News - 10.09.2022

Hédi Larbi: Une stratégie de modernisation du système éducatif en Tunisie

Hédi Larbi: Une stratégie de modernisation du système éducatif en Tunisie

Par Hédi Larbi. Ancien ministre, professeur de Politique Publique à Sciences Po (Paris) et South Med University (Tunis)

L’amélioration de la qualité de l’éducation est l’un des défis les plus importants et les plus urgents de la Tunisie

Sommaire

Une interview de

Fethi Sellaouti Ministre de l’Éducation

et les analyses de

Hédi Larbi

Riadh Zghal

Naceur Ammar

Mohamed Jaoua

Kamel Ben Naceur, et

Mohamed Hedi Zaiem

C’est la mère de toutes les réformes que le pays doit entreprendre avec le plus de détermination et de conviction. D’abord, le rôle essentiel d’une éducation de qualité dans la croissance économique et l’inclusion sociale est bien démontré par les nombreuses preuves empiriques. Les pays nouvellement industrialisés (sud-Est asiatique et autres) constituent une bonne illustration.  Ils doivent leurs réussites économiques essentiellement à la qualité de leur système éducatif en plus de la pertinence de leurs politiques économiques. Ensuite, la qualité du capital humain et de sa capacité d’innovation et de création est l’un des piliers majeurs de toute   économie basée sur la connaissance et le savoir. Notre choix d’un modèle de développement fondé sur l’utilisation intensive de la connaissance, et l’importance du rôle de l’éducation dans l’inclusion et l’ascension sociales, nous impose de moderniser notre système éducatif et d’améliorer sensiblement sa qualité pour doter tout citoyen, jeune et adulte, de compétences et de capacités d’apprentissage et d’adaptation lui permettant de saisir ou de créer des opportunités de développement et d’émancipation personnels.  

Dès son accession à l’indépendance, la Tunisie a massivement investi dans l’éducation et la formation de son capital humain

L’accès à l’éducation a été rapidement généralisé pour finalement devenir obligatoire et gratuit pour les filles et les garçons jusqu’à l’âge de 16 ans. Le taux de scolarisation a dépassé 95% dès le milieu des années 90.  Plus de 81% des enfants âgés de 12 à 18 ans suivent un enseignement secondaire. L’enseignement supérieur public s’est développé très rapidement, passant de 17 000 inscrits en 1975 à 360 000 en 2010 pour baisser à 243 000 en 2018 avec un avantage net pour les filles (60% des étudiants), doublant ainsi son effectif tous les dix ans entre 1975 et 2010. L’enseignement supérieur privé n’a pris de l’ampleur qu’au cours des 15 dernières années, passant d’environ 1% des effectifs estudiantins en 2006 à 11.6% en 2018 (32 000 étudiants). Aujourd’hui, environ 15% des Tunisiens ont un niveau d’instruction de niveau supérieur. Ces performances quantitatives indéniables ont été réalisées grâce à une politique publique délibérée en faveur de l’éducation de masse et d’allocation de suffisamment de ressources budgétaires pour atteindre cet objectif.  En effet, la Tunisie alloue en moyenne 6.5% de son PIB, ou 22% de son budget annuel, au financement de l’éducation publique. Cet effort financier n’a jamais cessé de croître, avec un rythme annuel moyen plus élevé que celui du budget national, de sorte que dorénavant la Tunisie dépense plus que les pays voisins (5.4% au Maroc) ou les pays à revenus intermédiaires (4.5% du PIB) comparables à la Tunisie.

Cependant, la qualité de l’éducation, qui était raisonnable au cours des trois premières décennies qui ont suivi l’indépendance, s’est continuellement détériorée

Depuis la fin des années 80, et malgré quelques tentatives de réformes, le système éducatif tunisien connaît des problèmes majeurs. L’enseignement préscolaire, non obligatoire, est peu développé et dispensé dans des jardins d’enfants mal encadrés qui ne sont pas sous la tutelle du ministère de l’Education. Il touche moins de 45% des enfants de 5 ans dans les zones urbaines et est pratiquement inexistant dans les zones rurales et les villes moyennes et petites. En 2022, le ministère de l’Education a annoncé le renforcement de ses programmes par l’ajout d’une année préparatoire qui couvrira les enfants âgés de 5 ans.  Cependant, le calendrier et les modalités de déploiement de cette importante mesure n’ont pas été annoncés, et l’année de sa généralisation n’est pas connue. L’enseignement primaire souffre de la qualité médiocre de l’apprentissage et des acquis de base, selon les tests internationaux les plus récents (Timss et Pisa pour enseignement secondaire).  Selon le Pisa 2015, qui est la dernière de sa participation à cette évaluation internationale, la Tunisie se classe parmi les cinq derniers sur 74 pays participants. Les niveaux de réussite sont très bas : moins de 0,7% des élèves tunisiens sont classés parmi les plus avancés ou très performants. Les performances en mathématiques et en sciences des élèves du secondaire sont très bas. En moyenne, à 15 ans d’âge, un élève tunisien est en retard de 2 à 3 ans par rapport à la moyenne de ses pairs dans les pays de l’Ocde. Le passage quasi automatique au primaire et au premier cycle du secondaire n’a réduit que marginalement les départs prématurés (décrochage), qui se situent aux environs de 80 000 enfants par an.  De toute évidence, le système éducatif ne produit pas des personnes ayant les compétences de base pour leur permettre d’être employées ou de s’adapter facilement aux besoins de la vie en général.

