Covid-19: Il faut sauver l’étudiant Ryan
Par Mohsen Redissi - Il ne manque que les pom-poms girls pour que la fête soit totale. Le corps leste, les mouvements légers en un ballet aérien elles décrivent dans l’enceinte du Memorial Stadium ces lettres chatoyantes V-I-C-T-O-R-Y. L’oracle a parlé. Le verdict tant attendu est tombé. La Cour suprême américaine dans sa grande clairvoyance vient de statuer dans le conflit qui oppose l’Université d’Indiana, UI, à une poignée de ses étudiants, huit en tout (1). Les universités et les collèges étatiques et privés sont soulagés. Certains sont déjà menacés ou risquent d’être menacés de poursuites similaires intentées par leurs étudiants devant les tribunaux fédéraux. L’avenir de l’enseignement en général n’est plus en danger.
Aucune autre autorité judicaire ne peut récuser ou refuser d’appliquer la décision de la Cour suprême. Elle seule peut le faire. Cela s’est passé une fois dans son histoire sous la présidence d’Ulysses S. Grant, héros de la guerre de Sécession, élu 18e président pour deux mandats, 1869-1877. Durant la guerre, le Congrès a autorisé le Trésor américain à émettre des billets de banque. Pour la Cour de l’époque, les billets sont irrecevables, i.e. inconstitutionnels. On peut être juge à la Cour et être hors du temps. Grant utilise les deux juges fraichement élus sous sa présidence pour annuler le jugement (2). Le billet vert a toujours de beaux jours devant lui.
Le droit de disposer de son corps
La plainte résume le malaise qui règne dans les collèges et les universités. Les étudiants rebelles ne mettent pas en cause le vaccin et son efficacité, ils attaquent l’UI sur les fondements de la constitution américaine. L’avocat des étudiants frondeurs défend dans sa pétition selon une logique simple les griefs de ses clients. Sa déposition (3) affirme que:
• Les risques associés aux vaccins sont aussi grands que les avantages potentiels,
• La protection d’autrui doit respecter l’éthique médicale,
• Le consentement de l’individu doit être libre et volontaire,
• L’obligation de se faire vacciner viole :
a- La constitution
b- L’intégrité corporelle
c- Le droit à l'autonomie
d- Limite le libre choix au traitement
La course au vaccin
Les médias américains se pressent dans leurs éditions du 12 aout d’exposer la victoire de l’Université d’Indiana contre un groupe des ses étudiants : La Cour suprême ne bloquera pas l’obligation de vaccination de l’Université de l’Indiana. Etudiants, professeurs et corps administratifs doivent tous se faire vacciner s’ils veulent garder leur place au sein de l’université pour l’année 2021-2022. Certaines entreprises ont adopté la même attitude au milieu de la pandémie.
Le monde académique est soulagé. Il s’agit du premier procès intenté à une institution pour avoir imposé un vaccin à ses étudiants et à son staff. Il est en même temps le premier jugement rendu par la Cour suprême sur l’obligation du vaccin post Covid19. Pour les directeurs hésitants le vaccin devient ainsi une obligation. Toute plainte est caduque. Nulles et non avenues sont déclarées les autres requêtes déposées un peu partout dans le pays.
D’après The Chronicle of Higher Education, plus de 670 entre écoles, collèges, universités, institutions publics et privés obligent leurs étudiants à se faire vacciner. Ces étudiants doivent-ils renoncer à leur droit à l’intégrité corporelle ? A leur libre arbitre ? A leur autonomie ? Au secret médical ? Ces questions sont cruciales pour chaque individu.
Les frondeurs de l’Université de l’Indiana et de ceux qui ont suivi le chemin du tribunal pour crier justice défendent leur libre arbitre. Ce mélange entre le profane et le sacré, il s’agit ici de la Constitution, pousse les gouverneurs à prendre des décisions qui vont parfois contre les appels de prudence et les règles de prévention. Une mosaïque s’installe dans un paysage changeant. La carte des Etats permissifs ou répressifs reflète le flou sur les attitudes à prendre pour sauver une année académique chaotique.
Le port du masque d’un Etat à un autre ne correspond pas aux règles établies par les Centres de contrôle et de prévention des maladies. Certains gouverneurs établissent des directives distinctes pour les écoles.
Source : https://www.nytimes.com/2021/08/12/world/teachers-union-vaccine-mandate.html
Ceci n’est pas anodin. Les collèges et les universités en faveur de l’obligation de faire vacciner leurs élèves et leurs étudiants se trouvent dans les états qui sont pointilleux sur le port du masque et la distanciation sociale. La plupart des ces états ont voté pour le candidat Joe Biden lors des élections présidentielles de novembre 2020 (4), partisan farouche du port du masque et de la vaccination.
