro-économique, les compétences, le marché des produits, le marché du travail, le système financier, la taille du marché, le dynamisme des affaires, les capacités d’innovation.  Le dernier en date est celui publié en 2019.

Les performances de la Tunisie sont comme suit:

La lecture du tableaufait apparaitre un recul important enregistré par la Tunisie en termes de compétitivité de son économie en raison principalement d’un recul sur les piliers de la stabilité macroéconomique, des compétences, du marché du travail, du système financier, et de la capacité d’innovation.

A propos du climat des affaires [2]

La Banque Mondiale publie depuis 2003 un rapport annuel sur la réglementation des affaires dans les différents pays « Doing Business Index ». Le dernier en date, celui de 2020, couvre douze domaines de la réglementation des affaires. Dix de ces domaines (démarrage d’une entreprise, traitement des permis de construction, obtenir de l’électricité, enregistrer la propriété, obtenir un crédit, la protection des investisseurs minoritaires, paiement des impôts, le commerce transfrontalier, l’exécution des contrats et la résolution de l’insolvabilité) sont inclus dans le score de la facilité de faire des affaires et le classement de la facilité de faire des affaires. Les deux autres sont relatifs à la réglementation sur l’emploi des travailleurs et les contrats avec le gouvernement, qui ne sont pas inclus dans le classement.
Cet indice est considéré parmi les plus importants pour un investisseur étranger.  Le positionnement de la Tunisie avec cet indice est comme suit :

En 2020, 10 économies ont amélioré sensiblement leur indice de« facilité de faire des affaires » après la mise en œuvre de réformes réglementaires. Il s’agit de : Arabie saoudite, Jordanie, Togo, Bahreïn, Tadjikistan, Pakistan, Koweït, Chine, Inde et Nigéria. Ces économies ont mis en œuvre un total de 59 réformes réglementaires en 2018-2019, représentant un cinquième de toutes les réformes enregistrées dans le monde. Leurs efforts se sont concentrés principalement sur les domaines de la création d’une entreprise, des permis de construire et du commerce transfrontalier.

Pour la Tunisie, malgré la mise en place de réformes sur les démarches de création d’entreprise, d’enregistrement de biens immobiliers et de paiement des impôts, le positionnement du pays a enregistré un recul important à l’échelle internationale mais un maintien au niveau africain (derrière le Rwanda, le Maroc, et le Kenya).

A propos de la capacité d’innovation [3]

L’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle «OMPI» ou «WIPO» publie depuis 2007 un rapport annuel où elle donne un état de l’innovation à l’échelle mondiale et classe la performance innovante sur la base d’un «Global Innovation Index». Cet indice porte sur 81 indicateurs classés en sept catégories : institutions, capital humain et recherche, infrastructure, sophistication du marché, sophistication des affaires, production de connaissances et de technologies, et productions créatives.

Le positionnement de la Tunisie avec cet indice est comme suit:

Malgré un positionnement stable au niveau régional, la Tunisie a enregistré un recul à l’échelle internationale. Cependant la Tunisie se positionne bien à l’échelle du groupe des pays de sa catégorie économique « lower middle income ». Le positionnement global du pays est tiré vers le bas par son positionnement sur le plan des institutions, de l’infrastructure, la sophistication du marché et la sophistication des affaires notamment en termes de capacité d’absorption des connaissances, et des liens d’innovation (université-industrie).

A propos du Développement Humain [4]

Le Programme des Nations Unis pour le Développement Humain «PNUD» publie depuis 1990, un rapport annuel portant sur «Indice du développement Humain IDH». Pour 2021-2022, le rapport positionne le développement humain non seulement comme un objectif, mais aussi comme un moyen d’avancer en ces temps incertains.