Les performances de l’enseignement supérieur sont très faibles

Les deux premières universités tunisiennes ne figurent qu’à la 800-900e place du classement 2018 de Shanghai ARWU (Academic Ranking of World Universities). Dans la liste étendue de 2010, la première université tunisienne (Sousse) n’occupe que la 6719e place, loin derrière ses pairs arabes (22 universités égyptiennes, et 14 marocaines). Entre 2010 et 2018, les universités tunisiennes ont gagné un nombre appréciable de places dans ce classement, grâce notamment à une progression du nombre de publications scientifiques. Cependant, le taux de chômage des jeunes diplômés est resté très élevé (> 35%,) et même beaucoup plus élevé que le même taux parmi les non-diplômés. Ceci suggère que la qualité et la pertinence de la formation universitaire sont loin de répondre aux besoins du marché de l’emploi (étude Iace 2016 : 145 000 emplois offerts par les entreprises n’ont pas pu être pourvus). L’enseignement technique et la formation professionnelle sont encore moins performants. Par conséquent, plus que les autres formations, l’enseignement technique et la formation professionnelle attirent peu de candidats, enregistrent un taux d’échec et d’abandon élevé et sont la catégorie la plus touchée par le chômage. Plus d’un élève sur 3 quittent leurs établissements avant la fin des études, et 40% ne trouvent pas d’emploi. Partout sur le territoire, nous observons des centres de formation qui fonctionnent en deçà de leur capacité, alors que la main-d’œuvre qualifiée et les techniciens spécialisés dans de nombreux domaines sont difficiles à trouver sur le marché.

Les raisons de la crise de notre système éducatif sont à la fois d’ordre institutionnel et structurel

Les principales sources de défaillance peuvent être résumées ainsi:

Une gouvernance désuète et des capacités institutionnelles très faibles pour gérer un système de plus en plus complexe et exigeant. La gestion du système est hautement centralisée au sein de ministères à caractère administratif, manquant d’expertise pour évaluer les politiques et les performances, anticiper les problèmes, formuler et mettre en œuvre des mesures correctives. De plus, le ministère de l’Education et celui de l’Enseignement supérieur n’ont pas donné suffisamment d’importance à la recherche scientifique en éducation et à la formation des enseignants et des cadres du secteur dans des facultés spécialisées dans les sciences de l’éducation.  Les établissements scolaires et leurs dirigeants manquent d’autonomie, sont peu impliqués dans la gestion stratégique et de ce fait peu responsabilisés. Aucun mécanisme national indépendant d’évaluation périodique des performances (qualité) n’existe.  Même si des tests comme Pisa ou Timss, lorsque la Tunisie y a participé, nous ont alertés sur les résultats comparatifs du système sur le plan international, sur le plan national, les décideurs ne se sont pas dotés des outils de base pour l’évaluation et le suivi des politiques publiques, leurs implications ainsi que les possibilités de redressement en cas de déviation. En particulier, il n’y a pas de mécanisme d’ajustement périodique entre l’offre de formation et les besoins du marché du travail (ou de l’économie). Le système d’évaluation des enseignants est inopérant, ce qui réduit leur motivation et force le gouvernement à utiliser des critères purement administratifs, comme l’ancienneté, pour gérer les carrières. Le développement des cours particuliers et la tolérance générale envers ce phénomène est une manifestation flagrante du manque de confiance des parents dans la qualité de l’enseignement public, d’une part, et traduit la défaillance de la gouvernance de l’ensemble du système, d’autre part.

Insuffisance de compétences professionnelles et manque de préparation d’un grand nombre d’enseignants (à tous les niveaux). La politique d’accès généralisé en période de forte croissance démographique semble avoir relaxé la politique de préparation et de recrutement sélectif, conduisant à l’emploi de plusieurs enseignants peu ou pas qualifiés. Une bonne partie du corps enseignant (surtout au secondaire et au primaire) sont recrutés sur la base d’un diplôme de licence universitaire qui peut dans certains cas assurer la maîtrise d’une matière, comme les langues, les mathématiques ou les sciences, mais qui ne prépare pas à exercer le métier d’enseignant. La situation dans l’enseignement primaire est encore plus critique : certains enseignants, à peine bacheliers, n’ont jamais eu la moindre préparation pédagogique. Certains ont choisi ce métier en l’absence d’autres opportunités.  Près de 12% des enseignants dans le primaire et le secondaire ne remplissent pas les critères minimums requis dans le métier. Cette situation est aggravée par le manque d’investissement dans la formation continue ou de perfectionnement en cours d’exercice, qui doit viser la certification professionnelle de chaque enseignant.

Des méthodes pédagogiques surannées privilégiant le « bourrage de crâne » plutôt que les compétences cognitives et de vie. Les méthodes d’enseignement mettent l’accent sur la scolarisation plutôt que sur l’apprentissage (schooling instead of learning). La mémorisation, l’apprentissage par cœur et la répétition d’informations sont encore les principales caractéristiques des méthodes pédagogiques utilisées, au lieu des méthodes modernes focalisées sur le développement des aptitudes et des capacités de l’élève (étudiant) à analyser, à raisonner, à découvrir et à apprendre par soi-même, et à coopérer avec les autres, etc.

