Te marier malgré le maudit coronavirus!
Par Arselène Ben Farhat - Le coronavirus a bouleversé notre vie quotidienne et a modifié nos rites et nos habitudes. Il a provoqué une crise sanitaire, économique et sociale et a engendré beaucoup de désordre, de souffrance et de malheurs. Les personnes âgées ou atteintes de maladies chroniques sont les plus vulnérables et sont exposées à des taux de mortalité très élevés surtout quand elles ne sont pas vaccinées. C’est aussi le cas des jeunes non vaccinés. Ils sont menacés par les nouvelles variantes de ce virus et souffrent surtout d’un mal-être et d’un malaise profond. En fait, La perturbation des cours dans l'établissement scolaires et universitaires, l’interdiction des concerts, des matchs, des rencontres, des excursions organisées, des fêtes de fiançailles et de mariage, etc. ont affecté la santé psychologique des jeunes. Tant pis, il faut obligatoirement limiter la propagation.
Pourtant, tu continues, avec ton futur époux, les préparatifs de ton mariage entamés avant l’apparition de ce maudit virus. Animée par le même enthousiasme et le même engouement, tu veux que cet événement soit exceptionnel, grandiose à l’image de tes rêves. Tu vas donc te mobiliser totalement, consacrer ton énergie, tes vacances et tout ton temps libre à recueillir les informations auprès de tes amis et des sites spécialisés afin d’avoir toutes les adresses. Tes parents veulent que tu choisisses tout, car ce sont tes noces et ils veulent que tu sois heureuse. Or, tu es très exigeante et tu veux créer la surprise dès la première soirée de ton mariage organisée dans ta ville natale, Sfax.
Tu te rends avec nous, d’abord, dans les diverses salles des fêtes et chaque fois, tu observes attentivement la position du lieu de cérémonie, son architecture générale, sa superficie, sa décoration, son parking, le podium, l’état des tables, des chaises, leur nombre, leur disposition, la durée exacte de la location, etc. Rien n’échappe à ton regard. Tu enregistres hâtivement sur ton téléphone toutes les informations fournies par le gérant concernant le prix et le calendrier de disponibilité et tu te diriges rapidement vers une autre salle des fêtes. Mais, rien ne semble te satisfaire ou plutôt rien ne correspond à tes rêves. Même les salles polyvalentes des hôtels qui sont excessivement chères ne répondent pas à tes attentes.
Quand tu étais petite, tu adorais assister aux mariages et les salles de fêtes t’apparaissaient comme des lieux magiques, hors du temps et de l’espace, dominés par un beau couple merveilleux, angélique. La troupe musicale, les jeux de lumière, les danseurs et ces gens qui arrivaient portant leurs plus beaux habits te fascinaient et continuent à te fasciner. Mais comment trouver cette salle de fête rêvée ? Ta déception est si grande que je n’ai pas osé te dire qu’elle n’existe pas. Je t’ai dit en riant : « Si j’avais été maçon, je t’aurais construit, mais je ne l’aurais jamais finie ; il faudrait une grande fortune et plusieurs années. » A ces mots, tu t’es levé brutalement en lançant un cri de joie. La solution est facile à trouver : puisque ce lieu de rêve n’existe pas, il faut l’inventer. Il suffit de choisir la salle des fêtes et de faire appel à une équipe de décorateurs et à une autre composée d’ingénieurs et de techniciens spécialistes en éclairage pour que tout soit possible. L’atmosphère terne, mélancolique, très pesante qui te choque en pénétrant dans les salles des fêtes peut être remplacée par une belle ambiance gaie. Éclairage et décoration vont de pair. Ils sont les garants de la touche poétique que tu souhaites donner à ton mariage et ils ont un effet quasi magique sur tes convives.
Une fois le choix de la salle des fêtes est fait. Tu te sens soulagée, heureuse. Là encore, tes parents te soutiennent et t’encouragent à avancer dans ton projet. Tu te lances, avec enthousiasme, dans la réalisation des autres étapes de l’organisation du plus beau jour de ta vie. Plus une minute à perdre. Tu sélectionnes le photographe le plus talentueux d’après tes amis, les serveurs recommandés par des proches parents, les divers prestataires en salés et en pâtisserie traditionnelle à base d’amande et moderne à base de pistache, de chocolat et de mignardise.
