News - 01.11.2021

Climat : L’humanité est au pied du mur

Climat : l’humanité est au pied du mur

Par Mohamed Larbi Bouguerra - Ce dimanche 31 octobre 2021 s’ouvre à Glasgow, en Ecosse, pour 12 jours, la COP 26, six ans après l’Accord de Paris sur le climat de 2015. Cette réunion de suivi accuse un an de retard par rapport aux décisions prises à Paris du fait de la pandémie.

L’alerte a été donnée depuis longtemps par les scientifiques et par la réalité du changement climatique au quotidien – du fait de la combustion du pétrole, du charbon et du gaz- avec le drame des inondations et leurs 200 morts en Allemagne – pays le plus riche d’Europe, ainsi qu’en en Belgique et en Italie. Il y a aussi la montée de la mer au Bangladesh, à la Barbade et ailleurs comme sur nos côtes en Tunisie ou à Alexandrie en Egypte. La montée du niveau des océans est le point de bascule qui est à surveiller avec la plus extrême des attentions. C’est un point de bascule en effet qui arrive subrepticement et lorsqu’il est là, c’est déjà trop tard. New York aujourd’hui a les moyens de s’y préparer mais les villes du Bangladesh ou Alexandrie n’en ont pas ! Autre point de bascule, la fonte des glaces, « système sans retour » (L’Humanité, 29-31 octobre 2021) Comme le réchauffement des océans, nous voilà devant des phénomènes irréversibles !

Il est clair que le temps est compté pour éviter le pire. Pour le Secrétaire Général de l’ONU, la réunion écossaise est « un rendez-vous crucial » mais il faudrait que l’on arrête de « blabater » comme le dit la jeune Greta Thunberg car « notre maison brûle » comme on l’a vu en Californie, l’Etat le plus riche des Etats Unis d’Amérique. Mais les pays pollueurs se surveillent les uns les autres pour réduire leurs émissions, tout en se disputant des avantages et en luttant contre les répercussions pouvant atteindre leurs propres économies (The New York Times, 30 octobre 2021)

La COP 26 saura-t-elle relever tous ces défis lors de ce sommet de 12 jours ? Saura-t-elle négocier la transition vers les énergies durables et nous sevrer des énergies fossiles en usage depuis 150 ans ?

That the question !

D’autant plus que cette problématique est globale et ne tient compte d’aucune frontière politique alors qu’un nationalisme naissant assombrit l’horizon. La solution ne peut venir que d’un effort commun, un effort consenti par tout le monde.
Le résultat de la COP 26 déterminera, en effet, dans une large mesure, la façon dont l'humanité survivra sur une planète plus chaude. Il décidera de l’habitabilité de la Terre. « Alors que les présidents et les premiers ministres arrivent à Glasgow cette semaine pour un sommet crucial sur le climat, les résultats détermineront, dans une large mesure, comment les sept milliards de personnes dans le monde survivront sur une planète plus chaude et si des niveaux de réchauffement bien pires peuvent être évités pour les générations futures. » écrit Somini Sengupta (The New York Times, 30 octobre 2021).

L’échec de la COP 26 serait, selon M. Antonio Guterres, Secrétaire Général de ONU, « un aller simple vers le désastre. »

A quoi faut-il s’attendre de la Cop 26 ?

Entendons-nous bien. C’est quoi la COP ?

La COP- conférence des parties pour le climat- réunit les signataires de la Convention-cadre de l’ONU pour le changement climatique, l’une des trois conventions adoptées au Sommet de la Terre à Rio de Janeiro (Brésil) en 1992. Celle-ci a été ratifiée par 196 Etats et l’Union Européenne et veut prévenir « les activités humaines dangereuses pour le système climatique. »

Aujourd’hui, la situation est de plus en plus compliquée et difficile. Elle pourrait devenir irréversible du fait de l’accumulation du CO2 dans l’atmosphère. Ce gaz peut garder son pouvoir calorifique un siècle durant. Pour ne rien dire des autres GES (gaz à effet de serre) tel le méthane provenant de l’élevage des bovins,  de la production du pétrole et du gaz de schiste ou des ordures ménagères anarchiques comme dans le cas de Sfax à l’heure actuelle. 