Des programmes désuets par rapport à des besoins économiques en changement continu. Les quelques audits existants de certains programmes (surtout en enseignement supérieur et en formation technique) mettent en évidence la constance des programmes et la faible fréquence de leur changement. Des programmes rigides et obsolètes, et des méthodes archaïques ne peuvent pas produire des compétences adaptées à des marchés de travail en pleine évolution.  

L’éducation de la petite enfance a été négligée. Malgré son importance dans le développement des capacités cognitives des jeunes enfants, il y a eu très peu d’efforts pour promouvoir l’éducation de la petite enfance. La seule initiative publique est celle introduite récemment pour les enfants âgés de 5 ans. Elle couvre environ 45% des enfants en milieu urbain. Moins de 35% des enfants de 3 à 5 ans dans les zones urbaines et pratiquement aucun dans les zones rurales ont été exposés à l’éducation préscolaire ou précoce (à partir de 3 ans).

Des insuffisances notoires dans l’infrastructure immobilière et les équipements scolaires. L’état des bâtiments scolaires et leur manque d’équipement font l’objet de critiques fréquentes par les élèves, les parents et les enseignants : délabrement des bâtiments, indigence ou absence de matériel et équipements pédagogiques et sportifs, etc. Si globalement, le budget alloué au secteur est relativement raisonnable, la part allouée à l’entretien et aux investissements est très faible. En effet, 97% du budget est absorbé par la masse salariale du secteur. Seuls 3% du budget est affecté à l’entretien et aux autres dépenses de fonctionnement.  Cette part est manifestement très faible pour couvrir les besoins financiers des établissements scolaires et de formation.  La couverture internet dans les écoles est de seulement 40% (Kairouan : à peine 9%). 11% des écoles primaires n’ont encore pas d’eau courante.  En raison de la centralisation excessive du système, les interventions des municipalités pour améliorer l’infrastructure scolaire est quasi-inexistante.

Une mauvaise allocation et un manque d’efficacité dans l’utilisation des ressources publiques. Comme on l’a déjà indiqué, l’essentiel du budget du secteur, soit 97%, est consacré à la masse salariale des enseignants et des agents administratifs au détriment de l’entretien et de l’investissement en maintenance de l’infrastructure éducative. Le ratio élèves/enseignants, une composante essentielle du coût de l’éducation, est de plus en plus faible traduisant, en principe, des classes de taille raisonnable et donc des conditions d’apprentissage acceptables. Ce ratio est bien proche et parfois meilleur que celui de pays dont le système éducatif est bien plus performant.

La comparaison avec d’autres pays, de et hors de la région,  montre clairement que les enseignants tunisiens sont correctement payés si on considère leur charge de travail, en termes de nombre d’heures travaillées, par rapport à la charge de travail et le nombre d’heures travaillées des enseignants de nombreux autres pays. Le nombre d’heures par enseignant est parmi les plus faibles dans les statistiques de l’Unesco et de Pisa.

Des disparités qualitatives régionales très prononcées battent en brèche l’égalité des chances visée par la gratuité de l’éducation. À titre d’exemple, les résultats de la première session du baccalauréat de 2022 confirment les disparités énormes entre les régions côtières et celles du sud et centre-ouest du pays, avec des taux de réussite variant de 24% à Kasserine jusqu’à 61% à Sfax.  Ces disparités durent depuis des décennies sans que des mesures appropriées ou un plan concret aient été développés et mis en œuvre pour les réduire. Ces disparités viennent renforcer la pauvreté et le retard de développement qui sévissent dans ces régions et dans ces catégories de population.

Une économie politique du secteur très complexe et peu favorable aux réformes. Le secteur est dominé par des courants syndicaux très actifs et fortement revendicatifs malgré une certaine modération relative de leur centrale syndicale. Ils tirent leur force du nombre élevé et de la forte mobilisation du corps enseignant quand il s’agit de revendications. Cette forte base syndicale très active contraste singulièrement avec la démobilisation des parents (peu d’associations de parents), de la société civile et des autres parties prenantes du système. Contrairement à d’autres pays, ce corps intermédiaire composé de la société civile, supposé jouer un rôle important dans le suivi et la gestion du secteur, est très faible pour ne pas dire quasi inexistant. L’État n’a jamais cherché à les renforcer où à leur faire jouer un rôle important de manière institutionnelle. Ce corps intermédiaire appuyé sur une forte association des parents, pourrait l’aider à faire évoluer le système éducatif grace au soutien actif des vrais bénéficiaires de l’éducation face aux diverses forces de résistance et de blocage des réformes du système. L’État a toujours composé avec le syndicat en donnant la priorité à la soit-disant paix sociale aux dépens de la qualité de la formation de sorte que l’essentiel des ressources, relativement abondantes, est désormais affecté aux salaires au détriment des autres besoins pédagogiques urgents des élèves et des enseignants. En réalité, non seulement l’Etat manque de volonté réelle de réformer le secteur, mais il manque de (i) un projet crédible de réformes et de modernisation du système éducatif, et (ii) de vrais leaders réformateurs et engagés, capables de conduire et de faire aboutir un tel projet. Les responsables du secteur continuent à croire aux petites mesures ici et là sans vision ni projet bien conçus. Les associations de parents d’élèves sont de création très récente et ne sont pas encore en mesure de bien s’organiser et faire entendre leur voix pour défendre les intérêts de leurs enfants et l’avenir du pays.

