Le droit de la responsabilité civile des professionnels, le grand absent
Par Dr. Mahmoud Anis Bettaieb - Le droit de la responsabilité civile désigne la branche du droit qui régit la réparation du préjudice causé à un tiers. Il a pour fonction la réparation du dommage causé à autrui.
En droit tunisien c’est le code des obligations et des contrats qui régit la matière. Plusieurs articles traitent de la responsabilité et notamment l’article 82 qui concerne les dommages causés volontairement à autrui, l’article 85 qui concerne les employés publics, l’article 86 qui concerne les employés de l’autorité judiciaire, les articles 93 et 93 bis qui concernent la responsabilité du fait d’autrui…
Mais c’est l’article 83 du code qui est le texte central. En effet il prévoit que « chacun est responsable du dommage moral ou matériel qu’il a causé, non seulement par son fait, mais par sa faute, lorsqu’il est établi que cette faute en est la cause directe … ».
Dans le jargon juridique on qualifie le code des obligations et des contrats comme étant le droit commun de la responsabilité, c’est-à-dire le texte qui est applicable en l’absence d’autres textes spécifiques. Et justement plusieurs textes dérogatoires traitent de la responsabilité civile de certains professionnels par exemple. C’est le cas notamment des constructeurs qui ont un régime de responsabilité qui leur est propre.
D’autres lois relatives à certaines professions traitent accessoirement de la responsabilité civile sans pour autant lui consacrer un régime spécifique. C’est le cas des médecins , des médecins dentistes , des architectes, des notaires, des avocats, des experts judiciaires, des constructeurs, des banquiers…
Certaines de ces lois se contentent d’un simple renvoi au droit commun. C’est par exemple le cas de la loi régissant l’activité d’avocat qui se contente de rappeler un principe général sans aucune précision ni dérogation.
L’action en responsabilité civile se révèle être une action très peu utilisée (I) alors qu’il s’agit d’une action à encourager (II).
I. L’action en responsabilité civile professionnel: Une action très peu utilisé
En l’absence de statistiques et de données officielles, il n’est pas facile de connaitre la réalité du nombre d’actions en responsabilité civile des professionnels introduites devant les différents tribunaux.
Il est par contre évident que le nombre de cas est très en deçà des « fautes » commises et des actions qui devraient être intentées.
Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d’abord un manque de connaissances du droit, mais aussi une difficulté et une cherté de la preuve combiné à de longs délais de procédure.
1. Un manque de connaissance de la loi
Souvent le profane croit que le seul recours contre un professionnel est son ordre professionnel, voire au pire, le recours au pénal, or l’action sur la base de la responsabilité civile pour faute est complètement indépendante de ses deux actions et aucune ne fait obstacle à un recours sur la base de l’article 83 du code des obligations et des contrats si le professionnel a commis une faute.
2. Une difficulté de preuve
La grande difficulté en matière de responsabilité des professionnels est celle de la preuve. Si la preuve du dommage est facile à établir, celle de la faute du professionnel l’est beaucoup moins. Et ici c’est souvent le corporatisme qui empêche d’établir la preuve aux manquements.
Prenons par exemple une faute médicale, celle-ci ne peut être prouvée que par les professionnels de la médecine, c'est-à-dire les confrères de la personne poursuivie. Et c’est le cas de quasiment toutes les professions qui souvent croient bien agir en empêchant un confrère d’être condamné, mais qui en réalité ne fait que porter atteinte à l’image de la profession dans son intégralité.
3. Le coût de la preuve
La question du coût de la preuve mérite aussi d’être posée. Le recours aux experts judiciaires pour prouver la responsabilité civile d’un professionnel à un coût, et ce cout est souvent très élevé pour le justiciable qui doit avancer les honoraires des experts désignés à sa demande par le tribunal.
Même le couût des éventuels PV de constat ou de mise en demeure est devenu très élevé.
Cette difficulté financière, reboute les justiciables et a pour conséquence qu’ils renoncent à toute action pour faire valoir leur droit. L’accès au droit est donc fortement atteint.
Plusieurs pistes peuvent être envisagées pour y remédier comme l’assurance juridique qui prendrait en charge ses frais ou encore la révision de la loi sur l’aide judiciaire.
4. Les délais de procédure
Attendre des années avant de voir un jugement de condamnation au paiement à une indemnité n’encourage nullement à saisir la justice.
Les délais actuels et le fonctionnement de la justice n’encouragent pas à sa saisine et par conséquent créent un « vide judiciaire ». Un phénomène plus sociologique que juridique qui consiste dans la renonciation des gens à leur droit à se faire indemniser et donc à obtenir justice.
La réforme du fonctionnement de la justice est à notre avis la seule solution.
II. L’action en responsabilité civile professionnel: Une action à encourager
L’action en responsabilité civile n’a pas pour objectif de punir mais d’indemniser les victimes. Il s’agit d’une action civile qui peut avoir plusieurs effets dont le premier est peut-être d’anesthésier et de calmer la douleur des personnes ayant subi un préjudice. Cette action a aussi des effets moins directs qui sont le relèvement de la confiance dans la justice et l’amélioration du niveau des professionnels par différentes voies (la formation, la mise à niveau, …)
Plusieurs pistes peuvent êtres envisagés pour relancer le droit de la responsabilité. On peut par exemple penser à étendre l’obligation d’avoir une assurance. On peut aussi envisager de revoir le système d’aide judiciaire qui est souvent un frein à l’accès à la justice dans son ensemble.
1. Prévoir une obligation légale d’assurance responsabilité civile
L’une des pistes à encourager est celle qui consiste à obliger les professionnels à souscrire à un contrat d’assurance responsabilité civile. Cette souscription pourrait prendre la forme d’un contrat d’assurance collectif englobant les membres d’un ordre professionnel et qui serait gérées par l’ordre lui-même par le prélèvement des primes d’assurance directement auprès de ses membres. Cette assurance pourrait aussi devenir obligatoire par l’instauration d’une assurance individuelle pour chaque membre. L’ordre se contentant de contrôler annuellement le respect de la satisfaction de cette obligation. C’est notamment ce qui est prévu dans la loi relatif aux huissiers de justice .
2. revoir le système d’aide judiciaire
Afin de permettre aux justiciables de se défendre et de faire valoir ses droits il faudrait revoir de fond en comble la loi sur l’aide judiciaire qui est très compliqué et laisse beaucoup de personnes à la marge. Elle ne s’applique en effet qu’aux personnes sans ressources ou avec des ressources fort limitées , or les actions en général et les actions en responsabilité en particulier ont un coût élevé étant donné qu’ils mettent en cause des professionnels et des assureurs capables de se défendre et d’avoir des arguments techniques.
Conclusion
L’une des pistes possibles pour remettre le pays sur les rails est celle de la justice. Réformer et reconstruire le système judiciaire tunisien avec tous ses intervenants, ne peut qu’influer sur l’économie dans son ensemble.
Le nivellement par le haut de nos professionnels ainsi que leur mise à niveau ne peut que bénéficier à la population dans son ensemble.
Les conseils de disciplines des différentes professions (privées et publiques), en essayant souvent de protéger leurs adhérents, leur ont peut être rendu un service personnel, mais les méfaits dans la société et dans le pays dans son ensemble sont ravageurs. Il n’ ya qu’à observer le degré d’incompréhension et de tension entre les gens et les différents professionnels.
La faute est certes humaine, mais ne pas agir est aussi fautif come le dit l’adage « Qui ne prévoit pas est en faute »
Mahmoud Anis Bettaieb