Crise en Ukraine: Du SWIFT au CIPS
Par Salah Hannachi
L'expansionnisme paradoxal de l'OTAN
L'OTAN avait été mise en place en 1949 pour renforcer la sécurité collective des 12 pays signataires contre la menace posée dans la réalité ou dans la perception, par l'ancienne URSS, l'Union Soviétique. Après la chute du Mur de Berlin en 1989 et l’effondrement de cette Union, en 1991, il était attendu que, la cause ayant disparu, l'effet OTAN,comme dirait Candide, verrait baisser sensiblementou au moins stabiliser ses frontières, son budget, ses activités et ses moyens,comme ce fut le cas pour le Pacte de Varsovie, l’équivalent communiste de l’OTAN. Paradoxalement, l'OTAN a connu depuis 1989, 6 vagues d'élargissement portant le nombre de ses membres à 30 membres aujourd'hui, en 2022.Par ailleurs, il y a lieu de signaler que 1954, l’URSS a postulé en vain d’adhérer à l’OTAN.
En avril 2008, le sommet de Bucarest de l'OTAN, voulaitannoncer l'adhésion de la Géorgie et de l'Ukraine. La France et l’Allemagne se sont opposées à cette décision et le sommet a dû se limiter à l’annonce de cette possibilité au futur. En juillet de la mêmeannée la Russieenvahissait la Géorgie, l’amputait de deux régions et faisait avorter son intention d'adhésiona l’OTAN. Le dernier pays àadhérerétait la Macédoine en 2020. Actuellement trois pays, la Bosnie-Herzégovine, la Géorgie, et l'Ukraine ont candidateà l'adhésion.
Quels sont alors les facteurs, les intérêts et les acteurs derrièrece mouvement paradoxal continu d’expansion ?
Certains invoquent le fameux complexe militaro- industriel dont avait prévenu le Présidentsortant des USA Eisenhower, Commandant Chef des armées alliées durant la deuxième Guerre Mondiale, dans son discours d'adieu à la Maison Blanche. Ce qui est sûr c'est qu'une analyse purement sécuritaire, d'équilibre de puissance, ou géopolitique, n'expliquerait ni l'évolution de l'OTAN, ni celle des budgetsmilitaires des USA qui ont presque 800 bases militaires internationales. De même,est-ilsûr que la politique OTAN des USA, comme d'ailleurs sa politique extérieure, de défense, de budget et de dépenses militaires, ne sont pas le seul fait de l'Etat et des seuls acteurs étatiques, ni celui de considérations purement sécuritaires. Les considérationséconomiques et industrielles, des acteurs non étatiques privés et civils, visibles ou profonds, les lobbys participent fortement à ces décisions et à ces politiques. C'est d'ailleurs le cas, à un moindre degré, de la plupart de pays ayant une industrie d'armement puissante.
Quand les éléphants se battent, ce sont les pâquerettes qui souffrent! Et aussi quand ils font l'amour!
Quelles sont les pâquerettes qui ont souffert ou souffriront le plus de la crise ukrainienne ?
C'est d'abord le peuple ukrainien. Les maisons détruites, les familles disloquées et/ou endeuillées, les réfugiés fuyant les bombardements, vivant sous les tentes ou errant sur les chemins de l'exil, etc.
Nord Stream II est une autre grande victime du conflit. Était-ce la victime ciblée ?La question de l'OTAN était-elle un alibi ? pour combien de temps?
Quoi qu'il en soit et même si c'est seulement pour un temps, les agriculteurs français, espagnols et italiens, les industriels allemands, le transport, etc., les ménageseuropéens verront leur facture d'énergie doubler ou même plus. Ils souffriront aussi d'une inflation déjà importante. L'Europe vivra, encore une fois, les problèmes tragiques de l’immigration qui l’ont divisée, qui la divisent encore et dont sont protégés les protagonistes qui en sont responsables.
Les pays importateurs de blé, d'énergie, et de produits européens, dont la Tunisie, souffriront aussi.
