L’ail : indispensable en cuisine, excellent pour la santé
Par Ridha Bergaoui - Originaire de l’Asie Centrale et cultivé depuis des millénaires, l’ail a rapidement conquis le monde entier. L’ail est utilisé partout en cuisine comme condiment pour relever le gout des plats. Il est également connu pour ses propriétés diététiques et médicinales et utilisé comme remède à de nombreuses pathologies. De nos jours, l’ail est considéré comme « alicament », un aliment qui a des effets favorables sur la santé.
Dans le commerce, on peut trouver de l’ail surtout sous formes de bulbes destinés à la consommation des ménages. On peut également le trouver sous forme de pâte, en poudre, déshydraté… On peut le retrouver dans des préparations diverses comme l’harissa, des sauces diverses, les charcuteries… Il existe également sous forme de gélules et divers extraits vendus en pharmacie.
Composition de l’ail
L’ail contient de nombreux éléments nutritifs comme des protéines et acides aminés, des glucides, des minéraux, des oligoéléments et vitamines (A, B, C, A, E...). Il renferme des antioxydants (flavonoïdes et polyphénols).
La spécificité de l’ail c’est surtout sa richesse en composés soufrés (surtout l’allicine, libérée après avoir écrasé les gousses d’ail) qui lui confèrent ses particularités organoleptiques et médicinales.
L’ail possède des propriétés prouvées comme : antimicrobien, antitrombique, hypolipemiant, antihyertensif, antiinflammatoire, antifongique, antiseptique…
Il ralentit la progression de nombreuses pathologies comme l’athérosclérose, les risques cardiovasculaires, l’hypertension, le diabète du type 2, l’hypothyroïdie, l’apparition de certaines maladies digestives, le cancer de la prostate, les différentes maladies respiratoires hivernales et l’hypersécrétion nasale, contre les parasites intestinaux…
L’OMS recommande de consommer quotidiennement de l’ail
Pour ses bienfaits sur la santé, l’OMS recommande de consommer 1 à 2 gousses d’ail par jour (2 à 5 grammes) pour la promotion de la santé générale des adultes. Il est recommandé de le manger de préférence cru, écrasé pendant les repas pour ne pas irriter l’estomac. L’utiliser avec précaution en application sur la peau pour éviter les brulures ou des réactions allergiques.
Son inconvénient essentiel, c’est l’haleine caractéristique du consommateur d’ail. Il est possible de masquer cette odeur désagréable en consommant des grains de café, en machant du chewing-gum, des bonbons mentholés…
Utilisations de l’ail en Tunisie
Le Tunisien aime bien les plats bien épicés et bien relevés. La cuisine tunisienne réserve une place importante à l’ail. Il est utilisé comme condiment dans tous les plats autant que le sel et le poivre. La « methawma », préparée aux tripes de veau, à la viande ou à la poulpe selon les régions, est un plat qui comporte, comme son nom le laisse prévoir, une quantité importante d’ail.
Une bonne harissa ou une salade grillée (slata méchouia) doivent comporter une bonne proportion d’ail. La vedette et le plat populaire hivernal est bien sûr le bol d’ail (sahfa thoum) concocté à partir d’ail, d’harissa, d’œuf et d’huile d’olive. Un excellent mélange très nutritif destiné à booster notre immunité pour combattre rhume et autres maladies hivernales. Soupe, hsou et autres plats utilisent de grosses quantités d’ail.
On l’ajoute même dans le pain pour fabriquer du pain à l’ail. L’ail confit à l’huile d’olive est excellent à consommer en tartine ou pour aromatiser un tas de préparations culinaires (sauces, salades…).
