News - 01.07.2022

Mouna Kraïem - Le président de la République dans le projet de constitution : Un président qui peut tout faire mais qui ne peut mal faire

Mouna Kraïm Mouna Kraiem

Par Mouna Kraïem. Maître de conférences agrégée en droit public - Les articles relatifs à la « fonction exécutive » font l’objet du chapitre 4 du projet de constitution. Ledit chapitre est divisé en deux sections relatives respectivement au président de la République et au gouvernement. Il s’agit, par conséquent, d’un exécutif structurellement bicéphale, déséquilibré au niveau des attributions. 

Une lecture rapide des dispositions du projet de constitution relatives au président de la République nous permet de dégager une multitude de remarques quant à son statut ainsi qu’à ses attributions.

1/ Le statut du président de la République

Nous examinerons tour à tour les conditions d’élection du président de la République ainsi que son irresponsabilité.

A/ Les conditions d’élection

Le président de la République est le Chef de l’Etat. Sa religion est l’Islam.

Il est bien clair que le projet de constitution consacre, à travers la condition d’islamité du président de la République, une inégalité entre les Tunisiens puisque les citoyens tunisiens non musulmans sont privés de se porter candidats à la magistrature suprême. Il s’agit encore une fois d’un privilège accordé à la religion musulmane en méconnaissance du principe de l’égalité et notamment du caractère civil de l’Etat dont on ne trouve aucune trace dans le projet proposé.

Par ailleurs, le droit de se porter candidat est ouvert aux seuls citoyens à l’exclusion des citoyennes, comme cela était clairement indiqué dans la constitution de 2014.

Le candidat à la présidence doit être de nationalité exclusivement tunisienne, âgé de 40 ans au moins et il est élu pour une période de cinq années renouvelable une seule fois. Le projet n’indique pas un âge maximum pour la candidature à la magistrature suprême.

Le président de la République est élu au suffrage universel, libre, direct et secret durant les trois derniers mois du mandat présidentiel. Il prête serment devant le parlement et devant le conseil national des régions et des districts.

Il convient de préciser que le projet dans son article 89 renvoie à la loi électorale pour la fixation des conditions et des modalités de présentation des candidatures.

B/ L’irresponsabilité du Chef de l’Etat

L’article 110 du projet fait bénéficier le président de la République d’un statut d’irresponsabilité perpétuelle et absolue. En effet, selon les termes mêmes de cet article, le président de la République jouit tout au long de son mandat d’une immunité. Cette immunité couvre tous les actes qu’il a accomplis à l’occasion de l’exercice de ses fonctions même après la fin de son mandat.

Contrairement à la constitution de 2014, aucune exception n’est prévue à cette irresponsabilité. Il convient de rappeler, à cet égard, que l’article 87 de la constitution de 2014 prévoyait une responsabilité du président de la République en cas de violation manifeste de la constitution. De ce fait, nous assistons à un retour à la constitution du premier juin 1959 dans laquelle le chef de l’Etat était totalement irresponsable et au-dessus de tout reproche. Ceci est en flagrante contradiction avec l’idée selon laquelle il n’y a pas de pouvoir sans responsabilité. Le président dans la nouvelle constitution ne peut, à l’instar d’un monarque, mal faire !

Qu’en est-il maintenant de ses pouvoirs ?

2/ Les «prérogatives» du président de la République

Le président de la République est le véritable maître de l’exécutif.

Il exerce des fonctions constituantes, des fonctions législatives et autres fonctions.

A/ Maître de l’exécutif

L’exécutif n’est plus un pouvoir mais une fonction. Sa structure est bicéphale. Il  se compose d’un président et d’un chef de gouvernement. Il est totalement dominé par le président de la République.

Le président de la République est le Chef de l’Etat. Nous serions même tentés de dire qu’il est le véritable Chef dans l’Etat. En effet, c’est lui qui détermine la politique générale de l’Etat et fixe ses choix essentiels et en informe l’Assemblée des représentants du peuple et le conseil national des régions et districts. Bien évidemment, cela recouvre aussi bien les choix internes que ceux relatifs à la politique étrangère.

Il désigne le chef du gouvernement et nomme également les membres du gouvernement. Il met fin aux fonctions du gouvernement tout entier ou à l’un de ses membres de façon unilatérale ou sur proposition du chef du gouvernement. Nous sommes loin par conséquent de la logique du régime instauré par la constitution de 2014 selon laquelle le gouvernement doit obtenir la confiance du parlement. Ce dernier est responsable devant le président de la République. Mais il assume également une responsabilité politique devant l’Assemblée à travers la technique de la motion de censure. 

Le président de la République nomme aux hauts emplois civils et militaires.

Il exerce le pouvoir réglementaire général et peut le déléguer totalement ou en partie au chef du gouvernement.

Le président de la République est le chef de la diplomatie. Il nomme les ambassadeurs et les ambassadeurs des Etats étrangers sont accrédités auprès de lui.

B/ Les fonctions constituante et législative

Le président de la République dispose, à l’instar du tiers des députés, de l’initiative de proposition de révision de la constitution. Il peut même proposer au référendum tout projet de révision.

Il dispose de l’initiative législative et ses projets sont prioritaires. Il convient de signaler à cet égard que le président de la République dispose de la compétence exclusive de présenter les projets de loi d’approbation des traits ainsi que les projets de loi de finances.

Le président de la République prend des décrets-lois pendant la vacance parlementaire en cas de dissolution du parlement.

Il peut renvoyer tout projet de loi pour une deuxième lecture. Il promulgue les lois et ratifie les traités.

Le président de la République peut proposer au référendum de façon directe et sans l’intermédiaire du parlement tout projet de texte législatif ou constitutionnel et tout projet de loi relatif à l’organisation des pouvoirs publics.

C/ Autres prérogatives

Le président de la République préside le Conseil de sécurité nationale. Il accorde le droit de grâce. Il nomme les magistrats sans être lié par l’avis du Conseil supérieur de la magistrature.

Le magistrat suprême peut dissoudre l’Assemblée des représentants du peuple. Ce pouvoir est discrétionnaire alors qu’il était lié dans la constitution de 2014.

En guise de conclusion, le constat préliminaire qui se dégage d’une lecture diagonale du projet de constitution conforte l’idée selon laquelle le régime préconisé par les rédacteurs de ce texte est un régime fortement présidentialisé dans lequel le Chef de l’Etat serait la clé de voûte de toutes les institutions et le gouvernement n’est qu’un organe assistant le président. Il marque ainsi, au niveau de la répartition des pouvoirs ainsi que la nature du régime politique, une rupture radicale avec la constitution de 2014 et un net retour à la constitution de 1959 en espérant qu’il n’est pas de même pour les libertés.

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