En fait, les choses empirent car la production du gaz carbonique ne connaît aucun ralentissement. Dans les années 1960, on émettait 10 milliards de tonnes/an de cet anhydride. Aujourd’hui, nous ne sommes pas loin d’en produire quatre fois plus !

En fait, les Etats Unis, l’Europe et la Chine contribuent actuellement, pour près de 50% aux émissions de CO2.  Les pays du G20 qui viennent de se réunir à Rome sont responsables de 80% de ces émissions. Ces pays arriveront-ils à mettre des restrictions nettes et claires sur l’exploitation et la production de pétrole, de la houille et du gaz ? Pour l’heure, l’Arabie Saoudite vient d’annoncer les bénéfices records de l’ARAMCO et une production quotidienne de 27 millions de barils/jour en 2027. L’annonce de la neutralité carbone au milieu du siècle s’apparente à un de ces mirages familiers du Roba al Khali des vastes déserts de l’Arabie !

Il faut surtout espérer que la réunion de Glasgow prenne le dernier rapport du GIEC comme une alerte majeure par rapport à ce qui a été produit dans le passé et qu’elle prenne des décisions nouvelles. Elle faut espérer que les politiques entendent enfin les scientifiques.


Il faut espérer aussi que Glasgow maintienne en vie l’objectif de 1,5°C (augmentation de la température globale depuis l’ère préindustrielle). Ce qui signifie que les pays émetteurs, les plus pollueurs doivent de toute urgence rehausser leur ambition climatique de réduction des GES et augmenter l’appui financier aux pays du Sud. Mais ne nous berçons pas d’illusions : la science affirme que si on atteint ce chiffre, la probabilité de catastrophes climatiques bien pires augmenterait de manière significative avec son lot de maladies, de conflits et de disettes. Pour ne dire de la santé mentale et de l’éco-anxiété ! Atteindre 1,5°C semble hors de portée cependant : si tous les pays réalisent les buts qu’ils se sont assignés en 2015, les températures globales moyennes sont en passe d’atteindre 2,7°C d’ici la fin de ce siècle.

Une petite lumière : il faut néanmoins relever que l’augmentation de la température globale s’est ralentie depuis la signature de l’Accord de Paris en 2015. Pour certains, la diplomatie climatique est donc efficace. Mais, de leur côté, les lobbys du charbon, du pétrole et du gaz sont toujours à l’œuvre et défendent leurs intérêts quoi qu’il en coûte pour les autres.

En réalité, à la COP 26, 68 pays n’ont toujours pas soumis leurs plans de réduction des émissions – parmi lesquels la Chine et l’Inde- excusez du peu ! Les pays qui ont soumis leurs plans comme la Russie, l’Indonésie, le Brésil, l’Australie, le Mexique publient des chiffres qui sont bien insuffisants voire inférieurs à ce qui avait été promis à Paris à la COP 21.

Or, les données scientifiques du GIEC sont sans appel : les émissions de gaz carbonique, de méthane et d’autres GES responsables du réchauffement planétaire doivent être réduites de 50% d’ici 2030, soit en moins d’une décennie. Mais, en réalité, elles sont en train de continuer à augmenter. La Chine, « l’usine du monde », est aujourd’hui le premier des pollueurs avec une utilisation forcenée du charbon. L’Empire du Milieu  affirme qu’en 2030, il aura rempli ses engagements. L’Organisation Mondiale de la Météorologie a averti la semaine dernière que la concentration des GES a atteint, en 2020, un niveau record dans l’atmosphère terrestre, en dépit de la pandémie de Covid-19 et que  cette croissance persistera  en 2021.