Mais les victimes probables, les plus spectaculaires, ce seront l'économie mondiale, la globalisation, les chaînes de valeurs et d'approvisionnement, les flux et la fluidité du système de paiement international basé sur le dollar et le système de Bretton Woods, i.e., la Banque Mondiale, le FMI, l'OMC, etc. La Chine qui est l'un des stakeholders les plus importants de ces systèmes, critiquait déjà depuis longtemps la mainmise de l'Occident sur ce système et l'abus dont il est fait et dont est fait du dollar dans les relations et les disputes internationales. Elle ne manquera pas de tirer les leçons de la coupure de la Russie du système SWIFT. Elle pourrait rapidement accélérer la mise en place d'un système de remplacement.
La Chine a aussi déjà mis en place le China International Payments System (sigle: CIPS, appelé également Cross-Border Inter-Bank Payments System).Ce système de paiement interbancaire transfrontalier, créé en 2015, offre des services de compensation et de règlement à ses participants pour les paiements et les échanges transfrontaliers en Yuan. Le CIPS pourra être adapté rapidement en un système alternatif au SWIFT.
De même, La Chine a déjà mis en place l 'AIIB, Banque Asiatique d'Investissement dans l'Infrastructure, avec la participation de plus d'une centaine de pays dont toutes les puissances économiques asiatiques, l'Allemagne, le Royaume Uni, le Brésil, et,et la plupart des pays africains, asiatiques et européens, sauf les USA et le Japon. Elle peut compléter l'AIIB par la mise en levier de son vaste réseau d'échanges commerciaux, et son programme Marshall universel, le BRI, Belt and Road Initiative, largement et depuis quelque temps mis en vigueur, pour mettre en place une alternative au système de Bretton Woods.
Les gagnants ne sont souvent pas ceux que les médias célèbrent triomphalement.
Quelle que soit sa suite, le conflit ukrainien prend la forme d'une guerre de l'indépendance du Donbass. En effet, l'accord de Minsk, gelé depuis sa conclusion en 2015, aura été mis en vigueur et le Donbass, déjà reconnu indépendant par la Russie, ira peut-être plus loin que l'autonomie. Il fera ce qu'a fait la Crimée et rejoindra la Fédération Russe. La Crimée sera ainsi connectée au corps continental de la Fédération Russe dont elle est actuellement isolée. La Russie vendra à la Chine et à d'autres demandeurs le gaz qu'elle devait vendre par Nord StreamII à l'Allemagne et à l'Europe.
Les USA auront fait avorter Nord Stream II, même si c'est pour un temps seulement, un projet auquel tous les acteurs américains, tous partis et tous acteurs confondus, publics et privés, state et non-state, étaient opposés. Ils vendront plus cher le gaz que l'Europe devait acheter à la Russie. Ils auront aussi retardé le rapprochement, à terme inéluctable, entre l'Europe et la Russie, entamé par l'Allemagne, pour laquelle la Russie est géographiquement ce que le Canada est pour les USA. L’industrie de l’armement aux USA, en Europe, au Japon, en Russie, en Chine, etc.,est aussi un grand gagnant. L’Allemagne, ‘Une puissance herbivore dans un environnement international carnivore’, pour paraphraser un responsable allemand, enfin déculpabilisée, a déjà annoncé une forte augmentation de son budget de défense militaire. S’alignerait-elle enfin sur la France dans sa doctrine d’une défense et d’une autonomie stratégique de l’Europe ?
Enfin un grand gagnant est la Chine. Le conflit renforce sa position vis-à-vis de toutes les puissances et de tous les acteurs, sur un grand nombre de questions internationales. La Russie a eu et continuera d'avoir besoin du soutien de la Chine sur la scène internationale et aux Nations-Unies. Elle aura besoin de la Chine pour vendre son gaz et pour remplacer les fournisseurs et les mécanismes de paiement que les sanctions et la coupure du SWIFT lui auront fait perdre.Après la décision de Visa et de Mastercard de suspendre leurs opérations en Russie, plusieurs banques russes ont déjà annoncé ce dimanche 6 mars,2022, qu'elles allaient commencer à émettre prochainement des cartes de paiement utilisant le système chinois de cartes Union Pay couplé au réseau russe Mir.