L’UI et ses étudiants rebelles sont devenus un cas d’école. Les entreprises privées exigent de leur personnel de se faire vacciner. D’ailleurs le président Joe Biden veut généraliser la vaccination à tout le personnel fédéral pour mettre fin aux tergiversations. Les réfractaires doivent impérativement se soumettre à des tests réguliers, respecter la distanciation sociale et porter un masque. Quant au Pentagone, il veut obliger 1,3 million de soldats en service actif à se faire vacciner. Il s’est fixé comme délai la mi-septembre pour mener à bien sa campagne.
Le discours de l’obligation de vaccination
La cour suprême s’appuie dans son rejet de bloquer l’exigence de l’UI de voir ses étudiants se faire vacciner avant la nouvelle rentrée académique sur des facteurs objectifs. La juge Amy Coney Barrett, celle par qui le verdict arrive, s’est inspirée d’un cas similaire de 1905 «Jacobson v. Massachusetts» (5) dans lequel la Cour suprême a confirmé le pouvoir des états d’obliger leurs habitants à se faire vacciner contre la variole même de force ou de payer une amende.
D’autres juges fédéraux sont venus soutenir leur confrère, tous nommés sous la présidence de Donald Trump, non pas par esprit de clan mais pour confirmer l’arrêt de la Cour. Leur fournisseur d’accès a pris sa retraite, fervent défenseur de l’immunité naturelle, un concept très cher qui a couté la vie à des milliers d’américains la veille de son départ de la Maison blanche. Selon ces juges l’université peut poser ses conditions d’admission pour les étudiants et le corps enseignant comme elle pose ses conditions d’inscription et de frais de scolarité :
• L’UI a le droit de procéder à une vaccination générale dans l’intérêt de la santé publique,
• L’examen de santé et la vaccination sont des exigences courantes dans l'enseignement,
• Les étudiants rebelles peuvent fréquenter des universités qui n’exigent pas la vaccination,
• Prendre un semestre sabbatique et voir comment vont évoluer les choses,
• Suivre les cours en ligne.
UI n’a pas claqué la porte devant le savoir et l’intérêt général des étudiants. Elle n’est pas totalement insensible à la voix qui grogne et à la voix qui gronde. Ces voix peuvent la déstabiliser et gêner son entreprise de faire de son campus universitaire une zone où le virus n’a pas sa place sur les bancs des amphithéâtres. Deux exemptions sont accordées aux étudiants récalcitrants sur la base de fragilité physique ou de croyances religieuses. Ils doivent porter des masques et subir des tests tous les deux jours. Aisé à faire et ne viole aucun droit constitutionnel.
L’arrêt de la Cour suprême peut conduire aussi à des dérapages. Le licenciement abusif ou le refus d’accéder à la salle des classes peut entrainer des violences physiques ou des échanges acerbes. Le risque est présent. L’opinion de la Cour laisse aux institutions, aux professionnels et aux gouverneurs le soin de prendre les dispositions qu’ils jugent nécessaires dans l’intérêt de leur communauté.
Le monde de l'enseignement aura du mal à fonctionner correctement lorsque chaque élève/étudiant est constamment sur ses gardes. L'étranger assis à un banc d'intervalle peut être porteur du virus tant redouté. Les écoles et les universités seront plongées dans une atmosphère de peur et de suspicion. Elles ne remplissent plus leur devoir. Chaque soir, l'apprenant peut quitter la salle de classe le virus aux trousses.
L'Association nationale de l'éducation, le plus grand syndicat de l’enseignement, et la Fédération américaine des enseignants soutiennent l’initiative nationale de faire vacciner tous les enseignants dans une tentative de faire plier les récalcitrants, sinon ils doivent se soumettre à des tests réguliers pour garantir la sécurité des établissements scolaires. Ces deux syndicats influents tentent de rendre la vaccination une obligation via l’octroi d’un passe, un précieux sésame pour franchir la porte du savoir.
Mohsen Redissi
1- Ryan Klaassen, et al., Applicants v. Trustees of Indiana University
https://www.supremecourt.gov/search.aspx?filename=/docket/docketfiles/html/public/21a15.html (en anglais)
2- Du même auteur : La Cour suprême américaine: la guerre des nombres. Leaders (4 mai 2021) https://www.leaders.com.tn/article/31824-la-cour-supreme-americaine-la-guerre-des-nombres
3-Motion for leave to file brief of amicus curiae physicians for informed consent
https://www.supremecourt.gov/DocketPDF/21/21A15/187103/20210810123328658_PIC%20Amicus%20Brief%20for%20SCOTUS%20in%20Klaassen%20case%20--%20FINAL.pdf (en anglais)
4- Callimachi, Rukmini. For Colleges, Vaccine Mandates Often Depend on Which Party Is in Power. New York Times (Upd. Aug. 12, 2021)
https://www.nytimes.com/2021/05/22/us/college-vaccine-universities.html?action=click&pgtype=Article&state=default&module=styln-coronavirus®ion=MAIN_CONTENT_3&context=storylines-godeep
5- Jacobson v. Massachusetts, which ruled that states may require all members of the public to be vaccinated against smallpox or pay a fine.
https://supreme.justia.com/cases/federal/us/197/11/ (en anglais)