Tunisie : Pour affronter la hausse débridée des prix, soyons pragmatiques et changeons nos habitudes
Par Ridha Bergaoui - Depuis quelque temps, les prix ne cessent d’augmenter et le pouvoir d’achat du consommateur de se détériorer. Les prix connaissent un niveau jamais atteint auparavant. Tous les produits sont touchés : produits alimentaires (sauf les produits subventionnés), médicaments, chaussures, matériaux de construction, cigarettes… Le citoyen ne cesse de se plaindre et de nombreuses familles se trouvent en difficulté.
Le Président de la République est intervenu lui-même à plusieurs occasions pour demander aux principaux responsables économiques une baisse des prix. Des campagnes de lutte contre les spéculateurs de tout bord ont été engagées. Malheureusement la tendance des prix à la baisse ne semble pas se dégager et les choses n’ont pas bougé.
Cette situation risque de durer longtemps suite à un contexte national et international en crise. L’instabilité politique, la pandémie covid-19, la sécheresse et le changement climatique… sont parmi les facteurs les plus importants.
Pour faire face à cette situation, la solution qui s’offre au citoyen est de changer ses habitudes de consommation. Se serrer la ceinture et faire preuve de bonne gestion de son budget familial représentent la seule alternative en attendant des jours meilleurs.
Revenir à nos anciennes habitudes alimentaires
Les habitudes alimentaires du Tunisien ont beaucoup changé. D’un régime basé sur des produits traditionnellement fait maison on est passé à une alimentation issue de produits industriels, avec le recours souvent à la prise de repas en dehors du foyer. Notre régime, initialement du type méditerranéen (axé sur l’utilisation des céréales, légumes, légumineuses, huile d’olive, peu de produits animaux et complété par des fruits de saison) a été orienté vers une utilisation de plus en plus importante de viande et œufs, lait et produits laitiers. L’usage de boissons gazeuses, de frites grasses et l’adoption de plats et préparation étrangères (pizzas, crêpes, gâteaux, glaces, différentes sauces du type mayonnaise, ketchup, sauce barbecue…) sont de plus en plus courantes. Le consommateur ne reconnait plus la saisonnalité des produits agricoles et désire consommer tous les légumes et fruits toute l’année. Il demande même des fruits exotiques comme banane, ananas, kiwi…
Ce nouveau mode d’alimentation a des conséquences néfastes sur la santé, l’environnement, le budget des ménages et celui du pays. Des stratégies ont été développées à partir de ces principes avec une ouverture au marché international dans le cadre de conventions d’échanges régionales ou internationales. Ces politiques se sont révélées malheureusement inefficaces et peu profitables pour les pays les moins avancés et dont les ressources sont limitées.
Il serait important, aussi bien pour les ménages que le pays, de changer nos habitudes en:
• Revenant le plus possible au régime alimentaire traditionnel à base de légumes de saison et peu de produits animaux. Les légumineuses et le poisson bleu (sardine, maquereau…) sont d’excellentes sources de protéines peu chères
• Faire appel au maximum aux produits fait maison et recourir le moins possible à la restauration hors foyer, les produits prêts à l’emploi et les produits industriels bourrés d’additifs, de sucre et de graisses
• Réduire le gaspillage alimentaire et recycler les plats cuisinés.
Les grandes surfaces poussent généralement à la surconsommation. Il est nécessaire de faire ses courses d’une façon intelligente et d’éviter les achats inutiles et compulsifs.
Lutter contre le gaspillage et maitriser sa consommation
Les dépenses d’électricité, eau, téléphone et Internet représentent une part importante du budget. Des techniques simples et des réflexes anti-gaspillages permettent de réduire sensiblement ces postes de dépenses.
Le passage au photovoltaïque, l’utilisation des lampes économiques (lampes LED) et un minimum de vigilance pour veiller à couper le courant dans les locaux non occupés et les appareils ménagers non utilisés permettent de réduire sensiblement notre facture d’électricité.