La proposition d'intermédiation de la Chine dans le conflit actuel est une donnée nouvelle. Elle consacre son statut d'acteur majeur sur la scène européenne, fondésur ses relations économiques et commerciales avec l'Allemagne, l'Italie, la Hongrie, L’Europe Centrale et Orientale, etc., et les ports européens et internationaux qu'elle contrôle déjà, en particulier en Grèce.
La Chine verra aussi sa position avec les USA renforcée, en particulier sur la question de Taiwan, Hong Kong, l'Indopacifique, et la Mer de Chine. Le précédent ukrainien donnera beaucoup à réfléchir aux plaideurs, aux USA et surtout à Taïwan, d'une diplomatie agressive de soutien à l'indépendance de Taiwan. De même verra-t-elle ses voisins de l'Asie de l'Est, tirer les leçons concernant la tentation d'adhésion à l'AUKUS, Australie-United-Kingdom-United States, l'OTAN du Pacifique Sud, que les USA ont mis en place et pour lequelils accueilleraient volontiers de nouveaux adhérents comme l'Inde.
Il y a enfin lieu de noter que la Chine, dont l'économie est au moins 10 fois plus grande que celle de la Russie et dont le commerce international, en particulier avec les USA, est extrêmement important, dispose d'une gamme de moyens non-militaires de négociation avec les USA dont la Russie ne dispose pas. De même, son initiative BRI et son commerce très important avec l'Asie de l'Est, en particulier avec les 15 pays du nouveau RCEP, Regional Comprehensive Economic Partnership, avec l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Europe, l'Afrique du Sud et le continent africain, avec le Brésil et les pays de l'Amérique Latine et du Sud font d’elle « la Puissance du Milieu » et feront avorter les tentatives de l'isoler ou de la minoriser sur la scène économique internationale, au Conseil de Sécurité ou à l'Assemblée Générale des Nations Unies.
Salah Hannachi
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Salah Hannachi : L'expansionnisme paradoxal de l'OTAN. L'OTAN avait été mise en place en 1949 pour renforcer la sécurité collective des 12 pays signataires contre la menace posée dans la réalité ou dans les intérêts, par l'ancienne URSS, l'Union Soviétique. Après la chute du Mur de Berlin en 1989 et l’effondrent de cette Union, en 1991, Il était attendu que, la cause ayant disparu comme dirait Candide, l'effet OTAN, comme le Pacte de Varsovie, son équivalent communiste, verrait baisser sensiblement ou au moins stabiliser ses frontières, son budget, ses activités et ses moyens. Paradoxalement l'OTAN a connu depuis 1989, 6 vagues d'élargissement portant le nombre de ses membres à 30 membres aujourd'hui, en 2022. En avril 2008, le sommet de Bucarest de l'OTAN, avait annoncé la possibilité de l'adhésion de la Géorgie et de l'Ukraine. En juillet de la même année la Russie envahit la Géorgie et fait avorter l'intention d'adhésion de ce pays. Le dernier pays a adhéré était la Macédonien en 2020. Actuellement trois pays la Bosnie-Herzégovine, la Géorgie, et l'Ukraine ont candidate à l'adhésion. Quels sont alors les facteurs, les intérêts et les acteurs derrière ce perpétuel mouvement d’expansion ? Certains invoquent le fameux establishment militaro- industriel comme en avait prévenu le Président-General Eisenhower dans son discours d'adieu à la Maison Blanche. Ce qui est sûr c'est qu'une analyse purement sécuritaire, d'équilibre de puissance, ou géopolitique, n'expliquerait pas ni l'évolution de l'OTAN, ni celle des budgets militaires des USA qui ont presque 800 bases militaires internationales. Il est sûr que la politique OTAN des USA, comme d'ailleurs sa politique extérieure, de défense, de budgets et de dépenses militaires, ne sont pas le seul fait de l'Etat et des seuls acteurs étatiques, ni celui de considérations purement sécuritaires. Les considérations économiques et industrielles, des acteurs non étatiques prives et civils, visibles ou profonds, participent fortement à ces décisions et a ces politiques C'est d'ailleurs le cas, a un moindre degré de la plupart de pays ayant une industrie d'armement puissante.