Une nouvelle définition de la démocratie
Par Youcef Ennebli - Dans le précédent article, en date du 02 juin 2021, nous avons montré que la démocratie représentative (DR) n’est pas un véritable système démocratique. Si l’on veut chercher le régime politique le plus adapté au contexte tunisien, faut-il procéder en dehors des régimes de la DR, quitte à faire preuve d’innovation pour définir un nouveau régime politique. Mais au préalable, faut-il chercher ce qui devait être la démocratie.
On s’accorde aujourd’hui que la démocratie est un système politique «dans lequel la souveraineté est attribuée aux citoyens» (Wikipédia –W.-, Démocratie, 18 décembre 2020). Toutefois, cet accord n’a pas empêché que «la distinction entre ce qui est une démocratie et ce qui n'en est pas est toujours en débat» (Ibid.). Et cela d’autant plus que l’actuelle définition n’est pas universelle. Elle correspond plutôt à la démocratie directe (DD). Une telle définition ne peut que semer la confusion et le désaccord entre les auteurs sur le système politique, tel qu’il est pratiqué, s’il est démocratique ou non.
Il est alors nécessaire de chercher une nouvelle définition de la démocratie qui soit universelle, c’est-à-dire valable pour toutes les formes véritablement démocratiques. Cette recherche sera basée sur l’analyse de l’exception des pays de l’Europe du nord et du Canada, qui contrairement aux autres pays du monde, dit démocratiques, ne sont pas touchés par une crise démocratique.
Les pays les plus heureux au monde et la finalité politique poursuivie
Le constat le plus saillant dans ces pays consiste dans le fait qu’ils représentent les pays les plus heureux du monde. Le rapport 2013 d’une grande enquête visant la recherche des solutions pour le développement durable, publié par l'Institut de la Terre (Earth Institute de l'Université Columbia) en collaboration avec le Réseau des Nations unies, révèle notamment:
Plus un individu est heureux, plus il est productif, vit longtemps, gagne davantage et se comporte plus civilement en société. Bonheur et bien-être devraient donc être érigés en tant qu'objectifs de politique publique, non seulement pour leur finalité en tant que tels mais aussi pour leurs nombreux effets secondaires positifs (Cité par Stanislas Kralande, 2016).
En d’autres termes, le grand impact du bonheur d’un individu sur la qualité de sa vie socioéconomique nous fait comprendre que le Bonheur de tous devait être érigé en tant que finalité de la politique.
Nous pouvons tirer des résultats du rapport 2013 notamment la lecture suivante : la finalité poursuivie, qu’elle soit annoncée ou implicite, des gouvernants de ces pays, est la recherche effective du bonheur de leur peuple, voire de tous leurs habitants. C’est cette finalité qui explique pourquoi les pays de l’Europe du nord et le Canada sont les plus heureux au monde. Et cela d’autant plus que les grandes enquêtes réalisées par divers organismes depuis 2013 confirment que ces pays demeurent toujours parmi le top des dix premiers pays heureux du monde.
Les moyens déployés par ces pays confirment nos dires avancés. Une lecture critique de quelques articles traitant le bonheur et la démocratie nous a permis de dégager quelques moyens ou variables, considérés comme les plus déterminants, observés dans les pays les plus heureux, qui traduisent au clair cette finalité même si celle-ci n’est pas annoncée dans les discours des gouvernants. Contrairement aux idées reçues, les déterminants relativement classiques, comme le PIB par tête d’habitant, ne figurent pas parmi les critères clés. Ce sont plutôt la confiance du peuple vis-à-vis les gouvernants et la force de soutien social. La confiance est mesurée par la perception d'une absence de corruption politique ou dans les affaires et d’une justice assurant le principe d’égalité devant la loi. Quant au deuxième critère, il consiste notamment dans l’existence d’un système de santé capable d’assurer une bonne santé mentale et physique, et d’avoir des structures et des personnes sur qui compter. Le soutien social constitue le principal enjeu pour les dirigeants des pays heureux.
Les crises économiques ou les désastres naturels n'empêchent pas forcément le bonheur, lorsque la population a confiance dans ses institutions et considère être régie par un gouvernement honnête, vertueux, responsable qui assure l’égalité devant la loi et un fort soutient social. Ainsi, l'Islande est un exemple typique de pays qui a su rester heureux, grâce ces deux piliers de la véritable démocratie, en dépit de la crise financière qui l’a frappé. Le directeur de l'Institut de recherche du bonheur, Meik Wiking, a introduit le «concept d'égalité du bien-être». Il est la simple illustration d'un concept que Ghandi avait mis en avant « la marque d'une société plus juste, c'est la façon dont elle traite ses membres les plus vulnérables ».
Au niveau individuel, le rapport précise les paramètres cruciaux de la quête du bonheur : la possibilité de faire ses choix de vie librement (degré de liberté personnelle) ou encore la générosité, une sécurité d'emploi (Le chômage et l’exclusion provoquent autant de malheur social), des familles équilibrées, stables et durables (important pour le bonheur des parents et des enfants).
D’une lecture critique de l’exception scandinave à une définition de la démocratie fondée sur la finalité de la bonne politique
Toutes les actions assurant la confiance et le soutient social et favorisant les paramètres du bonheur considéré au niveau individuel ne peuvent que traduire la finalité propre à la bonne politique quelle soit explicite ou implicite. Le Discours pompeux, alléchant et attirant de ceux qui détiennent le pouvoir politique dans les pays vivant la crise politique n’a pas empêché la perte de leur crédibilité : les peuples n’ont plus confiance à leurs paroles et aux fins annoncées. A entendre les gouvernants, on croit qu’on est dans un paradis de démocratie. Par contre, dans les pays les plus heureux, les gouvernants n’ont pas besoin de vanter leurs mérites ou d’annoncer explicitement la finalité de leur politique. L’enchainement des décisions prises et le processus des actions menées suffisent pour que le peuple perçoive la finalité adoptée par les gouvernants.
Faut-il préciser que tous ces pays (Excepté la Suisse) ont adopté la DR et à leur écrasante majorité sont bien gouvernés par le pire des régimes de la DR à savoir le régime parlementaire (ce régime ne respecte pas le principe de séparation de pouvoir)! Nous pouvons en déduire que la finalité l’emporte sur les autres critères déterminant la typologie du système politique.
En guise de synthèse de ce qui précède, nous pouvons avancer que le premier facteur qui devait déterminer si le système politique est véritablement démocratique n’est ni la souveraineté du peuple (comme c’est le cas de la DD) ni la souveraineté nationale (le cas de la DR) mais plutôt la finalité du système politique. Dans une véritable démocratie, la politique est au service de l’économique et du social et a comme finalité le bonheur de tous. Dans une dictature, civile ou théocratique (la pire des dictatures), c’est plutôt l’inverse. L’économique et le social sont au service de la classe politique.
Youcef Ennebli