Une attention particulière doit être apportée pour lutter contre la surconsommation et le gaspillage de l’eau. Réparation et rénovation des installations, usage rationnel de l’eau dans les salles de bain, la cuisine et le jardin ainsi que la généralisation de l’installation d’un réservoir d’eau de pluie permettent de limiter la consommation et le gaspillage. Ces pratiques sont profitables aussi bien au budget ménager qu’au niveau national sachant que la Tunisie connait un stress hydrique sévère et les disponibilités en eau sont très limitées.
Réduire à un niveau raisonnable sa consommation de téléphone portable, Internet et les frais inutiles (achat de cigarettes et de boissons stressantes), tout en préservant sa santé, moyennant un peu de volonté, est tout à fait possible.
Marcher à pied ou faire du vélo est bon pour la santé
Le transport représente un poste de dépense important. Il est temps de développer le transport en commun. Il faut mettre à la disposition du citoyen des moyens de transport dignes, confortables, ponctuels et bien gérés.
Par ailleurs, le Tunisien utilise souvent sa voiture personnelle pour ses déplacements et refuse de marcher à pied pour ses petites courses. Il n’hésite pas à enfreindre le code de la route et à gêner piétons et autres usagers de la route. Il se met en double (ou même triple) file, monte sur le trottoir et autres incivilités pour s’arrêter juste devant la boulangerie acheter du pain, ou devant le DAB retirer de l’argent. Cette obsession de l’usage excessif de la voiture est grave et dangereux.
Il est primordial de respecter le code de la route et de prendre l’habitude de marcher un peu à pied. Laisser la voiture un peu loin (pour accompagner les enfants ou les ramener de l’école, faire ses emplettes…) et profiter pour marcher est bon pour le physique, le mental et le porte-monnaie.
De nos jours, on voit peu de bicyclettes circuler en ville. Dans de nombreux pays (Belgique, Hollande, Angleterre, Allemagne et même en France), le vélo est un moyen très pratique pour se promener, faire ses courses et même aller au travail. Dans ces pays le vélo est une véritable institution et l’aménagement des villes est fait en tenant de ce moyen de déplacement sain, économique, rapide et sûr. Pourquoi ne pas développer cette tendance et encourager l’usage de la bicyclette pour nos déplacements ?
Enfin, il est aberrant de voir toutes ces voitures circuler toute la journée avec rien que le conducteur à bord, dans un pays qui connait le nombre d’accidents de la circulation le plus élevé, qui manque de pétrole, dont les routes sont constamment encombrées et dont l’air devient de plus en plus polluée et irrespirable. Le covoiture est une pratique très répandue dans la plupart des pays. Il serait intéressant de le développer et d’encourager les gens à cette pratique économique et écologique.
Se soigner par les plantes
Dés le petit signe de malaise, nos concitoyens courent vers les pharmacies pour acheter (sans ordonnance) antibiotiques, vitamines, additifs alimentaires, anti-inflammatoires, antalgique et autres médicaments de toutes sortes. Ceux-ci reviennent souvent chers et sont parfois inefficaces s’agissant de l’automédication sans se référer à l’avis d’un médecin.
La culture tunisienne est très riche en matière des pratiques et de l’usage de plantes médicinales (thym, romarin, eucalyptus…) pour combattre de nombreux petits désagréments : toux, fièvre, rhume… Miel, huile d’olive, distillats de diverses plantes et fleurs (géranium, fleurs d’orangers, …), épices (curcuma, clous de girofle, gingembre..) ont été longtemps utilisés par nos parents pour se soigner et soigner bébés, jeunes et vieux.
Cette culture est malheureusement délaissée et on préfère utiliser des médicaments couteux qui peuvent même, utilisés d’une façon anarchique, nuire à notre santé. Revenir à nos techniques traditionnelles pour se soigner et utiliser les recettes de grand-mères, dont l’efficacité n’est plus à démontrer, permet de se passer quelque peu de ces médicaments allopathiques industriels.