Cependant, la clé de la réussite de la soirée tant attendue est détenue par la troupe musicale. C’est elle, selon toi, la vedette de la soirée. Trop bruyante, elle conduira les invités à quitter rapidement la salle des fêtes, mais trop paisible, elle fera perdre au mariage sa magie et son ambiance festive. C’est pourquoi tu as choisi une troupe musicale que tu as toujours admirée et qui est composée d’une vingtaine de femmes. Tu es certaine qu’elle va assurer une animation réussie de la cérémonie grâce à un répertoire de musique moderne et traditionnelle et à une variété de chansons tunisiennes, orientales et occidentales.
Toutefois, le plus important à tes yeux est le choix de la robe que tu dois porter "le jour j". C’est elle qui fera de toi une princesse et qui éblouira tous les invités. Pas question de faire des concessions à cause du prix ou du nombre élevé de déplacements à Tunis pour les essayages. Tu veux être la plus belle et tu le seras ! Tu entames ta quête. Tu regardes les nouvelles collections, le tissu en vogue, les modèles en explorant les revues, les sites spécialisés, les pages des célèbres couturières et des grandes maisons de couture.
Mais tu es de nature indécise ; tu n’arrives pas à choisir, tu hésites trop et tu as peur de ne pas porter la robe dont tu rêves, la Robe idéale. De plus, tu dois, selon la tradition, changer de tenue lors des cérémonies. Tu as donc besoin, pour la première soirée du mariage, de deux robes traditionnelles et en même temps adaptées au goût du jour et pour la deuxième soirée, d’une troisième robe blanche sublime, ample, avec une longue traine. Tu te sens au début stressée, incapable d’agir, mais très rapidement tu surmontes ton hésitation et tu arrives à trancher, à choisir. Tu optes pour un style parfaitement adapté à ton profil et à ton identité. Hors de question de te sentir très mal à l’aise, mal dans ta peau, au cours de la plus belle journée de ta vie. Les robes que tu as sélectionnées et que tu vas porter vont te permettre d'être plus décontractée, plus libre et donc plus heureuse.
Tu as donc l’impression que tu es en train de gagner la bataille et que rien ne pourra arrêter ta marche vers le bonheur. Ton grand rêve de jeune fille est en train de se transformer progressivement en une merveilleuse réalité. Cependant, tu n’arrives pas à éliminer l’inquiétude qui commence à naitre dans ton esprit et à te tourmenter surtout le soir quand tu te retrouves seule avec toi-même. Non, tu ne devrais pas t’inquiéter. Cette épidémie va certainement disparaitre dès le début de l’été comme l’année dernière. Le coronavirus ne pourra pas tenir face à cette terrible chaleur. Certains facebookeurs l’ont affirmé en se référant à des médecins de grande renommée. Tu devrais les croire et éliminer les idées noires qui te hantent et te rongent.
Cependant, à mesure que la date de ton mariage approche, tes tourments s’accentuent. En fait, le nombre des contaminés, au lieu de baisser comme l’année dernière, augmente. C’est aussi le cas du nombre des hospitalisés, des personnes en réanimation et des décédés. Tu éprouves un grand malaise face à ce rebond épidémique, mais tu ne le reconnais pas et tu ne veux pas le reconnaitre. Tu continues à vivre dans le déni total du réel, dans le refus de croire que tes noces risquent d’être annulées. Bien au contraire, tu deviens hyperactive et tu éprouves même une ivresse de force à agir, à contacter et à recontacter chacun des intervenants dans ton mariage pour revoir certains détails des tâches à accomplir. Parfois, tu n’es plus là avec nous ; tu es emportée vers un ailleurs, vers un monde nouveau où le coronavirus est totalement absent, où règnent le bonheur, l’ordre et l’harmonie et où ton mariage se déroulerait loin des aléas de la vie, loin des contraintes imposées par la crise sanitaire, un mariage merveilleux.