La dette climatique

Demeure un grand problème : celui de la dette climatique. Les pays peu développés ou en développement ne sont pas- ou très peu- responsables des émissions de GES mais se sont eux qui font face et subissent aujourd’hui les effets les plus dommageables. Et ils sont légion : des Maldives à la Gambie et de l’île Maurice aux Etats de la Micronésie dans le Pacifique et des Caraïbes. Il avait été convenu à Paris en 2015 et, auparavant, en 2009, que les principaux responsables des émissions, les pays industrialisés, mobilisent, au plus tard en 2020, 100 milliards de dollars par an pour les pays du Sud. D’après l’OCDE, en 2019, manquaient à l’appel, 20 milliards de dollars. « On ne voit pas l’argent sur le terrain » affirme le négociateur africain, le Gabonais Tanguy Gahouma-Bekalé. Comment, dans ces conditions, les pays du Sud pourraient-ils mener à bien leur transition énergétique ? Par ailleurs, le quart seulement de cette somme est marqué servir à l’adaptation aux conditions climatiques nouvelles. Or, indépendamment de la réduction des GES, la priorité des pays du Sud est de s’adapter, de réduire et d’atténuer les effets du réchauffement global : inondations, incendies et feux de forêt, inondations, avancée de la mer, sécheresse, salinité de l’eau, perte de la richesse halieutique du fait de l’acidité et de la température des eaux marines….

Les scientifiques du GIEC disent qu’il faut absolument décarboner l’économie dans le monde faute de quoi la température moyenne du globe pourrait atteindre +5°C d’ici la fin du siècle. Une catastrophe majeure pour l’Humanité et tout le Vivant ! Or, « en matière de réchauffement, chaque année et chaque fraction de degré comptent » (Audrey Garric, Le Monde, 31 octobre-2 novembre 2021, p. 2)

Un des enjeux fondamentaux de la COP 26 est de mettre fin à la dépendance aux énergies fossiles et d’adopter à grands pas les énergies renouvelables (éolien, biomasse, solaire, géothermie….). Certains pays comme le Danemark et le Costa Rica ont invité les autres puissances à rejoindre une coalition pour mettre le holà à leur production d’énergies fossiles.

Bien entendu, réduire les émissions de GES et mettre un terme aux énergies fossiles revient à agir sur le littoral, les transports, l’agriculture…Il y a donc une adaptation à réaliser lorsqu’on réduit l’utilisation des fossiles et que l’on vise la neutralité zéro carbone à l’échelle globale.

Et la Tunisie ?

Pour notre pays, il faudrait dire adieu aux voitures thermiques (essence et diésel) et mettre l’accent sur le rail et les transports en commun électriques.
« Il s’agit de réduire notre intensité carbone à hauteur de 45% d’ici à 2030, comparée à son niveau de référence en 2010 » dit-on officiellement. Il faudrait être plus audacieux.

Il faudrait améliorer l’isolation thermique de nos constructions et protéger nos côtes qui s’effritent dangereusement de Bizerte à El Haouaria et plus au sud.

Il faut s’attaquer sérieusement à la question de l’eau (potable, irrigation, traitement et évacuation des eaux usées…) et affronter scientifiquement la problématique sécheresse. Les experts conseillent : "Le rétablissement des cycles d'humidité atmosphérique et terrestre sur la végétation, sur les sols et dans l'atmosphère est de la plus haute importance pour refroidir la planète et sécuriser les régimes de précipitation dans le monde. L'assèchement des milieux naturels est le prix de l'échec. L'arrêt de la déforestation, l'augmentation de la reforestation et la mise en œuvre de pratiques agroforestières sont obligatoires si nous voulons réussir à éviter une catastrophe climatique."

Une grande conférence nationale devrait voir le jour et discuter de toutes ces problématiques qui commandent notre vie et celle des générations à venir…à l’heure où l’on évoque si souvent la jeunesse. L’inaction est la catastrophe climatique assurée.

C’est aussi important que les problèmes relatifs à la Constitution et au mode de gouvernement. Il s’agit de l’habitabilité de notre pays.

Nous sommes au pied du mur à la COP 26. Il s’agit de réaliser qu’il est minuit moins une !

Mohamed Larbi Bouguerra