Les frais de scolarité des enfants reviennent très chers
La rentrée scolaire est pour bientôt et les fournitures scolaires commencent à remplir les librairies et envahir les rues. De nos jours, les frais de la rentrée, au niveau des ménages, reviennent très chers surtout si la famille comporte plusieurs enfants scolarisés.
De notre temps, la rentrée ne coutait pas tellement cher. On se passait vêtements et blouses, souliers et surtout les bouquins de l’ainé au plus jeune. Cette mentalité a de nos jours complètement disparu et les jeunes exigent de disposer du neuf.
Le système scolaire s’y est mis et la plupart des enseignants sont très exigeants et demandent des cahiers extra et de type spécial, des livres neufs, des parascolaires, des fournitures et accessoires spécifiques parfois très peu utilisés durant l’année scolaire.
Il faut revenir sur ces exigences et tenir compte des moyens des parents. Eviter de changer chaque année de livres scolaires et permettre leur réutilisation plusieurs années de suite est tout à fait faisable et aide à alléger le budget familial et celui de l’Etat obligé de les subventionner.
Les livres parascolaires et les cours particuliers représentent des abus et une hémorragie importante dans le budget familial, pour lesquels le Ministère de l’Education n’a jusqu’ici, malheureusement, pas trouvé les solutions adéquates. En réalité, tout notre système éducatif doit être revu et réformé.
Partager, revendre ou donner, des pratiques écolos et tendance
Une mentalité qui se développe partout dans le monde, en ces périodes un peu difficiles, c’est le partage. Au lieu de s’encombrer et acheter des objets qu’on utilise peu, il vaut mieux se les partager à plusieurs. De nos jours dans de nombreux pays, cette mentalité de partager, de se mettre ensemble et de s’entraider est de plus en plus fréquente. Cette politique est intéressante à l’échelle individuelle mais également profitable pour l’environnement et l’économie des ressources. Le plus important ce n’est plus l’objet mais le service. Echanger des objets et même des services est de plus en plus utilisé.
Par ailleurs, vendre, prêter ou donner sont des gestes tendance. Ils permettent de se débarrasser des objets inutiles, qui parfois encombrent nos placards, le jardin, la cave ou le garage, alors qu’ils peuvent faire le bonheur de quelqu’un qui en a besoin.
L’achat d’objets usagés et d’occasion est devenu pratique courante. En Europe, des magasins et même de grandes surfaces se sont spécialisés dans la récupération et la vente du gros et petit électroménager et même de Smartphones de seconde main.
En Tunisie, les friperies se trouvent partout et proposent toute une gamme d’articles diversifiés et bon marché. La plupart des Tunisiens, même les plus aisés, sont des habitués et fréquentent régulièrement les friperies pour s’habiller bien et peu cher.
Conclusion
Le pouvoir d’achat du citoyen ne cesse de se dégrader et le coût de la vie d’augmenter. Le Tunisien est appelé à changer ses habitudes de consommation, se serrer la ceinture et bien gérer son budget. Aussi bien au niveau des dépenses d’alimentation, santé, transport… des possibilités existent pour réduire les dépenses et équilibrer son budget.
Il suffit de gérer intelligemment ses ressources et lutter contre le gaspillage pour éviter de recourir aux prêts bancaires et amputer gravement, parfois pour longtemps, son budget. La mise en pratique de ces alternatives dépend du citoyen et de son degré d’éducation et de sa prise de conscience.
Elle dépend également des pouvoirs publics qui doivent continuer à lutter sérieusement contre la corruption et la spéculation et assainir les circuits de distribution. Ils doivent également organiser des campagnes de sensibilisation du consommateur pour l’inviter à éviter le gaspillage et la surconsommation. Ils doivent enfin donner l’exemple dans la bonne gestion des ressources et faire preuve d’austérité et de transparence.
Ridha Bergaoui