Pour gagner la lutte contre le réchauffement climatique, il faut continuer à aider massivement les pays du sud à se developper sans carbone
Par Professeur Samir Allal - Le réchauffement climatique est aujourd’hui un constat largement partagé par tous les participants à la COP 26 à Glasgow. Les gouvernements, Les entreprises et les organisations internationales, tous assurent de leur engagement sans faiblesse dans la lutte contre le changement climatique pour le réduire et en atténuer ses conséquences néfastes. Pourtant, les émissions globales de gaz à effet de serre continuent à croître.
Pire, alors que nous ne devrions pas émettre plus de 800 Gigatonnes supplémentaires pour espérer atteindre la cible des 1,5° C, le niveau actuel des émissions est autour de 40 Gigatonnes par an. A ce rythme, la limite sera atteinte en 2040.
Pourtant, c’est 2050 qui est la date confirmée pour atteindre les «zéro émissions nettes». Même en supposant que toutes les actions entreprises soient nécessaires, elles ne sont clairement pas suffisantes et il nous faut donc, changer de trajectoire plus rapidement que nous ne le faisons aujourd’hui.
Actuellement, on peut classer les stratégies de lutte contre le changement climatique dans trois catégories : les solutions anthropologiques, les solutions technologiques et les solutions institutionnelles. De COP en COP, on est obligé de constater qu’aucune de ces approches n’a permis d’obtenir une baisse des émissions globales.
Les solutions technologiques supposent l’existence de nouveaux processus de production fournissant une énergie verte, une alimentation saine, des transports non polluants, des logements avec moins de béton (qui représente entre 15 et 25% des émissions de CO2 sur leur cycle de vie). Pour l’instant ces processus nouveaux restent largement à inventer.
L’autre direction c’est la géo-ingénierie dont toutes les conséquences n’ont pas été étudiées. Ce serait un saut dans l’inconnu. Un pari risqué qui oublie que la technologie a toujours deux faces. L’une règle des problèmes et l’autre en créé des nouveaux.
Quant aux solutions institutionnelles, la seule qui soit pratiquée aujourd’hui, ce sont les COP dont la 26ème qui est en ce moment à Glasgow. L’obstacle principal auquel elles se heurtent est celui de l’abandon de souveraineté qu’impliquerait une institution internationale ayant un pouvoir contraignant. Les États ne le souhaitent pas… Et les émissions globales continuent à croître…
Une conclusion s’impose : Il devient de plus en plus difficile d’appeler «solutions» des orientations qui donnent d’aussi médiocres résultats. Et si ces «solutions» n’en sont pas, peut-être est-ce le diagnostic qui doit être revu.
Réfléchir à la meilleure manière de «faire entrer l’économie dans le climat»
La vision très étroite de l’économie dont relève la plupart des préconisations pour lutter contre le changement climatique, est-elle encore de mise lorsque, jour après jour, les annonces se succèdent pour indiquer qu’en matière de changement climatique le temps est plus que compté. La menace que constitue le climat ne peut plus être enfermée dans un calcul et une comptabilité pour lesquels les outils appropriés n’existent tout simplement pas.
La publication du rapport du groupe de travail no1 du GIEC et les événements climatiques de l’été renforcent la polarisation du débat autour de «l’impératif des 1,5 °C» et de l’urgence de mesures drastiques, voire d’une décroissance dans les pays riches, pour suivre un tel scénario.
Le problème ainsi posé est insoluble. On n’arrêtera pas l’aspiration à un niveau de consommation confortable de ceux qui sortent de la pauvreté dans le monde.
Pour la contrebalancer, les pays de l’OCDE devraient accepter une sobriété et une mutation drastique de leurs appareils productifs, d’une ampleur que ne laissent augurer ni la «révolte sociale», ni les résistances vis-à-vis telle ou telle technologie bas carbone, ni les incertitudes sur le nucléaire, sur le stockage de l’électricité ou sur la capture du carbone.
Nous serions alors condamnés aux complaintes impuissantes sur l’insuffisance des politiques, aux débats répétitifs entre «réaliste» et «punitive», et à la désespérance d’une jeunesse sidérée par des adultes qui leur annoncent des catastrophes imminentes et font si peu.
Bien clarifier les enjeux et les implications de la neutralité carbone en 2050: annonces et réalités
Le scénario à 1,5 °C SSP1, « Shared Socioeconomic Pathways, se déroule dans un monde spontanément orienté vers la sobriété des modes de vie, où les choix techniques ménagent l’environnement et les ressources, et où les pays riches transfèrent aux pays pauvres les fonds nécessaires à la compensation des effets négatifs du prix du carbone, sans que ces sommes ne soient jamais détournées de leur bon usage…
Cet exercice heuristique peut d’autant moins fournir des conclusions opératoires que les modèles utilisés, présentent une macroéconomie sans chômage ni finance. Il permet d’explorer des futurs à long terme, mais ne disent pas comment enclencher la transition à partir des réalités économiques actuelles.
Enclencher la transition dans les pays développés et les pays vulnérables et en développement, ne peut passer par des injonctions lancées au nom de la métaphore du mur de catastrophes qui nous attend au-delà de 1,5 °C.
Ces injonctions sont démobilisatrices si ceux qui la reçoivent constatent qu’ils ne peuvent y répondre, et fournissent un abri commode à ceux qui, peu convaincus, attendent que, le temps passant, on abandonne l’objectif fixé.
Elles font comme s’il était possible d’exiger le sacrifice des générations présentes qu’on a justement besoin de mobiliser, et contredisent la convention pour le climat de 1992, qui a posé l’allégement de la pauvreté et la lutte contre les inégalités comme priorités absolues.
A la sortie de cette COP 26 (la moins inclusive) l’urgence est de créer un cercle de confiance entre les pays riches et les autres pour éviter les 3, 4 ou 5 °C, sachant que le niveau en 2050 est déjà scellé à deux dixièmes de degré près.
C’est pourquoi la conclusion « positive » souhaitée à la fin de cette COP est un appel à tous les pays pour un renforcement de leur contribution nationale pour la décarbonations, cohérent avec leurs objectifs de développement, à charge pour la communauté internationale de les aider à les réaliser.
Les pays riches (les plus pollueurs) peuvent le faire en redirigeant une épargne surabondante, placée aujourd’hui dans l’immobilier, les produits liquides ou les bitcoins, vers les investissements bas carbones dans les pays du Sud affectés de forts déficits d’investissement en infrastructure.
La vraie urgence est de faire les deux tiers des investissements d’infrastructure bas carbone dans les pays du Sud pour leur éviter de bifurquer vers un mode de développement carboné.
Les pays de l’OCDE ont les moyens de s’engager, sur des garanties publiques de ces investissements, et de créer l’intermédiation financière adéquate dans le cadre de dispositifs d’évaluation rigoureux.
Ils rempliraient ainsi leur seul engagement contraignant de l’accord de Paris : plus 100 milliards de dollars par an pour aider les pays du Sud à renforcer leurs politiques climat. Pourrait alors s’enclencher le cercle de confiance nécessaire à la réduction de l’écart entre annonces et réalité sur le climat…
Professeur Samir Allal
Université de Versailles/ Paris-Saclay
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