Tendance - 04.11.2010

Venus Noire de Kechiche : Nous sommes tous des Saartjie

A travers le long et douloureux supplice de Saartje Baartman, représentante de l’une des races les plus rares et les plus singulières d’Afrique de par ses formes protubérantes, Abdellatif Kechiche, dans son film la Vénus noire, semble retracer la traversée de tous ces jeunes, hommes et femmes, qui ont quitté leur terre d’Afrique pour cet Occident, rêvé et sublimé, à la recherche de la célébrité et de la richesse.

Victime consentante atteinte du syndrome de Stockholm ou perverse sans scrupules prête à tout pour gagner les lauriers de la gloire, le spectateur oscille entre ces deux versions au fur et à mesure que défilent les scènes où Saartje, l’Hottottente, offre son corps en spectacle à une société européenne du début du XIXème Siècle qui se délecte de la soi-disant monstruosité de cette jeune Sud-Africaine du Cap, se confortant ainsi dans sa position de race supérieure et préparant les consciences aux drames du XXème Siècle que l’on connaît.

La caméra du réalisateur tuniso-français colle aux visages des acteurs, donnant un réalisme poignant aux spectacles d’exhibition où Saartje s’exécute, se rebelle parfois, pleure souvent car là où le public ne voyait qu’un corps difforme et monstrueux, il y avait un cœur qui sanglotait mais supportait toutes les humiliations dans l’espoir d’une reconnaissance qui finirait par arriver, c’est certain, ses maîtres-bourreaux le lui avaient promis.
Abdellatif Kechiche montre la connivence de tout ce monde occidental qui spolie, à travers le corps de la jeune Hottentote, les terres d’Afrique dont il exploite les ressources aussi bien naturelles qu’humaines et ne voit, dans ses richesses et sa beauté, qu’enrichissement personnel et exploitation sans limites. Ce corps, qu’on n’a même pas respecté quand la vie l’a quitté sera encore exhibé, disséqué par une communauté scientifique complice des thèses les plus abjectes de hiérarchie des races humaines.

La longueur, la répétition et le voyeurisme des certaines scènes auront gêné la plupart des spectateurs. Comme une obsession, Saartje exhibe encore et toujours ses charmes tour à tour dans les bas-fons londoniens, la haute société parisienne ou au cours d’orgies où elle se donne en spectacle devant un public ravi.

On sort troublé de ce film qui ne laissera personne indifférent par la force de ses images et l’actualité des thèmes qu’il véhicule. Dans ses formes protubérantes, cette femme, simple et ambitieuse qui voulait juste devenir riche et reconnue, aura porté les rêves et l’ambition de cette Afrique qui cherche toujours à se faire reconnaître par un Occident qui lui promet monts et merveilles tout en continuant à l’exploiter. Terriblement contemporain !

Anissa BEN HASSINE