Mohamed Adel Chehida: Les intérêts de la Tunisie avant toutes autres considérations !
Depuis une semaine, nous suivons tous avec inquiétude l’invasion russe de l’Ukraine. Depuis cette invasion tout le monde s’exprime sur les réseaux sociaux et donne son avis.
Commentant ces réactions, un ami ex-diplomate bien rodé m’a dit: "dommage, à chaque conflit notre «élite» s’est systématiquement rangée du mauvais côté". Entendez par bon côté les intérêts de la Tunisie.
Dans la plupart des posts, notamment ceux d'une certaine éiite tunisienne, on fait l’éloge du président Poutine, justifiant l’invasion et critiquant l’occident, l’accusant d’être la cause de tous les malheurs du monde, le colonialisme américain et européen, la crise en Libye, la destruction de l’Irak…est incompréhensible.
Nos «élites» oublient dans leur argumentaire que c’est l’Allemagne qui nous fournit les moyens de contrôler nos frontières au sud, frontières menacées par les infiltrations des terroristes de Daesh. On oublie que l’oncle Sam a bombardé les terroristes qui se préparaient à la « Ghazoua » de Ben Guerdane, sans compter que nombre de nos valeureux militaires ont été formés aux USA. On oublie que c’est l’Europe qui continue à nous soutenir économiquement, que notre jeune démocratie encore chancelante ne peut pas aller de l’avant sans une solide économie. Or c’est avec l’Europe qu’on a les échanges commerciaux les plus importants. Notre tourisme vit, il est dans les conditions normales notre première ressource de devises, grâce aux européens. Nos intérêts stratégiques et économiques sont avec l’Europe n’en déplaise à nos illuminés.
Il est temps de réaliser où résident les intérêts de la Tunisie et d’agir en conséquence. L’émotion, la transe doivent être laissés de côté, c’est aussi une des leçons du Bourguibisme. Ma génération a eu la chance de ne pas vivre de guerre, ou alors seulement à travers les médias. Grâce à l’intelligence de Bourguiba, notre pays a réussi à ne se mettre à dos aucune partie. L’intérêt de la Tunisie a toujours primé sur toutes autres considérations. Petit pays, nous avons toujours opté pour une neutralité bienveillante, grâce à quoi les divisions géostratégiques mondiales post deuxième guerre mondiale et guerre froide n’ont pas eu d’impact sur notre pays. Entendez par neutralité une position claire. Lors des pires conflits arabes ou tensions maghrébines nous avons réussi à préserver notre pays des choix binaires. La diplomatie n’est rien d’autre que cette subtilité de garder de bonnes relations avec tout le monde tout en prenant position.
Soyons clairs, chaque partie a certainement de solides arguments, mais il s’agit bien d’une sale guerre. Décider d’envahir un pays voisin avec comme conséquences des milliers de morts, pleins d’orphelins sous les bombes, ne peut pas constituer une alternative, même pour la deuxième puissance militaire mondiale.
Il faut dire les choses comme elles sont. Une agression, une invasion d’un pays libre et indépendant est une transgression inadmissible du droit international, ceci est absolument inacceptable. La Tunisie devrait être la première à la dénoncer.
L’Ukraine que la propagande russe veut faire passer comme le fruit de la deuxième guerre mondiale ou de la guerre froide, a un peuple, une culture, un drapeau bleu et jaune et un siège à l’ONU. Un peuple qui a goûté à la liberté après la chute du mur de Berlin, y tient et espère adhérer à l'union européenne. C’est son droit.
A quelque chose malheur est bon, cette guerre fait de la Tunisie un pays géopolitiquement encore plus important et ceci grâce au gazoduc algérien qui fournit à l’Italie et l’Europe en traversant la Tunisie. Hier le ministre des affaires étrangères italien Di Maio a effectué une visite en Algérie pour évoquer ce sujet. Nos besoins en céréales, base de notre alimentation (couscous pain et pâtes) proviennent de l’Ukraine.
Notre présidence de la république a émis un timide communiqué invitant les deux parties à s’asseoir autour de la table de négociation ! Intolérable quand l’Europe et l’OTAN répondent d’une seule voix en déclarant une guerre économique à la Russie et à la Biélorussie.
Les Européens et les Occidentaux estiment que la non décision est une décision. La neutralité n’est pas de la lâcheté. La neutralité c’est de lutter contre ses pulsions primaires. Je vous invite à revoir la «non décision» tunisienne, soyons du côté de la démocratie et de la liberté. Mettons l’intérêt de la Tunisie au-dessus de toutes autres considérations, autrement on risque de perdre encore du terrain au niveau international surtout que l’occident émet encore des doutes sur les parcours démocratiques post 25 juillets et voit d’un mauvais œil la concentration de tous les pouvoirs entre les mains d’une seule personne.
Condamnons l’invasion de l’Ukraine. Choisissons le camp de la liberté, il se trouve être celui de nos intérêts.
Mohamed Adel Chehida