La médecine traditionnelle a également consacré une place importante à l’ail pour soigner de nombreux maux. Ses propriétés antiseptiques, antibiotiques, antifongiques et antiinfectieuses sont bien connues. Il est utilisé dans de nombreuses pathologies comme le diabète, l’hypertension, les pathologies digestives diverses…
Une ruée vers l’ail a été enregistrée au début de la pandémie covid-19 qui a entrainé une hausse importante du prix pour atteindre parfois les 25 dinars le kilo. Malheureusement, malgré ses bienfaits antimicrobiens connus, l’ail s’est révélé insuffisant pour combattre ce virus.
Les gousses d’ail peuvent être consommées écrasées crues (cuit, l’ail perd de ses qualités), seules ou avec de l’huile d’olive ou du miel pour profiter des effets bénéfiques de ces aliments naturels en même temps.
Culture de l’ail en Tunisie
Dans le monde, l’ail occupe près de 1 million d’hectares et représente une production moyenne de 15 millions de tonnes/an. La Chine représente le producteur principal de l’ail et le principal pays exportateur (de 75 à 80%). Elle est suivie de loin par l’Inde (4% seulement). Au niveau de l’UE, la production d’ail se situe à près de 250 000 tonnes, l’Espagne produit à elle seule 145 000 tonnes.
L’Egypte est également un gros producteur d’ail avec environ 160 000 tonnes/an. L’Algérie en produit 50 000 tonnes et le Maroc 20 000.
Pour la Tunisie, quoique les données sur la culture de l’ail soient rares, on peut estimer toutefois la superficie réservée annuellement à cette culture de 2 000 à 3 000 ha (les céréales occupent de 1,100 à 1,200 millions d’ha). Compte tenu d’un rendement moyen d’environ 7 tonnes/ha, la production nationale serait de 14 à 20 000 tonnes. Béja occupe la première place en matière de culture de l’ail en pluvial. Sidi Bouzid est un pôle important de production de l’ail en irrigué.
Le climat Tunisien est favorable et la culture de l’ail remonte à très loin. La culture est facile, l’ail toutefois est exigeant en fertilisants et qualité du sol. Il est également sensible aux mauvaises herbes. Le désherbage manuel ou chimique est nécessaire pour éviter la concurrence et s’assurer une récolte satisfaisante.
Le prix des bulbes d’ail varie en fonction des saisons et de la qualité de l’ail. Il peut atteindre 17 dinars le kg pour l’ail rouge de qualité.
A côté de la consommation des ménages, certaines industries agroalimentaires utilisent l’ail dans leurs préparations. L’industrie pharmaceutique utilise également une certaine quantité d’ail pour l’élaboration de certains produits (gélules d’ail en poudre, huile essentielle d’ail…). Cette quantité demeure toutefois faible et ne doit pas dépasser au plus les 2 000 tonnes.
La disponibilité par habitant serait de 1,1 à 1,700 kg/tête/an. Quoique le niveau de consommation de l’ail semble être à la hausse, il est toutefois tout à fait satisfaisant. Les Français consomment près de 0,8 kg/habitant/an alors que les Américains en consomment 1,5kg/habitant/an.
La production locale d’ail est donc suffisante pour couvrir les besoins du pays. Aucun besoin d’importer de l’ail de l’étranger et surtout de la Chine.
L’ail chinois, une menace pour l’économie nationale
Depuis quelques années on commence à constater la présence de l’ail chinois sur le marché national. Il est vrai que la Chine est le plus gros producteur et exportateur d’ail dans le monde (près de 80% de la production mondiale). L’ail chinois est vendu dans plus de 160 pays à travers le monde.
Malgré presque 10 000 km entre la Tunisie et la Chine et tous les frais de la logistique, l’ail Chinois est vendu moins cher que l’ail local.En l’absence d’informations précises, il est possible que l’ail présent dans les commerces soit introduit clandestinement par contrebande des pays voisins.
L’ail chinois peut présenter de nombreuses menaces. Le consommateur ne dispose d’aucune information sur le produit (conditions de production, résidus et produits toxiques, méthodes de traitement-conservation-transport…).
