Publication du rapport la Petite Corruption en Tunisie: L’Étude analytique 2014-2020
Par Dr. Khaoula Ben Mansour - L’Association Tunisienne des Contrôleurs Publics a présenté le mercredi 23 Février 2022, le rapport «La petite corruption en Tunisie», dans sa deuxième édition, marquant ainsi le paysage médiatique par un évènement aussi bien sociétal que politique. Les auteurs sont Charfeddine Yaakoubi, Amel Chouya, Khaoula Ben Mansour et Béchir Hmissi.
Le rapport présente, de manière inédite, une analogie de la perception de la corruption de la période de 2014 et 2020, six années durant lesquelles la Tunisie a connu une transition institutionnelle, économique et sociétale avec l’adoption d’une nouvelle constitution (2014).
Le rapport «La petite corruption en Tunisie», revient tout d’abord sur l’ancrage théorique et scientifique de la notion de «petite corruption», qui s’adosse à la notion «de grande corruption». (Mashali, 2012 ; Heidenheimer, 2001). La Banque Mondiale retient aussi cette terminologie notamment, afin de différencier la corruption qui serait propre au secteur public et celle propre au secteur privé. De même, les institutions internationales de Développement (PNUD, SIDA) attribuent à «la petite corruption» les abus bureaucratiques, à la «grande corruption», les abus politiques et enfin la «captation de l’État» qui serait un phénomène systémique d’un État. Par ailleurs, il est aussi important de citer d’autres classifications évoquées par la littérature, telle que la corruption «blanche, grise ou noire».
L’ATCP retient également «la petite corruption» comme un marqueur important de la corruption quotidienne rencontrée par le citoyen dans les «prestations» administratives, économiques ou sociales. Une des caractéristiques de cette dernière, serait de confondre tout de suite les deux intéressés par l’acte de corruption «l’acheteur» (l’acteur passif) et le «vendeur» (la personne active qui demande une contrepartie) (Contrairement à la grande corruption où les personnes disparaissent derrière des noms d’entreprises, d’institutions ou encore de des partis politiques).
Fidèle à une méthodologie scientifique et statistiques, une première partie exploratoire a permis de faire émerger les données qualitatives nécessaires à la mise en place d’un questionnaire distribué à 1001 tunisiens. L’échantillonnage et la distribution des questionnaires ont respecté la répartition démographique tunisienne (Bureau Emrhod Consulting).
Les résultats les plus percutants sont la petite corruption en Tunisie est d’une moyenne (estimation basse) de 375 dinars, dans la globalité 570 Millions de dinars ont été versés en termes de corruption. Le portrait-robot du corrupteur est un homme de 24 à 45 ans étant dans le secteur privé. L’étude confirme ainsi l’approche genre puisque les femmes sont perçues par les citoyens tunisiens comme moins concernées par le phénomène.
La crise du Cov19 a eu aussi un fort impact sur la montée des pratiques de «petite corruption» dans le secteur de la santé à concurrence de 20% notamment dans l’admission des malades au sein des hôpitaux publics. Aussi, les forces de sécurité intérieure représentent un secteur sinistré avec 50% de perception de corruption.
L’étude questionne les citoyens sur les institutions identifiées par le citoyen comme active dans la lutte contre la corruption, le parlement de 2020, les 10 gouvernements connus jusqu’alors, le système judiciaire, les organes de contrôle public ainsi que l’Instance nationale de lutte contre la corruption, la société civile est le journalisme d’investigation. Les principaux graphiques reviennent sur les résultats de l’étude.
Enfin l’étude présente un nombre important de contributions aux reformes de l’Etat:
• La digitalisation de l’administration apparait comme un rempart à la petite corruption, la numérisation des documents, l’accélération des process via l’utilisation des systèmes d’information. L’Open data et l’OpenGOV sont des politiques publiques à soutenir et à développer.
• Le modèle des trois lignes de maîtrise des risques adoptés par l’institut de l’audit interne "IAI" et s’appliquant au secteur public peut répondre à ces objectifs sont à maintenir avec la diffusion des rapports des différents organes de contrôles de l’État pour une plus grande transparence et suivis des disfonctionnements institutionnels. De même éviter les «doublons» des missions d’audit et de contrôle.
• Le journalisme d’investigation est un moyen identifié par les citoyens tunisiens pour accélérer les procédures de saisines de la justice dans le cadre des affaires de corruption.
• L’instance nationale de lutte contre la corruption doit reprendre son fonctionnement, notamment en sauvegardant les droits du statut de lanceur d’alerte, un moyen d’expression dans les droits de l’Homme.
• Les textes d’applications des lois 2017-10 de protection des lanceurs d’alerte et la loi 2018-46 de la déclaration du patrimoine sont certes perfectibles (revernir à 8 plus hautes fonctionnaires de l’Etat qui publient leur déclaration). La Tunisie se doit d’honorer ses engagements envers la convention internationale de lutte contre la corruption, ratifiée en 2008.
Dr. Khaoula Ben Mansour
Maitre Assistante à la FSEG de Tunis