Mais, tu ne peux pas rester toujours sourde et aveugle. Impossible d’ignorer continuellement les échos des souffrances des Tunisiens contaminés ou les images des malades entassés dans les urgences et les hôpitaux. La pandémie n'est pas contrôlée et n’est plus contrôlable en Tunisie. Certaines mesures sont prises trop tard et ne permettent pas de canaliser l'épidémie. Les pages de Facebook sont envahies par les mauvaises nouvelles. Tu passes de plus en plus de temps enfermée dans ta chambre, un œil fixé sur l’écran de ton PC et l’autre œil sur l’écran de ton téléphone portable. Tu suis les informations en continu et tu lis les communiqués du Ministère de la santé, les statistiques, les articles de médecins ; tu écoutes les interviews des membres du comité scientifique chargé du dossier. Mieux encore, tu arrives à suivre, en temps réel, les courbes de contamination et la circulation du virus dans les différents gouvernorats à l’aide de cartes et d’infographies interactives. Tout annonce la catastrophe que tu ne peux plus ignorer : le confinement sanitaire et l’interdiction des rassemblements et de toutes sortes de fêtes. Ton inquiétude se métamorphose en panique, mais que peux-tu faire ? C’est le Maktoub et on ne peut rien face au Maktoub.
Un élément détonateur qui engendre l’effondrement de tes rêves et provoque en toi un vrai séisme, c’est la décision du comité scientifique régional : toutes les salles de fêtes seront fermées à Sousse et en conséquence le mariage dont tu as tellement rêvé sera annulé.
En même temps, un vent de panique et de peur a commencé à souffler de plus en plus fort et de plus en plus violemment : des proches parents qui habitent à Tunis, que tu adores depuis ton enfance et que tu attends avec impatience presque enfantine ont appelé et se sont excusés de ne pas pouvoir venir assister à ton mariage à cause de la situation sanitaire dangereuse alors que tu les attendais impatiemment. Un vrai choc pour toi. Tu voulais t’exhiber, devant eux, dans tes magnifiques robes. Tu voulais les voir t’accompagner, t’entourer, t’admirer, te clamer dans ton entrée dans la salle des fêtes. Là encore, ce maudit virus t’a blessé profondément.
Blême, digne, tu es restée debout, muette ; tu arrives à retenir tes larmes et à nous dire la voix brisée ta décision. La propagation du coronavirus, notamment du variant Delta est foudroyante non seulement à Kairouan, à Sousse et à Monastir, mais aussi dans toute la Tunisie. Non, tu ne peux plus continuer à te battre contre ce maudit ennemi qui gâche cyniquement ton bonheur. Non, il faut tout arrêter et accepter que cette cérémonie de Sfax dont tu as tant rêvé et que tu as préparée pendant plusieurs mois avec beaucoup de patience et d’amour soit, elle-aussi, annulée comme celle de Sousse. Oui cette fête si accessible s’est métamorphosée à tes yeux en un rêve inaccessible, en une illusion, une rêverie douloureuse sans objet, impossible à réaliser dans ce contexte de crise sanitaire.
Ah bon Dieu, comment te calmer ? Comment te convaincre que rien n’est vraiment perdu puisqu’aucune décision officielle concernant les salles de fête n’est encore prise à Sfax ? Cette décision sera annoncée le matin. Plus nous tentons de t’apaiser, plus ton angoisse s’amplifie. Tu m’apparais comme une fleur enfermée, une fleur qui n’arrive pas à retrouver la lumière, ni le soleil, ni l’air. Tu étouffes et tu n’arrives pas à pleurer, ni à gueuler, ni à libérer ta colère et ta souffrance. Contre ton gré, tu les refoules au fond de ton cœur. Le plus terrible, c’est que ce maudit virus reste complètement aveugle au supplice que tu endures, totalement sourd aux cris silencieux que tu n’arrives pas à lancer et que personne ne peut entendre.
