Amira Haas: J’avoue que je finance le terrorisme
[Le vendredi 22 octobre 2021, le ministre de la Défense sioniste Benny Ganz a qualifié, dans une déclaration fort étonnante, six importantes organisations palestiniennes de défense des droits humains, « d’organisations terroristes ». Cette sortie a provoqué une onde de choc dans toute la société civile palestinienne et a sonné l’alarme dans la communauté internationale jusques et y compris aux Etats Unis ; la France se singularisant, quant à elle, par un mutisme honteux.
La décision de Ganz se prétend fondée sur de soi-disant « preuves secrètes », impossibles à vérifier. L’opposition à cette décision extrêmement dangereuse a été remarquable en Palestine. La Maison Blanche a demandé « les preuves » aux Israéliens.
Les organisations ainsi qualifiées sont: le Centre Bisan pour la Recherche et le Développement, Addameer, Al-Haq, Défense des Enfants International-Palestine, l’Union des Comités du Travail Agricole et l’Union des Comités de Femmes Palestiniennes. Elles sont toutes honorablement connues tant en Palestine qu’à l’étranger].
J'annonce et j'avoue ici que je finance le terrorisme.
Une partie de l'argent des impôts que je verse au gouvernement israélien est transférée à ses activités terroristes et à celles de ses représentants, les colons, contre le peuple palestinien.
Si l'on entend par "terrorisme" le fait d'imposer la terreur et la crainte, alors que font les commandants de l'armée et du service de sécurité [intérieure] Shin Bet lorsqu'ils envoient des soldats masqués opérer des descentes dans les maisons des Palestiniens nuit après nuit ? Accompagnés de chiens et le fusil en joue, les soldats réveillent les familles de leur sommeil, renversent le contenu des placards, confisquent les biens et frappent les adultes devant les enfants.
Que font les inspecteurs de l'administration civile [c’est l’armée israélienne dans les territoires occupés] lorsqu'ils se promènent parmi les communautés de bergers palestiniens, et vérifient si l'on n'a pas ajouté une tente ou un toboggan pour enfants qu'il faudrait démolir ? Que font les caméras de surveillance placées à chaque checkpoint à la sortie d'une ville palestinienne, si ce n'est intimider et régenter ?
Et que font les hommes et les femmes de la police des frontières à Jérusalem, en arrêtant quiconque leur semble être un Arabe, et les soldats et les policiers qui donnent un coup de pied par-ci, une gifle par-là, à quiconque ose discuter avec eux, ou cueillir des olives - quel est leur travail si ce n'est d'inspirer la peur ?
Et les bandes de colons masqués, torses nus, franges sacrées [tsitsit, phylactères…], armes "non létales" et armes à feu à la main - comment appellerons-nous leurs orgies d'attaques contre les gens et les arbres, sinon par la terreur ? Des fractions des impôts que je paie leur parviennent sans aucun doute : cet argent finit peut-être par aller aux conseils de colonisation qui accueillent ces voyous, peut-être à leurs fonctionnaires et aux fonctionnaires du ministère de la Défense qui ont planifié et mis en œuvre ensemble le modèle réussi des avant-postes de bergers.
Dans toute la Cisjordanie, ces avant-postes fonctionnent selon le même schéma : une famille de colons vétérans s'empare d'une parcelle de terre palestinienne, reçoit un troupeau de moutons ou de chèvres et de bovins, puis, à l'aide de fusils, de pierres, de chiens, de jeunes bergers et même de drones, menace les Palestiniens et empêche leurs troupeaux d'atteindre leurs zones de pâturage.
Le concept de "terreur" a depuis longtemps dépassé les limites de la simple intimidation et comprend également des actes de destruction et de meurtre. Mes impôts, et ceux de tous les citoyens et résidents israéliens, les financent.
Une partie de mes impôts finance le bombardement de structures résidentielles et le meurtre de leurs habitants palestiniens, y compris de jeunes enfants et des femmes. Mes impôts financent les balles qui tuent et blessent les manifestants dans le village de Beita en Cisjordanie et à Gaza. Nos impôts subventionnent les colonies et couvrent le coût de la démolition des maisons palestiniennes par l'administration civile et la municipalité de Jérusalem. Sous le camouflage d'un pays respectueux des lois et grâce à notre financement, Israël a perpétré tous ces actes de terreur et bien d'autres. Jour après jour. Heure par heure.
Ceux qui contrôlent les centres de pouvoir ont toujours essayé et essaient encore de s'arroger le monopole de la langue, afin de perpétuer leur suprématie. Le patriarcat a dérivé le terme médical "hystérie" de la racine grecque de l'utérus, afin de cimenter le statut inférieur des femmes. Les Anglais ont fait en sorte que le terme "Irlandais" soit synonyme de stupide, puis de paresseux et d'ivrogne, afin de justifier leur colonisation de l'Irlande.
"Stupide", "noir" et "terroriste" étaient également des synonymes chez les Blancs en Afrique du Sud, mots employés pour justifier l'exploitation, la ségrégation raciale et l'oppression terroriste. Et c'est ainsi que l'occupant israélien décide de ce qu'est la terreur, et y inclut six autres ONG palestiniennes.
La raison de leur persécution est très claire : ces organisations de la société civile ont enregistré plusieurs succès impressionnants dans leur opposition à la cruelle occupation israélienne. Ce sont elles qui ont agi et agissent pour poursuivre les Israéliens responsables de crimes de guerre et de crimes d'apartheid devant la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye, et qui ont exhorté l'Autorité palestinienne à emprunter cette voie. Ce sont elles qui dénoncent le système israélien de détention massive [-sans jugement-] y compris de mineurs, et le scandale que constituent nos tribunaux militaires.
Ce sont ces ONG qui soutiennent les agriculteurs palestiniens contre le harcèlement de l'administration civile et des colons. Ce sont elles qui nourrissent les valeurs de gauche et les valeurs féministes, ce sont elles qui critiquent aussi les autorités palestiniennes.
Elles (et pas seulement elles) sont en lutte constante contre la terreur de l'occupation israélienne. Et l'occupation, à travers la persécution de ces ONG, aspire à terroriser les autres Palestiniens et à les dissuader d'opposer une quelconque résistance.
Haaretz, 27 octobre 2021
Traduction de l’anglais et présentation : Mohamed Larbi Bouguerra
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