Bientôt deux années de pandémie, quel bilan peut-on faire des faiblesses et des défis de la mondialisation ?
Par Taoufik Ayadi - Bien que la mondialisation a amélioré en 20 ans le niveau de vie général dans le monde et réduit à quelque 700 millions de personnes le nombre des pays pauvres, selon un rapport de la Banque Mondiale, elle est de plus en plus mise en question depuis la crise financière de 2008. La raison en est ses coûts devenus insupportables, en particulier la destruction accélérée de l’environnement et la multiplication à grande échelle de la corruption et de l’évasion fiscale.
La pandémie Covid-19 a mis à nu d’autres faiblesses de la mondialisation, qui ont empêché les Etats à s'organiser rapidement et efficacement pour faire face à un virus qui a fait en presque deux années depuis son apparition plus de 5 millions de morts. C’est ainsi que cette pandémie a soulevé beaucoup de préoccupations au sujet de l’avenir de la mondialisation ; certains soutiennent que « la mondialisation est finie et que le protectionnisme de l’Etat-providence va revenir en force ».
La question qui préoccupe les défenseurs de la mondialisation aujourd’hui est de savoir comment surmonter les faiblesses et les défis dévoilés par la pandémie de la Covid-19, en vue de la rendre plus équitable, éthique et durable ? Ces faiblesses et ces défis sont d’ordre sanitaire, économique, social et géopolitique.
1- Les faiblesses et les défis sur le plan sanitaire
La mondialisation est jugée responsable de l’accélération des transmissions du virus de la Covid-19, en quelque semaines celui-ci s’est propagé dans presque tous les pays du monde. L’humanité n’a jamais vu une épidémie se propager aussi vite entrainant une frayeur et une angoisse des êtres humains dans un contexte de sidération totale des Etats à cause des faiblesses du système sanitaire mondial et celui d'un grand nombre de pays:
• Le premier facteur reconnu par tous est le manque de transparence de la Chine et la lenteur de réactivité de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), au début de l’apparition du virus. La Chine a exercé une pression pour retarder la publication du génome du virus découvert au début du mois de décembre 2019 dans l’un de ses laboratoires de recherche et l’OMS a mis près de 3 mois pour annoncer que la Covid – 19 peut être qualifiée de pandémie, depuis la déclaration officielle par Pékin de l’existence à Wuhan d’un premier groupe souffrant d’une pneumonie « mystérieuse ».
• La fragmentation des chaînes de valeur et la dépendance envers la Chine dans la production des produits sanitaires ont causé le manque des masques, du gel, des vêtements spécifiques et certains médicaments. A titre d’exemple, en 2020 la Chine a représenté 60% de la production mondiale de paracétamol, 90% de la pénicilline et 50% de l’ibuprofène.
• Alors que les scientifiques affirment que personne ne sera en sécurité tant que le monde entier ne sera pas vacciné, la compagne de vaccination anti Covid-19 est déséquilibrée entre les Etats. En effet à la date du 9 novembre 2021 seulement 51,1% de la population mondiale ont reçu au moins une dose de vaccination. Ce taux est de 4,2% pour les pays en développement à faible revenu.
La carte ci-dessous montre la situation à la date du 9 novembre 2021 du nombre de doses administrées par 100 personnes dans les pays du monde. On observe une nette inégalité entre pays riches et pays en développement à faible revenu :
• Les prévisions d’ici la fin de l’année 2021 montrent que l’inégalité vaccinale actuelle va se creuser entre les pays riches et les autres pays, avec l’impossibilité d’atteindre les objectifs en matière de vaccination fixés par le Fond Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale (BM). Sachant que ces derniers ont fixé comme objectif de faire vacciner 40% (avec au moins une dose) de la population mondiale d'ici la fin de cette année, et 70% d'ici le mois de juin 2022.
Sur la carte ci-dessous, les pays en rouge sont ceux qui ne pourront pas atteindre l’objectif de 40%, les pays en mauve sont ceux qui pourront atteindre cet objectif et ceux en vert sont les pays qui ont déjà atteint les 40%. C’est pour cela qu’on parle de fracture vaccinale.