Le matin, tout semble morne et affligeant, nous attendons anxieusement le communiqué officiel concernant la situation dans notre ville, quand un grand cri retentit soudain dans la maison. Tu te précipites vers nous pour nous annoncer, avec des mots inarticulés, prononcés difficilement, que tout sera fermé à Sfax dans quatre jours alors que tu te marieras dans trois jours. Ton mariage tel que tu l’as rêvé depuis ton enfance aura donc lieu malgré le Covid. Pendant quelques minutes, tu restes silencieuse, essoufflée, clouée à la même place, prise par une très intense émotion. Puis, je te vois, pour la première fois, pleurer, mais de joie. Hamdoulah ! Ce terrible virus n’a pas pu briser tes rêves. Tu te sens enfin libérée, heureuse. Ta souffrance et ton inquiétude sont derrière toi. Tu vois enfin la lumière, une magnifique lumière au bout du tunnel Tu appelles ton futur mari pour lui annoncer la merveilleuse nouvelle et pendant un long moment tu discutes avec lui des détails de tes noces. Quel bonheur d’entendre tes éclats de rire et de voir la joie envahir ton visage, ta voix, tes gestes. Tu retrouves ta vitalité et ta bonne humeur qui nous ont tellement manqué. Nous te retrouvons enfin !
Au cours de l’après-midi, ton téléphone ne s’arrête pas de sonner et tu sembles de plus en plus agitée. Ivre de joie et d’enthousiasme, tu te sens capable d’accomplir toutes les tâches même si le temps va certainement te manquer. En fait, tu as des choses urgentes à faire, des problèmes à résoudre et des difficultés à surmonter au cours de la dernière étape des préparatifs de tes noces quand tu entends soudain un grand bruit de voitures qui klaxonnent de plus en plus fort. Puis, ce sont des youyous entonnés dans la rue mais qui se rapprochent de plus en plus près de la maison. On sonne à la porte d’une façon continue.
Tu te lèves pour voir et tu lances un grand cri. C’est ta tante qui vient de Tunis. Tu cours vers elle, tu te jettes dans ses bras tellement tu es heureuse de la retrouver. La même scène surgit de ma mémoire, d’un passé lointain. A ta naissance, c’était également ta tante qui était la première à t’embrasser; elle entonnait, à voix basse, un chant de joie et je te voyais blottie dans ses bras et tu t’es endormie après des heures de pleurs comme si tu retrouvais dans cette étreinte le bonheur prénatal.
Aujourd’hui, là encore, c’est ta tante qui est venue de loin pour toi. Ses zagharits retentissent dans tous les coins de la maison et au-delà de la maison provoquant une explosion de joie et de plaisir. Des cousins arrivent également de Tunis. Des proches parents, des amis, des voisins viennent te féliciter et chacun veut partager ton bonheur à sa manière. La « zaza » commence donc spontanément, un moment exceptionnel de fête. Tu as pu vaincre le maudit virus, vaincre ta propre peur de voir tes rêves s’écrouler.
Cependant ce qui va te combler encore plus de bonheur c’est un appel téléphonique. Une trentaine de tes amis de Paris et d’autres grandes villes européennes ont voulu te faire grand plaisir. Ils ont pris ensemble le même vol et sont déjà à l’hôtel à Sfax. Ils ont établi leur programme sans rien te dire pour te faire une belle surprise. Ils sont tous ravis d’assister à ton mariage malgré l’aggravation de la situation sanitaire et la décision de la Commission européenne de placer la Tunisie en zonerouge et malgré les prix exorbitant des billets d’avion. Non, ils n’ont pas peur du Covid. Rien ne pourra être un obstacle à leur venue ; ils tiennent à être présents à toutes les étapes de tes noces, à t’apporter leur soutien et leur affection, à chanter, à danser et à crier « Vive les mariés. » Jamais je ne t’ai vu aussi rayonnante, aussi heureuse.
Cependant, avant un jour de ton mariage, au milieu de cette atmosphère festive, certains signes d’inquiétude et d’angoisse dominent dans ton regard. Est-ce la peur de l’imprévu ou la peur du manquement de certains prestataires de service à leurs engagements ou celle de l’impossibilité du déplacement de la troupe musicale de Tunis à Sfax avec les dernières décisions prises par les autorités régionales ?