Stratégie de réforme du système éducatif

Objectif et démarche

Le principal objectif de la réforme proposée est d’améliorer la qualité du système éducatif et de former un capital humain de qualité. Cet objectif est une urgence et une obligation morales pour la Tunisie. C’est une urgence pour la Tunisie car la vitesse de dégradation de la qualité de l’éducation et de la formation s’accélère alors que notre économie, à l’instar de celles de nos partenaires, devient de plus en plus diversifiée, exigeante en compétences et en savoir-faire pour soutenir sa compétitivité et mieux s’intégrer dans l’économie mondiale. C’est une obligation morale vis-à-vis de nos jeunes d’aujourd’hui et des futures générations. Une éducation de qualité demeure le meilleur moyen d’épanouissement et de promotion sociale, surtout pour les classes moyenne ou à faible revenu. C’est aussi la meilleure garantie pour un emploi et une protection sociale décents, préservant ainsi la dignité des personnes.

Une démarche stratégique, une participation citoyenne et un leadership déterminé sont nécessaires pour bien conduire et mettre en œuvre la réforme du système éducatif.  La revue des expériences internationales montre que la réforme de l’éducation est la tâche la plus difficile non seulement techniquement mais surtout politiquement. La résistance au changement, les droits acquis et le manque de détermination du politique ou des décideurs, et la faiblesse des institutions de l’État pour mener des transformations structurelles profondes et pour bien gérer les résistances finissent souvent par décourager les bonnes volontés et faire avorter de nombreux projets de réformes. Les rares expériences réussies en matière de réforme de l’éducation permettent d’identifier les quelques leçons suivantes. Une bonne stratégie de réforme doit : s’appuyer sur un diagnostic solide expliqué et partagé avec les parties prenantes ; fixer des objectifs clairs en matière de qualité et de performances du système (mesurables et réalistes) ; limiter le nombre d’actions de réformes à celles dont l’impact attendu serait très important (priorités à l’amélioration de la qualité des enseignants, aux méthodes pédagogiques, à la modernisation des programmes, à la gouvernance) ; disposer d’une excellente capacité de mise en œuvre pour réussir les réformes ; mobiliser un leadership engagé, stratégique et résiliant ; s’appuyer sur un processus participatif mais responsable et efficace. Il va sans dire que sans un système d’évaluation fiable et indépendant, aucune réforme ne peut réussir.

Les axes stratégiques de la réforme

La modernisation du système éducatif se focalisera sur le rétablissement de son rôle d’ascenseur social et d’outil d’épanouissement du citoyen. La démarche décrite ci-dessus est celle que nous proposons pour conduire la réforme du secteur de l’éducation. Nous proposons sept axes de transformation stratégiques pour guider le développement d’un plan de modernisation du secteur de l’éducation en coopération avec les principales parties prenantes du secteur.

1 • Moderniser la gouvernance et renforcer la capacité de gestion des institutions du système éducatif

La gouvernance du système éducatif doit être totalement modernisée dans le sens d’une plus grande autonomie des établissements éducatifs, une évaluation indépendante et régulière des performances du système à tous les niveaux, et enfin un renforcement conséquent de la capacité de planification et de gestion des institutions publiques du secteur.  A cet effet, il faudra :

Consolider en un seul ministère l’éducation, l’enseignement supérieur et la formation professionnelle,  et recentrer le rôle du nouveau ministère sur la planification stratégique et la définition des politiques d’éducation et de formation (définition des normes d’apprentissage pour chaque niveau, gestion stratégique de la qualité de l’éducation et de la pertinence de la formation, allocation des ressources par objectif, politique de formation et de recrutement des corps enseignants, promotion de la recherche et de l’innovation en éducation, infrastructure, système d’information, programmes de formation et de perfectionnement continu des enseignants et des managers des établissements, etc.) et le suivi des performances du secteur. Cette consolidation permettra la mise en place d’objectifs et de politiques nationales cohérentes, facilitera la coordination aux points névralgiques de transition d’un sous-système à un autre, et renforcera les ressources humaines du système en associant les universités aux besoins énormes de formation et de certification des enseignants et des formateurs. 