Les conclusions partielles qu’on peut tirer à ce niveau c’est que la sortie de cette crise grâce à la vaccination pourrait malheureusement tarder jusqu’en 2023 pour les pays pauvres. La principale inquiétude est l’éventuelle apparition de variants plus agressifs (que le SARS-CoV-2) avant la généralisation de la vaccination : tant que le virus circule le risque d’une mutation en un variant résistant aux vaccins disponibles est toujours existant.
Les défis et les solutions les plus défendus pour remédier aux faiblesses du système sanitaire mondial sont comme suit :
• La nécessité de revoir la manière de coordonner les échanges internationaux des produits sanitaires. L’objectif est d’éviter dans l’avenir les problématiques de livraison comme ça s’est passé en 2020 avec certains médicaments, les masques, des vêtements de protection du personnel médical…etc. La solution la plus envisagée, et objet de plusieurs débats, est la relocalisation des sites de production dans les domaines stratégiques comme la santé et l’agroalimentaire.
• Le renforcement de l’OMS par la multiplication des centres de détection et de prévention de la propagation des épidémies, car « Prévenir couterait moins cher que guérir ». Dans ce contexte le dernier centre crée et celui de Berlin et a été inauguré le 1er septembre par le secrétaire général de l’OMS et l’ex-chancelière allemande.
• L’accélération de l’accès aux vaccins en assistant les pays en développement à faible revenu, en vue d’atteindre au moins les pourcentages fixés par le FMI et la BM. La solution la plus défendue est de lever les brevets sur la fabrication des vaccins contre la Covid-19. Cette idée est fortement soutenue par la plupart des opinions publics de la majorité des pays, et à l’échelle des Etats surtout par l’Inde et l’Afrique du sud avec l’appui du président américain Biden. Mais les grands laboratoires propriétaires des brevets restent toujours opposés.
2- Les faiblesses et les défis sur le plan économique
La pandémie Covid-19 a montré que l’économie mondiale est fragile et déséquilibrée. Les faiblesses sont essentiellement comme suit :
• Tout d’abord il y a l’immense vulnérabilité de l’activité économique mondiale aux mesures prises par les Etats pour cerner la crise sanitaire, les confinements et les fermetures des frontières sont les causes principales du ralentissement de la productivité et la pénurie de plusieurs matières premières comme les semi-conducteurs. En 2020, l’activité économique mondiale a chuté de 4,3%, avec des déséquilibres entre les Etats, et en 2021 la croissance mondiale est estimée par le FMI à 5,9%.
• La fracture vaccinale et les pénuries en matières premières entravent la relance économique ; les pays riches dont la compagne vaccinale est bien avancée vont revenir à leur niveau de croissance économique d’avant la pandémie en 2022, les autres pays mettront plusieurs années pour se remettre.
D’après la directrice du FMI (dans son discours à distance du 5 octobre 2021 au profit des étudiants de l’université Bocconi en Italie), les défis de l’économie mondiale consistent à remédier aux obstacles qui entravent la reprise :
• La grande fracture vaccinale.
• La divergence de la croissance économique entre pays riches et pays en développement à faible revenu.
• L’inflation, dont les taux ont partout augmenté mais certains pays sont plus touchés que d’autres. Le plus inquiétant est la montée des prix des produits alimentaire de 30% en 2021.
• La charge de la dette publique mondiale qui est estimée à 100% du PIB. Il existe une grande disparité entre les pays, certains sont plus touchés que d’autres.
3-Les faiblesses et les défis sur le plan social
Sur le plan social les faiblesses sont essentiellement :
• La vulnérabilité du secteur de l’emploi aux mesures prises pour cerner la pandémie a été la cause de la montée du chômage et de la pauvreté. D’après l’Organisation Internationale du Travail (OIT), en 2020 le monde aurait perdu 114 millions d’emplois, en 2021 les pertes sont estimées à 75 millions et en 2022 les pertes pourraient atteindre 23 millions.
