Et si la Tunisie n’arrivait pas à payer ses créanciers ?
Par Hassen Kallel - Depuis 2011, Moody’s a dégradé notre note souveraine (capacité de la Tunisie à remplir ses obligations vis-à-vis de ses créanciers) à 10 reprises passant de Baa3 (Le risque de défaut est présent) à Caa1 (défaut de paiement est imminent/inévitable) marquant la descente rapide vers une faillite non annoncée. Depuis 2011, les gouvernements successifs ont tout fait pour exacerber la situation.
Faut-il s’inquiéter de la dégradation de cette notation par Moody’s ? Oui certainement et Non à conditions.
Une dette insoutenable
Incontestablement, l’économie tunisienne est malade et elle est en perfusion continue, soutenue par par les bailleurs internationaux. Selon la banque mondiale (communiqué d’Octobre) la dette publique s’élève à 41 Mds de dollars soit l’équivalent du chiffre d’affaires d’Orange ou le bénéfice de Samsung Electronics. En soi, ce n’est pas une somme énorme, mais çela représente tout de même plus de 100% du PIB de 2020 (40% en 2010). Le plus alarmant, c’est que la moitié de la dette est en monnaie étrangère avec une majorité en euros (Dépendance forte vis-à-vis de l’Europe, premier partenaire économique) et 37% de la dette extérieure est émise sur les marchés financiers.
Sans entrer dans un long débat sur le degré de crédibilité des agences et leur responsabilité dans le fonctionnement de la finance mondiale, la dette de la Tunisie risque malheureusement de devenir insoutenable à l’état actuel et ce, principalement, pour 3 raisons : D’abord, le ratio service de la dette est en augmentation exponentiel depuis 10 ans : l’Etat emprunte pour acheter en devises les produits importés, combler le déficit (rembourser une partie du capital et les intérêts) sans produire de richesses, enfonçant la spirale infernale de l’endettement. Ensuite, la croissance moyenne très molle sur les 10 dernières années qui a frôlé le néant (0,6%) ne permettant pas de générer suffisamment de devises pour couvrir nos besoins. En somme, nous vivons au-dessus de nos moyens. De plus, aucune perspective de réformes profondes ni de stabilité politique en vue permettant de modifier le modèle économique et par ricochet d’envoyer un signal fort de crédibilité aux bailleurs de fonds et aux investisseurs.
Le défaut de paiement nous conduira inévitablement vers le club de Paris qui est un organe informel composé de membres de pays riches se réunissant mensuellement pour négocier/restructurer les dettes publiques des pays débiteurs incapables de rembourser leur dette sans un nouvel accord de rééchelonnement. En l'absence d’un cadre juridique, la Tunisie n’est pas dans l’obligation de respecter cette détestable, mais notre réputation de mauvais payeur sera préjudiciable pour le pays. Et surtout, nous serons dans l’incapacité d’emprunter auprès des marchés financiers quand bien même pour acheter de la matière première. Rassurez-vous, on n’en est pas encore là, mais ce scénario nous guette !
Quels scénarios pour sortir de ce marasme ?
Les pistes à court terme :
D’abord, il faut entamer un audit approfondi de la dette (inexistant jusqu’au nos jours). Une task force réunissant les meilleurs experts du domaine permettra d’apporter de la pertinence à chaque emprunt. Cette étape est capitale pour le gouvernent s’il veut entrer en pourparlers avec les créanciers bilatéraux dans l’optique d’effacer une partie de la dette à maturité courte sans passer par le club de Paris. La Grèce l’a fait en 2008.
Ensuite, l’échéancier de remboursements qui pointe son nez dans les prochaines années sera difficile à respecter et on sera obligé de ratisser large pour renflouer les caisses de l’Etat : Chercher de l’argent frais avec des taux bas au près des pays arabes (Algérie, UAE, SAU, Oman, Kuwait) et nouer en parallèle des discussions avancées avec les puissances asiatiques (chine, Japon, Corée par exemple) est plus que primordial. L’aide de nos alliés traditionnels (Europe, USA) a été en deçà des enjeux en plein euphorie démocratique et ce n’est pas aujourd’hui que la donne changera.
Dans la foulée, il faut arrêter les importations non nécessaires (estimés à 5 Mds de dinars selon quelques experts) pendant au moins 5 ans, quitte à entraver des accords douaniers bilatéraux. Les produits courants de consommations fabriqués en Tunisie ne doivent pas être importés. Point.
Les pistes de moyen terme
En Tunisie nous avons 3 instruments pourvoyeurs de devises sur lesquelles nous pouvons se pencher : les IDE (investissements directs étrangers), les exportations et les transferts d’argents de la diaspora.
• IDE: Préparer un nouveau projet de lois « choc » d’investissements dont un chapitre est taillé sur mesure pour les entreprises, de big tech comme les « GAFA » ou les big pharma, imposables à 5% par exemple (faire du dumping fiscal comme l’Irlande ou le Luxembourg est de notre droit) demeure une piste sérieuse à creuser. Outre la création de l’emploi, ces entreprises peuvent apporter massivement de la devise si nous leurs préparons le terrain.
• Diaspora: Avec plus d’un million de tunisiens vivant hors du pays, l’Etat doit mettre en œuvre une politique nationale visant cette communauté. Elle pourrait concocter des emprunts obligataires à long terme avec une palette large de montants/échéances ou sur des projet spécifiques (Israël y recourt chaque année, l’inde à plusieurs reprise) et assouplir la réglementation pour inciter les TRE (Tunisiens Résidents à l’étranger) à investir dans les projets stratégiques de l’Etat.
• Exportation: Il est essentiel de faire baisser le taux directeur pour faciliter l’accès aux crédits surtout pour les entreprises exportatrices. La baisse des taux, créera mécaniquement de la monnaie, élargi l’assiette des entreprises qui pourront accéder aux crédits et stimulera la concurrence et la croissance.
Les pistes à longue terme
En économie, la dette est essentielle quand elle prépare l’avenir. Nous devons se pencher sur un nouveau pacte économique inclusif fondé sur le savoir et la haute valeur ajoutée. Nous pouvons nous inspirer des expériences des pays asiatiques par exemple. Je me suis amusé à décortiquer quelques données de la Corée du sud présentée comme exemple de comparaison pour la Tunisie quelques années après l’indépendance.
En 1965, année de référence, le PIB était de 33 Mds de dollars (5 Mds pour la Tunisie) pour une population de 28 Millions (4,5 Millions pour la Tunisie). Ramené au nombre d’habitants, les 2 PIB étaient donc quasi identiques.
En 2020 le PIB en dollars constant (tenant en compte l’inflation) de la Corée du Sud était de 1470 Mds (47 Mds pour la Tunisie) pour une population de 52 Millions (12 Millions pour la Tunisie). En 55 ans le PIB de la Tunisie a cru de 1000% celui de la Corée de 4450%. Réduit par rapport au nombre d’habitants, le PIB de la Tunisie aurait pu être en 2020 autour de 340 Mds si nous avons suivi la courbe de croissance de la Corée (soit l’équivalent de celui de Portugal ou de Norvège par exemple).
Certes les aléas économiques et les environnements socio-politiques des deux pays sont différents, mais cette comparaison nous donne une base de comparaison cruciale pour la stratégie de développements que nous projetons pour le futur.
Hassen Kallel
Ingénieur – France