L’IDH est un indice composite qui mesure le niveau moyen atteint dans trois dimensions fondamentales du développement humain : vie longue et en bonne santé, connaissances, et niveau de vie décent.  Presque tous les pays ont vu leur développement humain reculer au cours de la première année de la pandémie de Covid-19, et la plupart des pays à indice de développement humain (IDH) faible, moyen et élevé ont vu ce déclin se poursuivre au cours de la deuxième année.

Le positionnement de la Tunisie avec cet indice est comme suit:

La Tunisie se classe à l’international parmi les pays à développement humain élevé. Elle se classe 61ème sur l’indice d’inégalité de genre.

A propos de la perception de la situation en matière de Corruption [5]

Le mouvement «Transparency International» est un mouvement mondial avec comme vision «un monde dans lequel le gouvernement, les entreprises, la société civile et la vie quotidienne des gens sont exemptes de corruption». Etabli à Berlin, il dispose d’un réseau de plus de 100 représentations dans le monde, et élabore annuellement un rapport sur la perception de la corruption dans différents pays.
L’indice de perception de la corruption (Corruption Perception Index CPI) agrège les données d’un nombre de sources différentes qui donnent des perceptions des hommes d’affaires et experts pays, du niveau de corruption dans le secteur public.

Le positionnement de la Tunisie avec cet indice est comme suit (plus le score est bas plus la perception de la corruption est importante):

Il ressort de ce tableau que la Tunisie a enregistré un recul important au niveau de la perception de la corruption à l’échelle internationale. Son positionnement arabe est resté constant dû à un recul global des pays arabes dans le classement. Le positionnement africain a aussi enregistré un recul.

En 2022, 124 pays ont vu leur positionnement stagné. Le nombre de pays ayant reculé dans leur classement est plus important que d’habitude. Le rapport explique ceci par la dégradation globale du niveau de la paix. Les conflits et la corruption s’entretiennent mutuellement.

Les 2/3 des pays ont un score inférieur à 50/100, alors que le score moyen est de 43/100.

La pandémie de COVID-19, la crise climatique et les menaces sécuritaires croissantes à travers le monde alimentent une nouvelle vague d’incertitude. Dans un monde déjà instable, les pays qui ne parviennent pas à remédier à leurs problèmes de corruption aggravent les effets. Ils contribuent également au déclin démocratique et au renforcement des pouvoirs autoritaires.

A propos de l’e-Gouvernement [6]

Les Nations Unis produisent une publication annuelle d’un rapport sur le développement en E-Gouvernement à travers les pays membres, sous la forme d’un indice EGDI «E-Government Development Index». Il est actuellement à sa 12ème édition. Ce rapport s’inscrit dans la volonté d’accélérer la réalisation du programme de développement durable à l’horizon 2030 à travers une plus grande contribution de la transformation digitale et le gouvernement numérique, dans le développement pour être sûr que personne n’est laissé pour compte et hors ligne à l’ère numérique.

L’EGDI est une référence composite du développement de l’administration en ligne constitué de la moyenne pondérée de trois indices (composantes indépendantes) : l’indice des services en ligne (OSI), l’indice de l’infrastructure des télécommunications (TII), et l’indice du capital humain (HCI).

Le positionnement de la Tunisie avec cet indice est comme suit:

Comme le montre le tableau, la Tunisie a enregistré un important recul dans son positionnement international. Elle a aussi perdu son leadership africain. Le score de la Tunisie reste néanmoins au-dessus de la moyenne mondiale globalement et au niveau de chacun des 3 sous-indices. L’indice OSI de la Tunisie est au-dessus de la moyenne mondiale mais classe la Tunisie au 11ème rang à l’échelle Africaine et au 7ème rang à l’échelle Arabe.

A propos de l’infrastructure technologique [7]

Le Network Readiness Index est l’indice phare de mesure de l’aptitude d’un pays à embrasser le monde du Digital et à avancer sur le chemin de la transformation digitale. Il est produit annuellement avec le concours d’un consortium de trois institutions : Université d’Oxford, Portulans Institute et Said Business School.

