L’édito de Taoufik Habaieb: Tant que c’est encore jouable!
L’économique et le financier s’imposent en priorité absolue. De toute urgence. Alors que la classe politique, décriée, s’échine à décrypter les contours des réformes institutionnelles que le Président concocte silencieusement une stratégie pour le pays, les argentiers de l’État sont aux abois, tant les caisses sont vides. Les chefs d’entreprise, et surtout les petits métiers, commencent à perdre pied. Les ménages voient fondre leur pouvoir d’achat déjà érodé.
Kaïs Saïed doit s’en convaincre : le salut est dans le renflouement des finances publiques. Le spectre des licenciements massifs, des faillites, d’un retard dans le paiement des salaires et le règlement des marchés publics hante les Tunisiens. Le cortège qui s’ensuit, en débrayages sociaux et blocages des services essentiels, ajoute à l’angoisse la perte de tout espoir, de toute confiance.
Le risque social se fait menaçant. La stabilité et l’ordre public du pays sont bien maintenus. Sans que le pays soit à l’abri de troubles sociaux pouvant l’embraser à la moindre étincelle. La flambée des prix, la montée du chômage et l’érosion des revenus en seront le catalyseur. La perspective des sacrifices à consentir du fait des réformes nécessaires et urgentes ne fait que compliquer la situation.
Nous devons tous nous rendre à l’évidence : on ne peut plus différer les réformes. Quel que soit le prix à payer, la Tunisie doit s’y engager résolument en ultime recours. Les indicateurs économiques et financiers traçant une descente aux enfers sont têtus: impossibles à démentir.
Inverser la tendance et redresser les courbes ne se feront pas par magie. Chaque point d’indice est à gagner au prix de réformes à entreprendre. Chaque réforme doit être alors paramétrée en fonction de son rendement. Les données sont claires. La Tunisie ne peut persister dans son errance, en prenant tous les risques. Nous sommes bien entrés dans le dur, mais une étroite fenêtre reste encore ouverte (Lire l’analyse d’Elyès Jouini).
Toute l’habilité sera celle du gouvernement. Il lui appartient de montrer sa capacité à finaliser avec doigté et intelligence la matrice réformes/financements et l’insérer dans une stratégie réaliste et réalisable, crédible et acceptable. Cette démarche, il ne doit pas l’accomplir tout seul. L’implication de l’Ugtt et de l’Utica principalement et d’autres composantes de la société civile est essentielle, avant de partager la stratégie avec les Tunisiens. Sans l’endossement des partenaires sociaux et l’opinion publique, point de crédit ne sera accordé par les bailleurs de fonds, le FMI en tête, aux demandes tunisiennes de financement.
L’Ugtt a un rôle historique à jouer : changer de statut, sans perdre son âme. De la revendication, passer à l’implication totale. De la surenchère de ses troupes, à leur ralliement au projet national, quitte à différer les demandes et à accepter une trêve sociale.
L’Utica a une grande bataille à mener. Elle doit contribuer à la lutte contre l’évasion fiscale et la sous-déclaration, à la réduction du régime fiscal forfaitaire et à l’inclusion de l’informel.
Le gouvernement est attendu sur des fronts essentiels. Il demeure comptable de la maîtrise de l’inflation, du gel des prix des produits essentiels, de la traque des circuits informels et de la contrebande et de la relance de l’investissement.
Mais, c’est au président Kaïs Saïed de mettre tout son poids. A trois niveaux. Fort de son plébiscite populaire et de l’autorité de son magistère, il est en mesure de réunir les partenaires sociaux autour des choix ultimes, sans lignes rouges, ni tabou et s’assurer de leur appui, sans réserve. La stratégie bouclée, il est le mieux placé pour la présenter aux Tunisiens, la leur expliquer et solliciter leur adhésion aux solutions douloureuses inévitables. Il ne lui restera plus alors qu’à s’adresser solennellement aux institutions financières et aux amis de la Tunisie, tenant en main le dossier solide d’un projet bancable.
C’est à ce dernier espoir que les Tunisiens peuvent s’accrocher.
Taoufik Habaieb
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