J’ai voulu te rassurer en t’indiquant que tout est déjà prêt et qu’il n’y aura aucun problème. Mais, à ma surprise, je découvre que la source de ton inquiétude c’est la présence possible le jour de ton mariage, dans la salle des fêtes, d’un invité que personne n’a convié et qui sera peut-être là malgré nous. Il va probablement circuler librement dans le lieu de la cérémonie, s’approcher de tous les invités surtout les plus âgés, les étreindre chaleureusement. Puis, il va nous regarder, éclater de rire cyniquement et repartir vers d’autres lieux après avoir accompli sa sale besogne. Ce terrible invité n’est que le maudit coronavirus. Je l’ai totalement oublié étant pris par plusieurs activités de préparation du mariage.
Ah ! Bon Dieu ! Il peut être présent dans la salle des fêtes, ce maudit virus. Comment le détecter ? Comment le contrôler ? Il est invisible, indéfinissable, insaisissable, incontrôlable ! De plus, le nouveau variant delta est plus rapide dans sa transmission et surtout plus dangereux et la salle des fêtes est un lieu clos climatisé et donc sans fenêtres. Bon Dieu ! Que faire si elle se transforme en un gigantesque cluster ? Il suffit que trois ou quatre personnes contaminées soient présentes pour que tout le monde soit touché. Ce sera terrible, jamais je ne me pardonnerai si l’un des invités au mariage tombe malade. Pris de panique, je n’arrive plus à cacher mon émotion, ni ma peur. Que faire ?
Face à ma réaction, tu as changé totalement d’attitude, tu me parais moins agitée, plus sereine. Oui, les risques sont, selon toi, réels et la situation n’est pas rassurante mais il y a toujours des solutions. Le port du masque lors de la cérémonie est notre ange gardien, un moyen efficace de nous protéger et de protéger les autres. Il faudrait l’exiger des serveurs et des membres de la troupe musicale et sensibiliser nos proches pour qu’ils le portent en mettant à leur disposition, à l’entrée, suffisamment de masques mais également du gel désinfectant. Par ailleurs, il serait judicieux de demander au décorateur de réduire le nombre des tables dans la salle des fêtes afin d’établir une distance entre les familles.
Bien sûr, tous ces moyens ne sont pas toujours suffisants, mais ils ont pour mérite d’attirer l’attention des gens que le mariage se déroule dans un contexte exceptionnel et que nous devrons appliquer le protocole sanitaire prévu pour les grands rassemblements. Puis, après un moment de silence, tu m’indiques en riant que tu ne supportes pas qu’un invité si indésirable te volera la vedette. Tu veux être la reine.
Et tu es la reine de la fête de mariage. Dans ton esprit, ta vie avec ton mari commence comme un rêve en arrivant au lieu de la cérémonie. Vous avancez la main dans la main, entourés par les êtres les plus chers, vos parents et vos proches. A l’entrée de la salle des fêtes, vous êtes accueillis par des youyous et par un chant musical qui retentit si fortement que tous les invités se lèvent pour vous admirer. Vous marchez au pas, ivres de bonheur et majestueusement auréolés par un jeu de lumière divine. Vous vous dirigez vers le podium où vous allez vous retrouver face à vos invités. Tu es très émue ; tu deviens le centre du monde, l’objet d’intérêt des regards et des conversations.
Ton mariage est certes une fête dédiée à l’amour, à la joie et à la vie mais tu as voulu qu’il demeure gravé dans la mémoire des gens comme un moment exceptionnel inoubliable. C’est pourquoi tu as choisi la singularité. En ce sens, tes noces doivent être un métissage dissonant et frappant de deux visions et de deux cultures traditionnelle et moderne. Tu as voulu être bien ancrée dans une tradition ancestrale et en même temps t’inscrire dans la modernité. Tout doit refléter cette dualité : l’habit, la musique, la danse et même les gâteaux.