Créer une agence indépendante d’évaluation de la qualité et des performances du système éducatif. Le principal rôle de cette agence est d‘évaluer d’une façon régulière les performances des institutions et du système dans sa globalité, par rapport aux normes et objectifs nationaux, et de rendre compte à la communauté nationale et aux décideurs. Cette agence entreprendra également les études et les analyses nécessaires pour informer les autorités et institutions éducatives sur l’impact des politiques éducatives et les ajustements périodiques à mener (qualité des formations, utilisation des ressources, performances des enseignants et des chefs d’établissement, disparités régionales, sociales et de genre, etc.) ainsi que sur l’évolution des besoins en compétences du marché de l’emploi national et international et les adaptations pédagogiques et programmatiques à apporter au système éducatif pour mieux répondre à ces besoins.) ;

Responsabiliser, à travers une plus grande autonomie et des évaluations régulières, les établissements éducatifs (universités, établissements primaires, secondaires et de formation professionnelle). Cette autonomie, qui sera différenciée par catégorie et niveau d’établissement, sera fondamentale pour permettre aux responsables des établissements de gérer en fonction des objectifs et des moyens convenus. Ils doivent être appuyés pour préparer leurs plans de développement et améliorer leurs performances éducatives et managériales.  De ce fait, la sélection et la préparation des chefs d’établissement recevra une attention particulière pour que chacun d’eux ait les compétences et les qualités de leadership requises. Le degré d’autonomie sera décliné selon les niveaux d’éducation :

Au niveau de l’enseignement supérieur, les universités seront progressivement dotées d’un statut d’autonomie qui leur donnera un très large contrôle sur leurs ressources humaines et matérielles, ainsi que leur offre de formation et la sélection de leurs enseignants et étudiants.  Cette autonomie sera accompagnée par une plus grande responsabilisation sur leurs résultats, en rendant effective l’Assurance Qualité, prévue dans la loi mais non encore mise en œuvre. Il est évident que cette transformation requiert un apprentissage et des ressources, ce qui signifie qu’elle sera graduelle avec des étapes bien définies dans le temps et des ressources suffisantes pour bien la réussir.

La réforme de la formation professionnelle visera à rehausser l’attractivité et à créer une bonne image de cette filière de formation. A cet effet, une mesure prioritaire consistera à élever le niveau de recrutement des candidats et celui des formateurs, car la qualité et l’adéquation de la formation avec l’emploi ne pourront pas s’améliorer si on continue à n’orienter vers ces établissements que les déperditions de l’enseignement général et à se contenter de formateurs peu compétents.  L’équipement et la modernisation des centres se feront en fonction des besoins en formation et seront continuellement adaptés en relation avec les besoins du marché du travail. Cette stratégie de longue haleine requiert de la communication et un travail de large envergure interne au système, mais aussi en rapport avec une meilleure reconnaissance et rémunération des compétences techniques, dans une société qui jusqu’à présent n’a de considération que pour les diplômes supérieurs. De plus, il faut reconnaître que l’emploi salarié n’est plus le débouché prépondérant. Par conséquent, les formations professionnelles doivent enseigner des modules spécifiques à la création et la gestion des petites entreprises, à côté de la maîtrise des aspects techniques des métiers. La consolidation du secteur en un seul ministère facilitera le pilotage stratégique et politique de cette transformation qualitative de la formation professionnelle.

Promouvoir le développement de la société civile, en particulier les associations des parents d’élèves, au sein de chaque établissement scolaire, intéressées par la modernisation du système éducatif et l’amélioration continue de la qualité des ressources humaines en Tunisie.  La société civile, moyennant le soutien nécessaire (surtout en formation), et en particulier les associations des parents d’élèves et associations d’étudiants(es), peuvent être d’une grande aide aux autorités dans l’adoption et la mise en œuvre de la stratégie de réforme du système éducatif du pays. Une société civile de qualité et consciencieuse peut faciliter la concertation, mobiliser le soutien nécessaire aux réformes et réduire ainsi la résistance de diverses parties au changement désiré. Elle peut aussi aider à la mobilisation des ressources (capital politique et moral, contributions financières, influence alternative à celle de l’autorité administrative et des syndicats, etc.) nécessaires à la mise en place de la stratégie. Il est utile d’explorer la possibilité de créer, au sein du ministère de l’Éducation, une structure dédiée au développement et à la collaboration avec la société civile afin de définir leurs besoins en développement de capacité, les modalités de coopération, les programmes de travail et les résultats attendus en termes de qualité et d’amélioration des services éducatifs. La priorité devrait être donnée au développement de la société civile dans les régions défavorisées  où les résultats scolaires sont bien en deçà de la moyenne nationale.

2 • Améliorer le niveau de qualification et de compétence des enseignants

La qualité des enseignants est la clé de voûte de toute réforme qui vise à améliorer la qualité d’un système d’éducation et de formation ayant pour principal objectif de former des compétences versatiles et capables d’apprendre d’une façon continue pour s’adapter aux changements de la demande des métiers que les économies du savoir exigent. La réforme que nous proposons comprend deux grandes mesures complémentaires.

La première mesure consiste à redéfinir et à mettre en œuvre rapidement une politique de formation initiale, de certification et de gestion des ressources humaines (primaires, secondaires, supérieures et de formation professionnelle). A cet effet, il faudra établir d’une façon claire les programmes de formation et les établissements diplômants que les futurs enseignants devront suivre pour prétendre à des postes dans le système éducatif.  Cet objectif nécessite une coopération très étroite avec les universités. La plupart des pays s’appuient sur des facultés de Sciences de l’éducation qui n’existent pas en Tunisie. La politique de gestion des ressources humaines couvre les modalités de recrutement des enseignants et de leur évaluation continue et les conditions de rémunération en fixant les conditions et les critères de sélection et d’évaluation garantissant le recrutement et la motivation des meilleurs.

