Najla Bouden Romdhane: Une femme cheffe du gouvernement ou la pleine activation de l’article 46 de la constitution?
Par Najet Brahmi Zouaoui - Professeure à la faculté de Droit et des Sciences politiques de Tunis. Avocate près la Cour de cassation.
1- Depuis le 25 Juillet 2021, le débat sur la valeur de la constitutionnalité des mesures prises par le Président de la République est des plus polémiques. Pour le clan contestataire des mesures d’exception du 25 Juillet 2021, le Président Kais Said aurait violé la constitution et malmené ses principaux principes.
2- Sensible à ces accusations, le Président Kais Said a répondu par plusieurs discours médiatisés. Il a toujours saisi l’occasion pour rappeler son attachement à la constitution et notamment aux principes liés aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales.
3- Mais sa réponse devait dépasser les seuls discours pour toucher aux décisions. Deux décisions consécutives en témoignent. Il s’agit respectivement de sa décision de mettre fin partiellement aux dispositions de la constitution du 27 Janvier 2014 au bénéfice des dispositions du décret Présidentiel n°2021/117 du 22 septembre 2021 (I) d’une part et de sa décision de nommer Mme Nejla Bouden, cheffe du gouvernement en date du 29 septembre 2021 de l’autre.
4- Symbolique à plus d’un égard, cette dernière décision serait la manifestation la plus topique de l’attachement du Président Kais Said aux principes de la constitution.
I- Une décision conforme aux principes de la constitution du 27 Janvier 2014
5- Devant donner suite aux mesures d’exception telles que proclamées le 25 Juillet 2021 et décrétées les 26 et 29 Juillet 2021 et prolongées le 24 août 2021, le Président de la République a promulgué le décret Présidentiel n°2021/117 du 22 Septembre 2021 relatif aux mesures exceptionnels(1).
6- Composé de 23 dispositions, ce décret Présidentiel a défini le nouveau cadre légal de l’exercice des pouvoirs en Tunisie. Ce nouveau cadre, pour dérogatoire qu’il soi, se prononce expressément en faveur des préambules, titre premier et titre 2 de la constitution de 2014 qui; aux termes de l’article 20 du décret Présidentiel n°2021/117 continuent à s’appliquer. Aux termes dudit article 20 « Le préambule de la constitution, ses premier et deuxième chapitres et toutes les dispositions du présent décret Présidentiel, continuent à s’appliquer»
7- Et pour le rappel, soulignons que le titre premier de la constitution règlemente «les principes généraux» tandis que le titre 2 s’intéresse aux «droits et libertés».
L’article 46, procédant du dit titre 2 de la constitution, consacre l’engagement de l’Etat à renforcer les droits acquis aux femmes. Et l’alinéa 2 de cet article de prévoir que: «L’Etat est garant de l’égalité des chances entre l’homme et la femme pour l’accès à toutes les responsabilités et dans tous les domaines».
8- L’article 46 alinéa 2 serait partiellement activé depuis 2014. Au plan politique, on était loin de croire en l’égalité parfaite des chances. La parité n’était pas de mise dans la sphère politique. La décision du Président de la République de nommer une femme cheffe du gouvernement, vient enfin donner, son plein sens, à la partie la plus figée de cet article à savoir l’égalité entre l’homme et la femme pour l’accès aux diverses responsabilités.
II- Une pleine activation de l’article 46 de la constitution
9- Par la nomination d’une femme cheffe de gouvernement, le Président Kais Said serait le premier Président à avoir procédé à une pleine activation de l’article 46 de la constitution du 27 Janvier 2021.Il aurait courageusement exaucé le vœu de l’élite féminine tunisienne qui n’a pas cessé de rappeler une nécessaire égalité de chances pour l’accès au pouvoir.
10- Cette pleine activation de l’article 46 de la constitution tunisienne viendrait en réalité confirmer la volonté du Président d’aller tout droit en avant et tous azimuts. Le mieux pour lieu serait d’opter pour un nouveau départ avec un choix innovant!
11- Marquant l’histoire, la nomination d’une femme cheffe du gouvernement tiendrait, pour le juriste, d’une deuxième marque d’activation très courageuse des dispositions de la constitution. Aussi et après l’activation de l’article 80 de ladite constitution et la déclaration de l’Etat d’exception, le Président Kais Said vient donner son plein et ultime sens à l’article 46 de la constitution. En ce faisant, le Président de la République serait l’homme de l’activation des textes en vue de l’amélioration du contexte. «Jamais deux sans trois» , L’on devrait s’attendre à une troisième activation. Serait –ce alors la mission de Madame la cheffe du gouvernement de donner son plein sens à l’article 46 alinéa 2 de la constitution en veillant au respect de la parité au sein du nouveau gouvernement ?
12- Quoiqu’il en soit, la couleur est annoncée ! Un nouveau départ sur de bonnes bases. L’édifice, s’il tarde, ne manquera pas à se faire beau.
Najet Brahmi Zouaoui
Professeure à la faculté de Droit et des Sciences politiques de Tunis
Avocate près la Cour de cassation
(1) Sur une lecture d’ensemble de ce décret Présidentiel, voir Najet Brahmi Zouaoui, Le décret Présidentiel n°2021/117 : Le droit est à l’épreuve, Leaders du 26 septembre 2021.