La mécanisation à outrance, la main d’œuvre très bon marché, l’utilisation massive de pesticides pour lutter contre les ravageurs et les pathologies diverses, le non-paiement de frais de douane, des pratiques commerciales illégales… peuvent expliquer le prix relativement bas de l’ail chinois. Il faut noter que l’empreinte carbone de cet ail venu de très loin est très élevée et contribue d’une façon indirecte au réchauffement climatique et ses effets néfastes sur la planète.
L’effet sur l’économie nationale et les agriculteurs est évident et catastrophique. En effet l’ail chinois vient concurrencer le produit local. En Tunisie, la production de l’ail est faite par de petits agriculteurs qui utilisent rarement la mécanisation. L’ail est grand consommateur de main d’œuvre allant du semis jusqu’à la récolte en passant par de nombreux binages et sarclage pour aérer le sol autour de la plante et arracher les mauvaises herbes. La part dans les couts de revient de la main d’œuvre est importante. A côté de la main d’œuvre, le prix des intrants (semence, engrais, désherbants…) ne cesse d’augmenter, surtout avec la dépréciation du dinar. Ces facteurs conduisent à des couts de revient élevés.
Face à des prix de vente généralement trop faibles et la concurrence de l’ail chinois, la culture de l’ail est actuellement peu rentable. Les agriculteurs n’arrivent plus à couvrir leurs frais et finissent par abandonner cette activité. A plusieurs reprises, les agriculteurs ont manifesté et ont demandé l’arrêt de l’importation de l’ail.
L’abandon de la culture de l’ail a de graves conséquences. La culture de l’ail occupe une importante main d’œuvre, c’est un excellent précédent cultural dans le cadre de la rotation des cultures et permet d’avoir un produit agricole local frais et de bonne qualité. L’importation de l’ail vient aggraver le déficit de notre balance commerciale agricole et représente une sortie importante et injustifiée de devises.
Développer la culture de l’ail
Pour ses usages culinaires et ses bienfaits médicaux scientifiquement prouvés, l’ail est un aliment très important et sa consommation tend à augmenter. Il est indispensable de soutenir et d’encourager la production locale d’ail. Il est nécessaire d’interdire et combattre l’importation légale et surtout illégale de l’ail chinois et imposer une taxation douanière conséquente si nécessaire.
Il faut également soutenir la production locale en:
• Motivant les agriculteurs pour augmenter les surfaces et améliorer les rendements
• Un bon encadrement et de la vulgarisation auprès des agriculteurs en matière de choix variétal, lutte contre les maladies et les ennemis de la culture, la conduite de la culture, les techniques de séchage et de conservation de la récolte…
• Approvisionnement et soutien à l’approvisionnement en intrants (semences, engrais, pesticides…)
• Soutien à la commercialisation de la récolte
• Aider les producteurs à s’organiser et à travailler mécaniquement la culture.
Il serait intéressant de créer un label qualité une « Appellation d’origine Contrôlée ou Protégée (AOC/AOP) » par exemple et de célébrer une fête régionale de l’ail (Béja ou Sidi Bouzid) à l’image d’autres cultures comme l’olivier, le grenadier, le cactus…
La recherche doit également s’impliquer surtout en matière de sélection. En effet, très peu a été fait dans le domaine de l’amélioration végétale de l’ail. Au niveau mondial l’ail intéresse peu les sélectionneurs privés du fait d’une rentabilité très limitée. Il est nécessaire de sélectionner des variétés locales saines, productives, résistances aux maladies et parasites et adaptées au stress thermique et au changement climatique.
L’ail est un produit indispensable pour la cuisine. Ses bienfaits sur la santé sont connus depuis longtemps. C’est un produit naturel alternatif aux médicaments couteux. Il est accessible facilement à tous et peu couteux.
Soutenir les producteurs, encourager et promouvoir la culture de l’ail à des conséquences bénéfiques sur l’économie nationale, les agriculteurs et le consommateur.
Professeur Ridha Bergaoui