La deuxième mesure consiste à mettre en place un système de formation et de perfectionnement continus des enseignants et à promouvoir leur développement professionnel. Ce système doit être mis en place immédiatement (infrastructure et équipements, formation des formateurs par des enseignants tunisiens et étrangers connus pour leur excellence) pour commencer la formation et le recyclage (pédagogie, motivation des élèves, utilisation du digital dans l’enseignement, etc.). En plus de la formation, il faut veiller à la motivation des enseignants en liant les promotions et les incitations financières aux performances et résultats concrets en termes de qualité d’apprentissage des élèves et des étudiants.

3 • Réformer et adapter régulièrement les programmes et curricula à tous les niveaux

Avec les changements de plus en plus rapides des connaissances, des technologies et des besoins du marché du travail, les élèves ou étudiants doivent être formés à devenir plus productifs, en développant leur esprit critique, leur capacité  d’analyser et de résoudre des problèmes complexes, de s’adapter rapidement aux nouveaux métiers qu’offre un marché de l’emploi en perpétuelle évolution, de communiquer clairement et de travailler en équipe, et enfin d’apprendre par soi-même.  Ces nouvelles demandes exigent un système éducatif agile et capable de faire évoluer rapidement les curricula des divers cycles pour mieux préparer les élèves à ces changements. En plus des matières et des techniques de base offertes par tout système éducatif, il faut inculquer aux nouvelles générations les compétences de vie, une conscience environnementale et relative au changement climatique, ainsi qu’un sens aigu de la citoyenneté, du civisme et du respect des valeurs de la république et des principes d’une gouvernance démocratique.

Le contenu des programmes doit assurer le développement des compétences. Un bon programme doit comprendre les objectifs et les résultats d’apprentissage que les apprenants doivent atteindre, le contenu des disciplines à enseigner et les manuels de base à utiliser. Toutefois, il faut laisser suffisamment de latitude aux enseignants pour adapter et enrichir le “contenu” des matières et disciplines ; les devoirs et les projets que les apprenants doivent réaliser ; les manuels, livres et autres documentation et lectures à utiliser ; les tests, devoirs et autres méthodes utilisés pour évaluer les acquis. L’essentiel est de s’assurer que les programmes offrent aux étudiants les aptitudes et les qualifications requises par le marché du travail afin d’améliorer leur employabilité. L’agence indépendante que nous avons proposée ci-dessus aiderait à assurer ce lien entre les programmes et le marché de l’emploi. Il y a un sentiment général dans la plupart des pays que l’utilisation intensive des TIC peut transformer les systèmes éducatifs en termes d’accessibilité et de qualité. Les recherches empiriques ne permettent pas encore de confirmer ce sentiment. Les TIC ne contribuent à l’amélioration de la qualité que dans le cadre d’un effort plus large de réforme de l’ensemble des composantes du système éducatif, et leur adoption ne doit pas être envisagée comme un projet vertical.  

4 • Généraliser l’éducation de la petite enfance (ou préscolaire) surtout dans les régions de l’intérieur

L’insuffisance d’investissement dans l’éducation préscolaire est une lacune majeure dans l’édifice éducatif tunisien.  Le fait que le préscolaire soit aussi marginal et qu’il ne soit pas une prérogative du ministère de l’Education nationale semble indiquer que la politique éducative nationale ne croit pas à l’importance de l’intégration de ces apprentissages dans le cursus du fondamental, et ne considère pas les années qui correspondent à la petite enfance comme déterminantes pour la préparation des enfants à recevoir les apprentissages scolaires de base et pour maximiser leurs performances scolaires futures. Ceci est bien entendu contredit par la science. Les découvertes scientifiques récentes confirment que l’âge de la petite enfance, entre 3 et 5 ans, représente une période cruciale pour le développement des capacités cognitives, émotionnelles et de socialisation des jeunes enfants.  Ils confirment aussi que les investissements publics en éducation à ce niveau sont ceux qui ont le rendement économique et social le plus élevé.

Nous proposons de combler rapidement cette lacune et offrir aux petits enfants la possibilité de développer leurs capacités cognitives et améliorer leurs chances de réussir dans la vie.  L’introduction récente d’une année préparatoire à l’âge de 5 ans ne touche que 45% des enfants avec une distribution régionale très inégale.  La plupart des enfants abordent l’enseignement de base mal préparés. Nous proposons de généraliser progressivement l’éducation de la petite enfance dès l’âge de 3 ans et sur tout le territoire national en commençant par les régions de l’intérieur qui souffrent de retards flagrants. Une nouvelle politique sera mise en place comprenant (i) les conditions, les objectifs et les normes de développement de l’éducation préscolaire : standards de qualité, programmes, équipements et services, qualification des éducateurs/éducatrices, etc. ; (ii) les incitations et l’appui de l’État aux secteurs publics, privés et associatifs pour investir dans ce segment de l’éducation et offrir des services de qualité (lignes de crédit dédiées, aide sociale conditionnée pour les enfants des familles démunies, assistance au montage de projets par des jeunes formés, etc.) ; (iii) mise en place d’un programme public de formation diplômante pour éducateurs et éducatrices de la petite enfance. Cette réforme importante pourrait se faire dans le cadre de partenariats public-privé ou du programme de développement de l’économie sociale et solidaire. Elle ouvrira aux jeunes diplômés des opportunités de montage de leur propre projet et de création d’emplois à haute valeur ajoutée sociale.

