Tunisie: Des médias à contenu informatif calamiteux
Par Habib Touhami - A comparer avec les médias de pays sud-méditerranéens ou du même âge économique que la Tunisie, les médias égyptiens en particulier, les médias tunisiens apparaissent plus libres et moins soumis à la pression du pouvoir politique. Mais à examiner leur production écrite, radiophonique et télévisuelle de près, on constate qu’ils cèdent à un pouvoir plus pernicieux, celui de l’argent. Bien qu’ils soient financés essentiellement par de l’argent public, les médias relevant du secteur public ont opté pour le divertissement et le spectacle sur le dos de l’information pure et l’éducation des masses. Quant aux médias du secteur privé, ils s’estiment non tenus de remplir certaines missions assignées normalement au service public et pensent qu’ils ne doivent rendre de comptes qu’à leur propriétaire (des particuliers en majorité et non pas des sociétés privées de médias comme on le présente abusivement). Aussi sont-ils dépendants tout aussi bien des recettes publicitaires et commerciales qu’ils génèrent que des intérêts personnels ou politiques des propriétaires.
Certains pensent que la présence de capitaux privés dans nos médias assure aux Tunisiens la pluralité et l’indépendance de l’information et qu’il ne s’agit pas là d’une tare en soi puisque telle est la configuration en usage dans la plupart des démocraties parvenues à maturité. Mais à la différence de celles-ci, la démocratie tunisienne reste immature quoi qu’on en dise et les médias tunisiens empêtrés dans des contradictions existentielles et morales qui mettent en cause la crédibilité de leur contenu informatif. Même s’il émane de quelques cercles manifestement orientés, le slogan d’« Iilam el Ar » trouve désormais un écho favorable partout dans la société tunisienne.
A l’heure actuelle, l’indépendance des journalistes des médias tunisiens existe formellement dans les textes mais n’est nullement garantie a minima dans les faits, en raison, notamment, de rapports de force déséquilibrés existant entre propriétaires et salariés dont certains remontent au temps où le régime politique décidait seul de l’architecture patronale du secteur. Malgré certains acquis récents et l’existence de la Haica, la position des journalistes au sein des médias tunisiens reste fragile. Cela n’a pas permis d’atténuer la précarité dont souffre la profession, tout en ouvrant la voie à l’émergence de certaines formes d’autocensure ou de complaisance. A l’exception de quelques rares journalistes protégés par la notoriété ou le respect d’eux-mêmes, la plupart agissent plus en censeurs, amuseurs publics ou militants qu’en journalistes professionnels et rigoureux.
Pourtant, le rôle des journaux, de la radiodiffusion et la télévision est capital dans la réussite ou l’échec de tout processus démocratique. C’est en informant équitablement les citoyens des programmes et des candidats des partis politiques en concurrence que les élections ont un sens. C’est en tirant vers le haut la connaissance et la conscience de chacun que le suffrage universel légitime le pouvoir politique en place. C’est précisément dans ce domaine que les médias tunisiens ont le plus failli. C’est au point que certains observateurs étrangers n’hésitent plus à pointer du doigt la responsabilité directe des médias tunisiens dans la dégradation de la vie politique en Tunisie.
Depuis le 14 janvier 2011, les journalistes tunisiens bénéficient d’une plus grande liberté pour s’exprimer, et quoique leur précarité statutaire et matérielle soit réelle, ils ont toujours la possibilité de respecter — s’ils le veulent vraiment — les termes de la Charte de Munich où il est dit expressément que le journaliste doit «respecter la vérité, quelles que soient les conséquences pour lui-même» et qu’il ne doit «jamais confondre le métier de journaliste avec celui de publicitaire ou de propagandiste». Hélas, ces règles sont peu observées par la majorité des journalistes tunisiens. Il suffit de voir comment certains orientent l’information qu’ils diffusent et les débats politiques qu’ils animent pour constater le peu de cas qu’ils font des devoirs du journaliste dans une démocratie.
Habib Touhami