Et si l’on substituait un projet impératif au mandat représentatif ?
Par Youcef Ennebli - Dans les deux articles précédents, en dates du 02 juin 2021 et du 22 juin 2021, nous avons déjà montré successivement que la démocratie représentative (DR) n’est pas un véritable système démocratique et la démocratie devait être définie à travers la finalité d’une bonne politique, à savoir le bonheur de tous.
Nous ne sommes pas contre l’idée de la représentativité. La démocratie directe (DD), si attractive et idéale soit-elle, demeure utopique. Cependant, il ne faut pas ignorer un fait : le mandat représentatif, qui est libre et non révocable, dont bénéficient les représentants de la nation, ouvre la voie à ces derniers d’agir en tous domaines à leur guise car ils ne sont pas tenus de respecter leurs engagements vis-à-vis leurs mandants.
Comme si cette liberté ne leur suffit pas, ils usent de tout un arsenal de moyens, de techniques de mise en scène pour faire semblant qu’ils agissent, selon les règles de la démocratie, pour l’intérêt du peuple alors qu’en réalité ils œuvrent le plus souvent pour servir plutôt leur propre intérêt ou l’intérêt de leur parti. Les techniques et les principes de la DR sont alors déviés de leur finalité. Il en est de même pour les outils empruntés de la démocratie participative (DP). L’emprunt de ces outils est conçu comme un moyen de partage de pouvoir entre les gouvernants et les gouvernés visant à atténuer la crise que connaît la DR.
Défectuosité de la démocratie représentative ne semble guère déranger les gouvernants
La défectuosité de la DR semble arranger les motivations des représentants de la nation qui ne correspondent pas nécessairement aux intérêts du peuple, encore moins à son bonheur. Pourtant, et selon la théorie de la souveraineté nationale dont est fondée la DR, les élus sont supposés œuvrer pour l’intérêt de la nation. Mais c’est méconnaître la nature de l’homme. Les politiques sont connus pour leur avidité au pouvoir et les citoyens sont plus influencés par les sentiments que par la raison.
Ceux qui détiennent le pouvoir sont bien conscients qu’on «domine plus facilement les peuples en excitant leurs passions qu'en s'occupant de leurs intérêts» (Gustave Le Bon). Ce qui explique que l’usage de la rhétorique et du populisme est à son apogée ces temps-ci. «Le populisme, dit Michel Onfray, est le plus dangereux des narcotiques, le plus puissant des opiums pour endormir et anéantir l'intelligence, la culture, la patience et l'effort conceptuel» (cité par le Dictionnaire La Toupie, Représentation, 2021). C’est méconnaître l’ampleur et la justesse de la proposition de Montesquieu : «C’est une expérience éternelle, tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ; il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites». L’expérience a montré que le principe de séparation de pouvoir, énoncé par Montesquieu et John Locke, n’était pas suffisant pour constituer un gage d’équilibre des institutions et une garantie contre les abus du pouvoir et la corruption.
Que faire alors pour sauver l’idée de la représentativité tout en empêchant les élus de faillir à leur engagement pris lors de leur compagne électorale et pour faire obstacle contre les abus du pouvoir ? Plus précisément quels outils à préconiser et à appliquer dans une véritable démocratie représentative et non de façade qui garantie à la fois le respect strict du principe de la dynamique de l’assemblée et l’atteinte effective des finalités du principe de séparation des pouvoirs sans pour autant ignorer ou négliger l’esprit et la finalité propre d’une bonne politique (assurer le bonheur de tous)?
Solution : éradiquer le mandat représentatif au profit d’un projet impératif
Après une longue période d’Analyse, de réflexion et de maturation, nous avons eu l’idée simple de penser à une procédure qui oblige tout représentant, une fois élu, à respecter son projet politique relayé durant sa compagne électorale. En cas de manquement significatif, observé par les citoyens ou par la cour constitutionnelle, un référendum révocable est systématiquement convoqué, au moyen d’une initiative populaire ou celle de la cour constitutionnelle, pour décider la révocation de l’élu. Nous avons baptisé cette procédure par l’expression projet impératif en nous inspirant largement de la notion du mandat impératif qui est associé à la DD.
«D'une manière générale, un mandat impératif est un pouvoir délégué à une personne ou à une organisation désignée afin de mener une action prédéfinie et selon des modalités précises auxquelles elle ne peut déroger» (Dictionnaire La Toupie, Mandat impératif, 2021). Dans la DD de Périclès, le principe du mandatement impératif est de partir des besoins définis et des décisions prises par l’assemblée du peuple qui délègue au conseil de l’assemblée (Boulê), aux gouvernants et aux tribunaux le soin de les accomplir. Faut-il préciser que les décisions prises dans l’assemblée, où les citoyens se réunissent périodiquement (tous les dix jours), touchent les affaires importantes de la cité (décider d’une guerre par exemple) et prendre des initiatives législatives et politiques (par le vote).
En politique, le mandat impératif désigne donc «un mode de représentation dans lequel les élus ont l'obligation de respecter les directives de leurs électeurs sur la base desquelles ils ont été désignés, sous peine de révocation» (Ibid.). C’est notamment au niveau des auteurs qui ont précisément le rôle de définir les décisions et les actions politiques (à accomplir par les institutions compétentes) que se situe la différence entre le mandat impératif et le projet impératif. Dans le mandat impératif ce sont les citoyens qui sont les auteurs de la définition du programme politique. Par contre dans le projet impératif c’est l’élu ou le parti qui est l’auteur de la définition du projet. En d’autres termes, c’est la personne élue ou le parti élu qui est tenu à respecter son propre projet relayé durant la compagne électorale.
Dans cet ordre d’idées, les électeurs font leur choix à qui voter sur la base du projet considéré comme celui qui les représente le plus parmi l’éventail de projets proposés par les différents candidats à l’élection. Certes, comme les points de vue de toute population sont très diversifiés ainsi que les fins visées qui sont disputées, le projet de l’élu ou du parti ne peut pas représenter, et en aucun cas, même dans la DD, le peuple de façon entière et parfaite. Cependant, nous considérons que la démocratie représentative fondée sur le projet impératif (et non sur un mandat pseudo représentatif) constitue la meilleure alternative entre l’idéal démocratique que représente la DD, fondée sur le mandat impératif et la souveraineté du peuple, et le possible permettant de servir au mieux les intérêts de tous (gouvernants et gouvernés -toutes classes sociales confondues). La souveraineté du peuple est indirecte le fait que ce sont ses représentants qui exercent le pouvoir. Il s’agit d’une véritable souveraineté (et non de pseudo-souveraineté), quoi que partielle et indirecte, car les représentants sont obligés de respecter leur programme relayé durant leur compagne électorale sous peine de révocation.
Youcef Ennebli