5 • Encourager la contribution du secteur privé et le partenariat avec le secteur public

Les faiblesses de l’enseignement public ont permis au secteur privé d’évoluer du statut de “moyen de rattrapage” (pour ceux qui ont échoué dans le public) à celui de “vraie alternative” pour pratiquement toutes les couches sociales. Malgré sa faible part dans l’offre d’éducation (moins de 15% dans l’enseignement supérieur et environ 7% dans le reste), à la fois le gouvernement et l’opinion publique ont toujours perçu l’enseignement privé comme une menace contre l’école publique, ainsi que comme une brèche dans les principes d’équité et de gratuité de l’éducation. Dans les années récentes, il est clair que les disparités régionales en matière de qualité et la généralisation des cours particuliers très couteux pour la classe moyenne et les familles pauvres, et le différentiel de qualité entre les établissements publics et quelques établissements privés battent en brèche les principes d’équité et de gratuité bien plus que ne le fait le secteur privé. Les arguments classiques contre le secteur éducatif privé ne sont donc plus valides, et une politique mieux adaptée aux nouvelles réalités du secteur est devenue nécessaire. En effet, le secteur privé continue à souffrir d’un cadre juridique accablant, ne dispose d’aucune subvention et est soumis non pas à une régulation et une assurance qualité de la part des ministères de tutelle, mais à une foule d’autorisations et de cahier des charges administratifs qui sont rarement contrôlés par le pouvoir public et probablement ignorés par certains établissements privés.  Ces cahiers des charges devront être revus pour devenir une incitation à rehausser la qualité de l’apprentissage, et devront toucher tous les établissements, indépendamment de leur statut public ou privé.

Bien que notre priorité et nos efforts soient dirigés vers l’amélioration de l’éducation publique, il faut aussi encourager le secteur privé à continuer à innover et à contribuer davantage à l’effort national d’amélioration de la qualité. Ce choix d’ouverture et de partenariat avec le secteur privé a pour objectif d’offrir à la population tunisienne qui le souhaite la possibilité de choisir entre les deux secteurs, mais aussi et surtout pour exploiter le dynamisme commercial du secteur privé, en faisant de la Tunisie une destination régionale pour l’éducation d’excellence et l’exportation des services à haute valeur ajoutée.  La nouvelle politique que nous proposons comprendra :  (i) la mise en place d’un cadre réglementaire souple et incitatif, (ii)  un contrôle systématique devant assujettir les établissements privés à l’assurance qualité au même titre que les institutions publiques, avec une obligation d’action pour le gouvernement au cas où des institutions ne se conformeraient pas aux normes qui régissent la qualité de l’infrastructure et l’attribution des diplômes et certificats à l’échelle nationale, et (iii) l’ouverture sociale de ces institutions en offrant des bourses de mérite et en négociant avec elles un quota pour des étudiants issus de classes sociales non privilégiées.

6 • Améliorer l’infrastructure, les équipements et l’environnement de travail dans tous les établissements d’éducation

Malgré les énormes efforts consentis en matière d’investissement et ce, pendant des décennies, la plupart des bâtiments et des équipements des établissements scolaires de tous les niveaux, y compris universitaires et de formation professionnelle, souffrent d’un manque d’entretien et de renouvellement, offrant des environnements de travail décourageants aussi bien pour les apprenants que pour les enseignants. Il est paradoxal d’entendre des politiques discourir sur la nécessité d’énormes investissements dans les TIC et l’enseignement électronique à distance (e-éducation) quand les programmes existants et les méthodes pédagogiques sont dépassés et que le strict minimum en matière de confort physique pour les enseignants et les élèves/ étudiants fait défaut. Il faut aussi renforcer la capacité des départements publics à bien planifier, programmer et exécuter (dans des délais et des coûts raisonnables) les projets de réhabilitation et d’entretien ainsi que le maintien en bon état de tous les actifs du secteur.

Mettre à niveau les équipements mobiliers et immobiliers du système éducatif et les maintenir d’une façon permanente dans des états normaux de fonctionnement. A cet effet, nous proposons un plan d’action qui traite des opérations lourdes complétant les mesures d’urgence annoncées auparavant : (i) définir et mettre en œuvre un programme national de réparation, de réhabilitation et de modernisation de l’infrastructure et des équipements de tous les établissements d’éducation ; (ii) prévoir une composante modernisation comprenant, entre autres, la connexion à des réseaux haut débit, l’aménagement de salles équipées de postes informatiques d’accès continu et assisté par des instructeurs confirmés pour former et encadrer les apprenants désireux de développer des projets ; l’installation de bibliothèques bien équipées en ouvrages et en espaces de travail et connectées aux bibliothèques publiques de nombreux autres pays pour bénéficier des ressources disponibles ailleurs ; la formation des enseignants et du personnel de management de l’établissement qui le souhaite au bon usage des TIC dans le domaine de l’éducation (recherche, développement de projet, programmation, gestion de base de données, etc.) ; (iii) mise à niveau et équipement des laboratoires et autres installations des établissements universitaires et ceux de formation technique (professionnelle et autres). A moyen terme, il faut se résoudre au fait que le problème de la maintenance ne peut être résolu que dans une démarche de décentralisation plus poussée et des procédures plus souples au niveau des régions et des districts.

