News - 11.02.2023

Riadh Zghal: La transition impose le rassemblement des forces et des intelligences

Riadh Zghal: La transition impose le rassemblement des forces et des intelligences

La démocratie a du mal à se mettre en place car l’autoritarisme a généré trois maux longs à guérir : le rejet de la différence, la perte du sens de la responsabilité, la négation des inégalités et de l’injustice. Pourtant, le 14 janvier a été célébré comme l’aboutissement victorieux d’une «révolution», un «soulèvement» visant à mettre fin au gouvernement de feu Ben Ali. En revanche, le président Saïd remet en cause cette date de célébration de la «fête de la révolution». Faut-il voir en cela le signe d’un retour inexorable à la case départ? C’est-à-dire à un régime autoritaire avec la concentration de tous les pouvoirs entre les mains d’un seul homme et pour longtemps? Au fait que reste-t-il de la révolte de 2010-2011 maintenant que la table de la démocratie est desservie ? Seulement un brin de liberté d’expression sous haute surveillance du décret 54 saïdien?

Les manifestations de ce 12e anniversaire de la révolution/soulèvement ont étalé l’image désolante d’une opposition on ne peut plus fragmentée. Néanmoins, même dispersés et se dépréciant mutuellement, les organisateurs des manifestations ont lancé un cri d’alarme au président de la République fait de contestation de son projet politique jugé responsable de l’aggravation de la crise multidimensionnelle où s’enfonce le pays.

La dispersion des acteurs politiques apparaît, toutefois, comme un aveu d’impuissance à offrir une solution de rechange au pouvoir en place. Au lieu de s’accorder sur une vision et des voies porteuses de solution, chaque organisation y va de sa propre conception de la «solution». Au lieu d’une symphonie harmonieuse dirigée par un chef d’orchestre qui sait coordonner un ensemble de musiciens différents par leurs talents et leurs instruments, pour jouer la partition, on a droit à une cacophonie!

Dans la situation actuelle, il ne s’agit pas d’avoir un leader qui serait le chef disposant d’autorité et se croyant infaillible, mais d’un vrai leader, à l’image d’un chef d’orchestre qui ne se met pas en avant mais sait stimuler l’échange entre partis, organisations de la société civile, personnes d’expérience et de compétences pluridisciplinaires, de manière à forger une vision partagée et un plan d’action engageant pour tous. Sans cela, il n’y aura pas de masse critique politico-sociale qui pèse suffisamment pour arrêter cette course vertigineuse du pays à la dérive économique, politique et sociale.

Le Président refuse jusque-là d’écouter la voix du peuple qui a manifesté son désaccord avec son projet politique en désertant à trois reprises les bureaux de vote. Pourtant, il semble bien que l’état actuel du pays impose d’écouter la voix d’une opposition pacifiée. C’est le moyen qui reste pour éviter l’éventuel désastre qui approche à un rythme accéléré et dont le vocabulaire réside dans la faillite de l’Etat, la fuite accélérée des compétences, la colère populaire intensifiée par la hausse vertigineuse des prix, la pénurie des produits de première nécessité… La loi de finances rajoute une couche à la colère populaire et l’on entend des appels à la désobéissance civile par des catégories sociales autrement privilégiées.

Ce qui est encore menaçant, c’est la déliquescence des normes qui font le ciment de la société et rendent possible le vivre-ensemble. En l’absence d’un liant moral et social, les portes s’ouvrent à deux battants sur la violence. Il est de la responsabilité du Président d’épargner au pays les risques d’un tel drame national. Peut-on espérer qu’il mette à profit ce qui lui reste comme popularité pour s’affirmer comme président de tous les Tunisiens, leur parler des vrais défis à affronter et susciter un consensus sur les sacrifices à consentir dans l’immédiat en faveur d’un avenir collectif meilleur ? La transition démocratique est certes longue et difficile mais non impossible si elle est mue et soutenue par une vision partagée de l’intérêt national.

Les difficultés que traverse actuellement le pays imposent de taire pour un temps les conflictualités et, plutôt, de considérer que ce qui nous unit est bien supérieur à ce qui nous sépare. C’est en regardant dans ce sens et en réfléchissant ensemble que l’on pourra s’entendre sur des solutions aux problèmes économiques et sociaux qui gonflent jusqu’à devenir insupportables. Il faudra, pour y arriver, retrouver la confiance et s’armer de patience, car comme le dit le proverbe chinois, «le travail de la pensée ressemble au forage d’un puits; l’eau est trouble d’abord puis elle se clarifie.».

Riadh Zghal
 

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1 Commentaire
Les Commentaires
Aziz - 11-02-2023 11:15

Une excellente analyse de la situation socio-économique du pays qui va réellement mal. Il va tellement mal que beaucoup de mes compatriotes, moi compris, vivons actuellement des moments de déprime intellectuelle, car nous nous sentons désarmé de voir notre Tunisie s’enfoncer dans l’abîme ; et nous nous sentons même blessé de voir nos efforts du passé gâché par des obscurantistes puis par un populiste insensé, après avoir travaillé durement pendant nos longues études qui nous avaient permis de contribuer à lever notre chère Tunisie au sommet de l’espérance, avant cette chute vertigineuse. Est-ce KS se rend compte de notre amertume au moment où nous avions espéré retrouver une retraite bien méritée après nos longs périples internationaux pour le bien du pays? Je crains que non, puisque vous-même vous écrivez, à juste titre: « Faut-il voir en cela le signe d’un retour inexorable à la case départ? C’est-à-dire à un régime autoritaire avec la concentration de tous les pouvoirs entre les mains d’un seul homme et pour longtemps? » C’est exactement ma crainte, avec des conséquences qui pourraient être désastreusement violentes. Je pense que tant qu’il n’y a pas un vrai leader intègrement visionnaire comme fût Bourguiba, pendant une large période de son leadership, pour combler ce vide, on n’est malheureusement pas sorti de l’auberge.

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