En effet, tout au long de la fête, tu vas porter successivement trois robes : deux traditionnelles, deux admirables « foutas et blouzas » qui sont riches en broderies et dont l’une est soigneusement cousue par ta mère et une troisième robe blanche ample avec une longue traine et une touche avant-gardiste. Par contre, ton époux se contente de deux types de tenues : un costume noir élégant et un habit traditionnel. Chacune de tes robes est unique reflétant ta personnalité, tes désirs et tes rêves, mais le choix se fait en harmonie avec l’atmosphère générale qui domine dans la salle des fêtes et avec l’ambiance créée par la troupe musicale. C’est ainsi que tu vas enfiler ta somptueuse « fouta et blouza » et ton mari sa « jebba » quand vous vous êtes engagés dans « la danse sur poisson » (« tankize ‘lâ Houtes »). Il s’agit d’une danse sfaxienne traditionnelle marquées par des gestes et des mouvements rythmés et façonnés depuis des centaines d’années. Les mariés sont invités à sauter par-dessus d’un poisson à plusieurs reprises. Ce qui symbolise l’entraide qui doit caractériser leurs rapports et dominer leur vie de couple.
Cependant, la troupe musicale va enflammer encore plus l’ambiance par des chansons populaires tunisiennes et orientales ainsi que par des chansons occidentales de divers styles. Sur un fond survolté, les invités jeunes, vieux et enfants dansent, chantent, s’amusent et communiquent leur enthousiasme et leur joie aux autres invités restés assis. Ils font tout pour les pousser à se lever et à danser.
Au milieu de cette atmosphère festive, tu t’approches de moi et tu me signales, par un geste discret, que je devrai mettre correctement le masque pour me protéger. Il doit couvrir à la fois le nez, la bouche et le menton. Ah ! Comment peux-tu rester si attentive et si vigilante à un tel moment de ton mariage chargé d’émotion et de fougue aussi bien de la troupe musicale que des invités ?
Oui, tu as raison le Covid est bien là et on ne doit jamais l’oublier ! Mais tu ne sembles pas inquiète. Bien au contraire, tu es restée sereine et souriante. Rien ne pourra gâcher le bonheur que tu vis si intensément. Pendant toute la fête du mariage, une joie intense irradie sur ton visage et sur celui de ton mari et nous embarque dans un univers où règnent la quiétude et le bien-être.
Cependant, un bonheur n’arrive jamais seul ; le mariage de Sousse qui a été annulé à cause de la fermeture des salles des fêtes a finalement eu lieu sous une autre forme. Ton beau-père et ta belle-mère font tout pour que vous soyez heureux, toi et ton mari. Ils ont fait appel à l’une meilleure décoratrice à Sousse qui a transformé leur jardin en un petit paradis. A ton entrée avec ton époux, quelle magnifique surprise pour toi quand tu as été accueillie par la troupe musicale de tes rêves ! Comme à Sfax, la joie se contemple à travers les visages rayonnants qui t’entourent et s’entend à travers les chants, la musique et les youyous. C’est une joie visuelle et sonore qui se transmet et se vit en communauté et tu la ressens profondément en te retrouvant au milieu de ta nouvelle famille.
En somme, au-delà de leurs différences, le mariage de Sfax et celui de Sousse représentent une même expérience du bonheur et une même ambiance euphorique et survoltée. C’est le symbole d’une union réussie entre un rêveur et une rêveuse et cette union est d’autant plus merveilleuse qu’elle s’est réalisée dans un contexte à haut risque. Non, le coronavirus ne vous a pas conduits à reporter vos noces indéfiniment ni à les annuler. Il n’a pas compromis votre bonheur. Vous avez surmonté tous les obstacles ensemble et vous avez également appris ensemble à résister, à lutter, à regarder l’un l’autre, à lire dans les yeux de l’autre ses sentiments les plus profonds et surtout à « regarder dans la même direction » (Saint-Exupéry) afin de construire votre avenir. Mais c’est toujours en aimant la vie, votre vie commune que vous arrivez à être vraiment heureux. Croquez donc la vie à pleines dents.
Arselène Ben Farhat