• L’incapacité des pays pauvres à assurer leur rôle envers leur population en quête de protection contre les conséquences sociales de la crise ; chute des revenus, chômage, souffrance sanitaire, montée de la pauvreté…
• La solidarité entre les Etats a tardé à s’organiser et n’a commencé concrètement qu’avec la mise en place de la plate-forme COVAX. La solidarité est primordiale dans les circonstances épidémiques, malheureusement les Etats ont préféré faire cavalier seul en dressant les frontières et en appliquant des confinements.
Cependant au sein de chaque société la solidarité était au rendez-vous presque dans la plupart des pays. La meilleure illustration est la solidarité observée à l’égard du personnel médical partout dans le monde. Le corps médical était souvent appelé « l’Armée blanche » pour donner une dimension défensive à leur mission. Partout dans les pays du monde les gens se sont sentis en guerre contre un ennemi qui ne pardonne pas, le virus de la Covid-19.
Et n’oublions pas cette image un peu anecdotique ; on a vu des personnes confinées qui venaient tous les soirs sur leurs balcons pour dire aux autres voilà nous sommes là en applaudissant et en chantant, pour dire aussi courage, patience, la vie continue.
Les défis en face du monde pour éviter dans l’avenir les souffrances d’ordre social en cas de nouvelles pandémies sont essentiellement comme suit :
• Le monde doit percevoir les questions de la santé comme un droit universel, un "bien commun, mondial et humanitaire", « pour les pauvres comme pour les riches ».
• La consolidation des pays en développement à faible revenu dans leur rôle de protecteur du citoyen. La mondialisation n’est pas l’abandon par l’Etat de ses fonctions, ou de son devoir envers ses citoyens. La pandémie a engendré un retour inédit de l’Etat-providence, partout dans le monde. L’Etat est intervenu en faveur de sa population et même au profit des entreprises à l’instar de la prise en charge du chômage partiel (lors du confinement) et son intervention n’a été limitée que par ses capacités d’action.
4- Les faiblesses et les défis sur le plan géopolitique
Sur le plan géopolitique la pandémie a exacerbé les tensions entre les USA et la Chine. Donald Trump (qui a échoué dans sa gestion domestique de la crise sanitaire) a jeté la responsabilité de la pandémie sur la Chine en qualifiant le Coronavirus de « virus chinois », tout en accusant l’OMS d’être trop proche de Pékin et de mauvaise gestion de l’épidémie. Trump a accusé l’OMS de manque de réactivité en annulant le quotte part des USA dans son budget.
Cette tension géopolitique liée à la pandémie entre Washington et Pékin continue même avec le président Biden. Ce dernier a chargé les services spéciaux américains au mois de mais 2021 d’enquêter sur l’origine du virus, l’enquête qui a duré 3 mois n’a pas abouti à des conclusions concrètes.
En outre la pandémie a prouvé que le multilatéralisme est en crise. En effet l’Organisation des Nations Unies (ONU), percluse de divisions, s’est trouvée incapable de voter une résolution sur la gestion de la crise.
Les défis de la mondialisation sur le plan géopolitique sont essentiellement :
• La nécessitée repenser le multilatéralisme en vue de le renforcer.
• La nécessité de dépolitiser les réponses aux épidémies, en adoptant au niveau du commerce international une dimension éthique particulièrement dans le secteur des échanges des produits sanitaires et des produits alimentaires.
Pour conclure je dirais que l’organisation de la mondialisation dans l’avenir se fera beaucoup dans les réponses que l’on apportera aux faiblesses et aux défis mis à nu par la crise de la Covid-19, parce que c’est un moment qui appelle des actions fortes et qui auront des conséquences équilibrées, éthiques et durables.
Une approche globale est indispensable pour trouver les bonnes solutions aux problèmes qui caractérisent le système mondial et menacent l’équilibre écologique et environnemental de la planète.
Taoufik Ayadi
Capitaine de vaisseau major (r)
Consultant et formateur indépendant en géopolitique et stratégie