Opinions - 29.04.2022

Taoufik Habaieb: Un débat national, c'est à plusieurs, dans la pluralité des idées et la confrontation des propositions

L’édito de Taoufik Habaieb: Face aux défis qui s’accumulent

Enjamber un vaste débat public nécessaire et passer directement à un référendum le 25 juillet prochain n’enrichit pas la démocratie. La promesse d’une consultation sur la réforme du système politique annoncée par le président Kaïs Saïed a suscité de l’intérêt. Elle a laissé espérer la multiplication des formes d’expression et des forums d’idées dans la pluralité des opinions. Un débat, c'est à plusieurs, ensemble, dans la pluarlité des opinions et la confrontation des propositions.

Réduite à une consultation par voie électronique, cette collecte d’avis n’a pas atteint les objectifs escomptés. Un peu plus d’un demi-million de Tunisiens (534.915 répondants) y ont participé. On est loin, même s’il s’agit d’un autre registre, des 2.9 millions de votants aux dernières législatives en 2019. Quant au contenu des réponses exprimées, annoncé «riche et varié», il n’a pas été encore révélé. Ce qui fera l’objet du référendum demeure inconnu.

Le taux de participation doit nous interpeller, surtout dans la perspective des deux prochains scrutins: le référendum dans quatre mois, et les législatives dans 8 mois, le 17 décembre. L’euphorie de 2011 avait drainé pas moins de 4.3 millions de votants pour l’élection de l’Assemblée nationale constituante. Ils ne seront plus que 3.5 millions de votants aux législatives de 2014, puis 3 millions seulement pour celles de 2019. Lassitude compréhensible d’un corps électoral sans cesse sollicité, ou désenchantement progressif : 1 million de votants manquent aux urnes…

Un taux d’abstention de plus en plus croissant privera tout scrutin de sa représentativité. Le vrai danger pour la démocratie est là. Seule une participation élevée confèrera au vote sa pleine signification. Comment la garantir?

Une consultation, un référendum, des élections, c’est d’abord une dynamique politique porteuse. La consultation électronique a été pénalisée par la très faible mobilisation en sa faveur. Faute d’explicitation, de sensibilisation et de véritables délibérations publiques, elle a patiné. Livrés à leurs soucis quotidiens, les Tunisiens sont de plus en plus dépités face à la chose publique, et s’en détournent. Même s’ils continuent à accorder, à des taux élevés dans les sondages, leur soutien au chef de l’Etat et approuver ses décisions, ils ne s’investissent pas plus dans l’action politique.

Déterminé dans l’accomplissement de son projet pour la Tunisie, Saïed se prévaut de cette confiance populaire, pour faire ancrer, une à une, les balises de sa réforme du système politique. La démarche, progressive, est structurée : concentration de tous les pouvoirs entre ses mains, formation de son gouvernement, et installation d’un conseil supérieur provisoire de la magistrature. Puis, il s’est attaqué par décrets-lois à ses trois axes majeurs :  la réconciliation pénale, les sociétés populaires et la lutte contre la spéculation illégale.

La boucle de la première séquence de son modèle est bouclée. D’une rare exigence, ces textes, voulus fondateurs et édictés sans recours, expriment clairement la vision de Kaïs Saïed.

La démarche est résolue, mais le débat est atone ! L’Ugtt est allée jusqu’à suggérer un dialogue à deux niveaux, le premier inclusif qu’elle sera prête à porter et, le second, plus restreint autour du chef de l’Etat. Carthage n’a pas donné son feu vert.

Le champ politique est réduit, asséché, au risque de s’asphyxier. Et l’union nationale d’en pâtir. Alors qu’une nouvelle donne suscitée par la guerre en Ukraine s’ajoute à nos défis.

Cette odieuse guerre précipite la réarchitecture des relations internationales. Elle porte pour nous, comme pour d’autres pays similaires, un grand risque sécuritaire en termes d’approvisionnements alimentaires (céréales et oléagineux) et énergétiques (pétrole). Comme si la crise économique, le déficit budgétaire, la pandémie de Covid et l’enlisement de la situation en Libye ne suffisaient pas, la Tunisie se trouve confrontée à de nouvelles difficultés. La concentration de l’Occident (Etats-Unis, Union européenne…) sur la guerre en Ukraine nous privera sans doute du soutien sollicité.

Rassembler les Tunisiens, unifier leurs rangs, favoriser leurs expressions plurielles et les faire converger vers un consensus sur l’essentiel : le président Saïed doit s’y résoudre et s’y investir. Sans une forte mobilisation et une large participation, les prochains scrutins ne tiendront pas leurs promesses. Alors que nous devons réussir ces échéances pour rattraper le temps perdu, consolider nos institutions et endiguer la crise.

Taoufik Habaieb