Le Dr Ahmed Kaabi
La vie du Pr Ahmed El Kaabi, premier    cardiologue tunisien, est intimement liée aux grandes étapes vécues par    la Tunisie du 20ème siècle. C’est l’histoire d’une extraordinaire    détermination mise au service d’une passion pour la médecine.
  
  Ahmed El Kaabi est né à Kairouan le 2 juin 1924 au sein d'une fratrie de   8  enfants dont le père, Ali Ben Abdallah était instituteur.Tout    naturellement, comme il  considérait l'enseignement comme le plus noble    des métiers, son père le destinait à être instituteur comme lui. Mais,   le  jeune Ahmed était très tôt fasciné par la médecine. Son jeu  d’enfant   favori n'était-il pas de jouer le rôle du docteur ?
Une volonté à soulever les montagnes
  
  Entré à l’école primaire française de Kairouan, il montrait très tôt une    grande soif d’apprendre, une envie de réussir et une volonté hors du    commun. Une péripétie l’illustre très bien: A l’âge de 11 ans, le  petit   Ahmed est renversé par une calèche dont une des roues lui passe  sur le   pied. Il n’en parla à personne et passera quand même, le  lendemain   l’épreuve de sport du Certificat d’Etudes Primaires (CEP),  bien que sa   jambe le faisait souffrir terriblement. Il s’avérera plus  tard qu’un des   os du pied avait été fracturé (et il en gardera des  séquelles !).
  
  Il entra à l’école Normale de Sousse avant de poursuivre ses études au    lycée Carnot de Tunis, car le gouvernement français de l’époque avait    imposé aux élèves d’être titulaires du baccalauréat. Cette décision    ouvrira de nouveaux horizons à Ahmed.
Obligé par le proviseur de manger un plat de lentilles infesté de vers
  
  Durant la seconde guerre mondiale il était pensionnaire au lycée Carnot .    Les conditions à l’époque  étaient très dures pour les jeunes   tunisiens  qui étudiaient dans les écoles françaises et les humiliations   subies,  fréquentes: Un jour Ahmed sera obligé par le proviseur de   manger un  plat de lentilles infesté de vers (charançons) et forcé de   terminer son  assiette. Le soir, Il faisait souvent ses devoirs dans la   cordonnerie du  lycée, à la lumière d’une bougie
  
  Mais Ahmed était un élève brillant : pendant les cours de Mathématiques,    les professeurs paniquaient et recherchaient l’erreur qu’ils avaient   pu  commettre dès qu'il levait le doigt. Il Ses camarades l'appelaient   "la  dernière question". Il y avait aussi ‘la ‘question Kaabi’ qui  était  la  plus difficile et dont on savait qu’il serait le seul à  pouvoir la   résoudre
  
  Nomme instituteur dans la région d’Enfida, en accord avec la volonté    paternelle, il quittera son poste au bout d’un an à la suite d’une    altercation avec le directeur d’école parce qu’il refusait de faire    bénéficier le fils du colon local d’un traitement préférentiel.
  
  Ahmed en profitera pour mettre à exécution son rêve de toujours :    Etudier la médecine. Mais son père y  demeurait fermement opposé et    n'hésitait  pas de le sermonner à chaque fois où il lui faisait part de    sa volonté d'embrasser la carrière médicale : "instituteur, tu as un    salaire fixe et assuré. Médecin, tu tendras la main à tes malades comme    un mendiant’, lui disait-il.  
Mais la passion de la médecine sera la plus forte. Il finira par passer outre à la volonté de son père et se rendra secrètement à Alger pour y faire son PCB (Physique – Chimie – Biologie), étape préliminaire aux études de médecine. Sans l’appui financier paternel, il doit faire le voyage par train vers Alger clandestinement, par moment sur les essieux.
"Le médecin sans voiture"
  
  Il obtiendra un petit prêt d’honneur qui lui permettra de financer ses    études, réussira brillamment et  s'inscrira  en 1945 à la faculté de    Médecine René Descartes de Paris. Il y logera dans une auberge misérable    pompeusement appelée "Hôtel des Grands Hommes" et connaîtra de graves    difficultés financières. A un moment, il devra même vendre ses   vêtements  dans la rue, aidé par un ami – Mohammed Etri – qui faisait   monter les  enchères
  
  La rencontre avec une française - Marcelle - qui deviendra son épouse    sera déterminante. Elle travaillait et son soutien moral et financier   permettra à Ahmed de poursuivre ses études.Travailleur acharné, il    obtiendra son Diplôme de Médecine puis le diplôme d’Etudes Spéciales de    Cardiologie à la Faculté de Médecine de Paris. Il deviendra assistant   en  cardiologie à l’hôpital Broussais, au service du Professeur   Donzelot.
  
  De retour à Tunis avec son épouse et leur premier enfant, il aura des    débuts difficiles de jeune médecin désargenté. Entre autres, il se rend    toutes les semaines à Kairouan en autobus avec sa trousse de médecine   et son électrocardiogramme pour y donner des consultations. On  l’appelle   "le médecin sans voiture". Mais il se fera rapidement une  excellente   réputation et poursuivra en parallèle une brillante  carrière   hospitalière . 
  
  
Il   est inquiété par les autorités du protectorat français pour avoir    rendu à leurs familles les corps de militants anticolonialistes décédés à    l’hôpital. Mais c’est bientôt l’indépendance. Il sera nommé Chef de    Service. C’est sous sa direction que serposé le premier ‘Pace Maker’    africain à l’hôpital de la Rabta (Ernest Conseil)
  
  Il   sera appelé à soigner Bourguiba en 1967 suite à son  infarctus. Il  avait été choisi suite aux conseils du Professeur Lenègre dont il était  le meilleur  élève à Paris. 
L'éminent cardiologue français avait été  appelé au  chevet  de Bourguiba. Plusieurs diagnostics avaient été  alors  établis par les praticiens tunisiens et celui du Dr Kaabi avait  été jugé le meilleur. Jusqu'à 1980, il sera le médecin particulier de  l'ancien président. Apprécié pour sa   compétence, sa discrétion et sa  scrupuleuse honnêteté, il fera partie au cours de cette période du  premier cercle d'amis de Bourguiba au côté de Béchir Zargayoun,  Allala  Laouiti et Hassan Ben Abdelaziz. Devenu Professeur   à la faculté de  Tunis en 1973, Il est alors très fier d’avoir    réconcilié sa passion  pour la médecine avec la volonté de feu son père :   Devenir enseignant 
  
  Après avoir pris sa retraite en 1987,  Ahmed El Kaabi  s'installera  à    Paris pour être proche de ses enfants. Il décèdera dans le service de    réanimation cardio-vasculaire de l’hôpital George Pompidou, service    similaire à ceux où il avait si longtemps exercé, entouré de quatre de    ses enfants (il avait eu la douleur d’en perdre un de façon  accidentelle   en 1971) et par sa fidèle épouse qui avait partagé sa vie  durant 63   années.
Le Dr Kaabi était Commandeur de l’Ordre   du Mérite de la République  Tunisienne, Commandeur de l’Ordre National   du Mérite Français  et titulaire de plusieurs autres décorations  de   pays étrangers  (Pays-Bas, Belgique, etc.).