7 • Renforcer la capacité de gestion des établissements d’éducation et de formation

Pour mettre en œuvre le plan d’action ci-dessus, maintenir les équipements scolaires dans un bon état de fonctionnement et enraciner la culture de maintenance et de qualité de service rendu aux apprenants et aux enseignants, nous proposons de : (i) décentraliser la gestion des établissements et de leurs équipements (administration, entretien courant) au niveau de l’établissement lui-même. Une assistance technique permanente sera mise en place à partir des directions régionales de l’enseignement ; (ii) renforcer les effectifs des établissements et des directions régionales en personnel technique et de management et former périodiquement les chefs d’établissement, le personnel des directions régionales et des établissements aux méthodes et outils de gestion des établissements de l’éducation ; (iii) confier la mise en œuvre du plan d’action de modernisation aux directions régionales appuyées par une assistance technique des bureaux d’études tunisiens et le ministère de l’Equipement (supervision et qualité), et enfin (iv) allouer aux établissements un budget annuel pour l’entretien et le maintien en  état de fonctionnement des équipements des établissements. Ces budgets sont établis et gérés par chaque établissement sous la supervision et le contrôle (a postériori) de la direction régionale.

Mise en oeuvre de la stratégie

La vraie valeur d’une stratégie se mesure par les résultats qu’elle aurait accomplis. Ces résultats ne peuvent être mesurés que si la stratégie est effectivement mise en œuvre. L’efficacité de la mise en œuvre d’une stratégie est donc aussi importante, sinon plus importante, que la stratégie elle-même. La revue de nombreuses expériences de pays qui ont adopté des stratégies de réforme du secteur de l’éducation (ou autres secteurs) a montré que les difficultés les plus importantes ont été rencontrées lors de la mise en œuvre (implémentation). Elles proviennent essentiellement de : (i) l’insuffisance de participation des principales parties prenantes et de communication publique sur les objectifs et les principales mesures considérées ; (ii) la faible appropriation et responsabilisation des représentants directs (et non uniquement syndical) du corps enseignant et des responsables des établissements scolaires ; (iii) la faible capacité managériale et le manque d’expérience en matière de conduite de projet de réformes des équipes de l’administration chargées de la mise en œuvre de la stratégie ; (iv) le manque d’une bonne planification-programmation de la mise en œuvre de la stratégie (plan d’action réaliste comprenant les actions détaillées, responsabilité, coût et délai de mise en œuvre, modalités de suivi, etc.).   

Afin d’aider à l’élaboration d’un plan de mise en œuvre de cette stratégie, nous proposons (à titre indicatif) la démarche suivante (à l’attention des autorités) :

Examiner cette proposition (par les autorités) en collaboration avec des experts nationaux, y apporter les ajustements jugés nécessaires, et la proposer à un débat national (nécessité d’organiser ce débat sur l’ensemble du territoire et pour une période d’au moins 3 mois) ;

Créer une structure (unité) chargée de la mise en œuvre de la stratégie nationale de modernisation du système éducatif et de formation. Cette structure doit être équipée de véritables compétences et spécialistes (et non des administrateurs) en conduite et mise en œuvre de projets de réformes. Elle doit être directement rattachée au ministre, qui sera désigné comme étant le premier responsable de la mise en œuvre de la stratégie. La structure aura pour principal rôle de :

Traduire les différents axes de la stratégie en objectifs mesurables et un plan d’action concret tenant compte des apports pertinents recueillis au cours des concertations avec les parties prenantes ;

Établir un plan de mise en œuvre détaillé (description de chaque action, institution/responsable d’exécution, délais d’exécution, coût total) et l’actualiser périodiquement en fonction de l’état d’avancement du plan d’action ;

Assurer le suivi et la coordination des intervenants et leur apporter le soutien technique et les moyens pour maintenir un rythme de mise en œuvre soutenu ;

Établir et publier les rapports trimestriels rendant compte de l’état d’avancement et des mesures prises pour aplanir les difficultés rencontrées et les éventuels retards observés ; et enfin

Mettre en place un plan de communication continue sur le contenu, l’état d’avancement et les résultats réalisés aux différents stades de la mise en œuvre de la stratégie.  

Mobiliser les ressources nécessaires à la mise en œuvre de la stratégie. Pour cela, nous suggérons d’organiser une table ronde (et non un forum) avec les principaux bailleurs de fonds et les partenaires du développement de la Tunisie pour présenter la stratégie de modernisation du système éducatif de la Tunisie, le plan d’action détaillé, les modalités et les coûts de mise en œuvre ainsi que les résultats attendus. Un document détaillé de la stratégie sera transmis aux bailleurs bien à l’avance accompagné d’une invitation comprenant une requête de contribution financière au coût de mise en œuvre et d’éventuels commentaires sur le contenu de la stratégie.

Hédi Larbi
Ancien ministre, professeur de Politique Publique à Sciences Po (Paris) et South Med University (Tunis)

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