L’indice est construit à partir de 4 piliers d’indicateurs : Gouvernance (avec les sous-indices de confiance, d’inclusion et de régulation), Technologie (avec les sous-indices d’Accès, de Contenus et de Technologies Futures), Ressources Humaines (avec ses sous-indices relatifs à l’échelle Individuelle, Business et Gouvernement), et Impact (avec ses sous-indices relatifs à l’Economie, à la qualité de la vie et à la contribution aux Objectifs de Développement Durable).

Le positionnement de la Tunisie avec cet indice est comme suit:

La Tunisie a enregistré un très important recul dans son classement à l’international en perdant 45 places en 12 ans et son leadership africain.

Le pilier sur lequel la Tunisie est la mieux placée, est le pilier de la technologie avec un rang de 73 à l’international, grâce principalement à un classement au 36ème rang en termes de publications en Intelligence Artificielle, et un classement au 38ème rang en coûts des terminaux téléphoniques.

La Tunisie se doit d’améliorer considérablement son classement sur les piliers Gouvernance et Impact avec des classements respectifs de 90ème et 95ème, malgré un bon positionnement sur la cybersécurité (53ème) et l’exportation High-Tech (42ème).

Les points particuliers sur lesquels la Tunisie doit travailler de façon soutenue sont:

L’adoption de technologies émergentes (classée 102ème),

L’accès en ligne aux comptes financiers (105ème place),

Le gap rural dans l’usage du paiement Digital (111ème place),

La liberté de faire ses choix de vie (120ème place),

Les opportunités économiques pour les femmes (113ème place).

A propos de la préparation du Gouvernement pour l’Intelligence Artificielle [8]

L’institution Oxford Insights a mis en place depuis cinq ans un nouvel indice pour mesurer le degré de préparation des gouvernements à l’Intelligence Artificielle «Government AI Readiness Index». Cet indice est devenu la référence actuellement en la matière.

L’indice porte sur un ensemble de trois piliers: Gouvernement (avec des sous piliers de Vision, Gouvernance et Ethiques, Capacités Digitales, Adaptabilité), Technologie (avec les sous piliers Maturité, Capacité d’Innovation, Capital Humain), Data et Infrastructure (avec les sous piliers Infrastructure, Data disponibilité, Représentativité des Data).

La première édition de l’indice publiée en 2017 ne portait que sur 35 pays.

Le positionnement de la Tunisie avec cet indice est comme suit:

La Tunisie se positionne bien à l’échelle africaine après l’Egypte et l’Afrique du Sud. La Tunisie se positionne en 2ème place à l’échelle africaine sur le pilier Infrastructure et Data, après l’Afrique du Sud. Elle aurait pu être leader de l’Afrique et parmi le peloton de tête au niveau arabe, si la Tunisie avait accéléré l’adoption d’une Stratégie Nationale en Intelligence Artificielle qui tarde à venir malgré les multiples appels depuis 2017.

Maledh Marrakchi
Spécialiste en TIC et en IA

Références

[1] https://www.weforum.org/reports/the-global-competitiveness-report-2020/?DAG=3&gclid=EAIaIQobChMIu67rrLq9_QIVxI1oCR2RnQonEAAYASAAEgLiUfD_BwE

[2] https://archive.doingbusiness.org/en/rankings

[3] https://www.wipo.int/global_innovation_index/en/2022/?gclid=EAIaIQobChMI1YS2sbu9_QIVVu3tCh03sgVlEAAYASAAEgJyfPD_BwE

[4] https://www.undp.org/fr/morocco/publications/rapport-sur-le-developpement-humain-2021-22

[5] https://www.transparency.org/en/cpi/2022

[6] https://publicadministration.un.org/egovkb/en-us/Reports/UN-E-Government-Survey-2022

[7] https://networkreadinessindex.org/

[8] https://www.oxfordinsights.com/government-ai-readiness-index-2022